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Analyse économique et sociale

Oser entreprendre

Oser entreprendre en Afrique subsaharienne : Mode d’emploi

 

Pas à pas, souvent dans l’indifférence, parfois dans la douleur, le secteur privé local progresse en Afrique subsaharienne. Comme partout ailleurs, oser entreprendre est en ces lieux un exercice difficile. Toutefois, sa complexité relève ici d’une audace frôlant l’inconscience. Il est donc préférable d’oublier rapidement de rêver aux modèles que sont Bill Gates, Armuncio Ortega ou, bien sûr, Aliko Dangote, pour se plonger dans la dure réalité du terrain,

L’entrepreneur doit avoir des personnalités multiples. Il ne lui suffit pas d’avoir le goût de l’indépendance, qui l’amène à préférer ce chemin risqué plutôt que celui de salarié, cadre ou non, dans une entreprise existante. Il lui faut aussi, tel un coureur d’obstacles, franchir d’abord toutes les étapes qui pourront le mener au démarrage de sa société et faire montre, à cette fin, de nombreuses qualités. D’abord être un visionnaire en ayant au moins une idée précise, concrète, si possible originale, sur laquelle s’appuiera son projet d’entreprise. Etre ensuite un stratège en définissant toutes les caractéristiques que présentera son activité afin de transformer son idée originelle en réalité objective : c’est sans doute la phase décisive, qui permet de donner vie à l’abstraction de départ. Etre aussi un « honnête homme » – au sens français du Siècle des Lumières-, en étant capable de connaitre au mieux les principales facettes de l’environnement dans lequel il va travailler, pour éviter les pièges et se saisir des opportunités chaque fois que possible. Etre encore un homme-orchestre en maîtrisant tous les aspects qu’il aura à gérer dans sa vie quotidienne de chef d’entreprise : juridiques, sociaux, financiers, humains, administratifs, fiscaux, éventuellement judiciaires. Etre enfin un bon planificateur pour organiser en détail les phases préparatoires à son entrée en activité, afin de devenir pleinement opérationnel dans les meilleures conditions et les plus brefs délais.

S’il réussit tout cela, le promoteur est bien armé pour affronter une autre difficulté majeure, celle du financement de son entreprise. En la matière, il devrait vite renoncer à fonctionner totalement à crédit. L’autofinancement est en effet indispensable tant du point de vue de son futur partenaire banquier, qui veut ainsi connaitre la réalité de l’engagement du promoteur et l’importance de ses moyens financiers, que du côté du chef d’entreprise, qui pourra difficilement rentabiliser son projet s’il a à rembourser la totalité du coût de ses investissements, majoré des intérêts bancaires. Il peut apporter ces fonds propres de différentes manières : seul ; grâce à des appuis familiaux ou amicaux ; par des regroupements plus larges, notamment permis par de  nouvelles techniques comme le « crowdfunding » ; avec des fonds d’investissement qui vont accompagner l’entreprise pour quelques années. Dans tous les cas, le promoteur doit savoir que l’entrée de partenaires au capital de la société ne l’aidera guère dans son travail quotidien, mais fera porter sur lui des responsabilités accrues d’information et de transparence dans sa gestion, en contrepartie des fonds apportés. C’est spécialement vrai pour les fonds d’investissement, qui se sont multipliés en Afrique et sont maintenant adaptés à toutes les tailles d’investissement, y compris les Petites et Moyennes Entreprises (PME). Ces types d’investisseurs organisent en outre immédiatement leur sortie future de la société, à des conditions souvent onéreuses pour les promoteurs s’ils doivent assurer eux-mêmes ce rachat. Dans certains cas toutefois, et surtout pour les PME, ces fonds peuvent amener un encadrement et un soutien technique et organisationnel capables d’aider la jeune entreprise au début de son activité, et sont donc fort utiles.

Une fois ces ressources propres mobilisées, reste à obtenir des banques ou des autres prêteurs potentiels – bailleurs de fonds internationaux, fonds d’investissement – les autres concours nécessaires. Le succès dépend de la capacité de l’entrepreneur à donner la preuve de son autofinancement, de la qualité de son « business plan » et de la fourniture de garanties demandées par le prêteur. Celui-ci se tournera d’abord, par facilité et habitude, vers des garanties immobilières. Or, celles-ci sont rarement disponibles pour les nouveaux entrepreneurs, surtout s’il s’agit de PME. Des progrès ont été faits dans la mise au point de solutions alternatives : création de fonds de garantie nationaux ou régionaux, interventions « ad hoc » d’institutions bilatérales ou multilatérales. Les innovations et efforts d’adaptation des banques sont cependant très insuffisants tandis que des solutions novatrices, telles les sociétés de caution mutuelle, sont rarement introduites alors qu’elles sont bien adaptées aux traditions africaines. De la capacité des financiers à faire ces efforts d’imagination et à trouver, en liaison avec les entrepreneurs, des formes de coopération mutuellement acceptables, dépendra en bonne part l’accélération de l’essor des secteurs privés nationaux.

Si la nouvelle entreprise triomphe de ces différentes épreuves et prospère, elle aura à choisir les meilleures pistes pour son expansion. Elle peut déjà compter sur quelques donnes favorables : outre l’immensité des besoins à satisfaire et des vides à combler, qui multiplient les possibilités d’action pour les nouveaux arrivants, les nouvelles technologies offrent en de nombreux secteurs l’occasion d’investir à moindres frais et avec une efficacité accrue. L’approche multi-pays de plus en plus présente dans le secteur privé africain permet aussi de compenser la petitesse des marchés nationaux et de profiter des perspectives régionales qui devraient être progressivement privilégiées par les Autorités. En revanche l’environnement impose toujours des comportements spécifiques : il faut notamment trouver le bon équilibre entre la délégation de certains pouvoirs aux cadres de la société et le contrôle rapproché du « patron », qui demeure longtemps primordial en raison de l’influence déterminante en Afrique de la qualité et de l’engagement personnel des individus sur le résultat obtenu. Lorsque la société grandit, la structuration indispensable de celle-ci se heurte aux difficultés considérables de recrutement d’agents et de cadres qualifiés, rencontrées dans la plupart des pays. Si tous ces obstacles sont franchis, restera alors une alternative cruciale le moment venu : croissance maximale pouvant conduire un jour à l’entrée de nouveaux actionnaires plus puissants et majoritaires, ou préservation prioritaire de l’indépendance même  au prix d’un développement plus limité. Le choix est alors au moins autant philosophique et personnel que financier. Il sera de toute façon le témoignage d’une belle réussite.

Tout au long de sa vie, l’entreprise aura à subir les conséquences de la politique menée par les pouvoirs publics à l’égard du secteur privé et des entrepreneurs. En la matière, l’indicateur « Doing Business » mis au point par la banque Mondiale, espèce de comparateur mondial de performances  de l’environnement dans lequel travaillent les entrepreneurs, est devenu la référence incontournable. Les pays africains sont entrés dans la compétition pour savoir chaque année celui qui est « le plus réformateur » et l’émulation a entraîné en effet au fil des ans des progrès incontestables sur des sujets essentiels : facilité de création des sociétés ; rapidité des importations et exportations ; avantages pour les investissements ; sécurité foncière ; fonctionnement de la justice :.. Il est ainsi parfaitement possible de créer désormais en trois jours une entreprise au Mali comme dans beaucoup de pays. Pourtant, ces avancées très médiatisées restent souvent modestes et, sur les 54 pays du continent, seuls une dizaine –toujours les mêmes – figurent parmi les 100 meilleurs classés au monde. Les questions concernées, malgré leur importance, laissent en outre de côté quelques lacunes majeures des politiques publiques. D’abord, les Etats cherchent rarement à encourager concrètement les bonnes pratiques et l’efficience des entreprises et la corruption est souvent le plus court chemin pour arriver au but : l’attribution des marchés publics ou l’octroi d’avantages liés au Code des Investissements en sont des exemples flagrants. En second lieu, face à la question dramatique des créations d’emploi insuffisantes, les pouvoirs publics multiplient les projets d’ « identification et de formation d’auto-entrepreneurs », souvent dans des secteurs relevant plus du passé que de l’avenir, avec l’appui « généreux » de bailleurs de fonds plus soucieux d’actions claironnantes que de résultats positifs à long terme. La durée limitée de ces actions, les choix contestables des secteurs retenus, l’absence de prise en considération des qualités rares que doivent présenter ces candidats entrepreneurs, comme rappelé ci-avant, leur motivation insuffisante face aux contraintes vécues, expliquent les lourds taux d’échec. Il serait sans doute très préférable, et plus économique, de privilégier au contraire la construction rapide d’un environnement solide propice à l’épanouissement et à la croissance de toutes les entreprises existantes, plutôt que la création de toutes pièces de nouveaux entrepreneurs. Enfin, le même gâchis financier s’observe dans les créations de structures publiques censées favoriser l’enseignement professionnel et la formation, qui sont souvent mal connues, parfois redondantes, et mal connectées avec les entreprises et leurs regroupements corporatistes mieux avertis des besoins réels de l’économie. Le soutien, bien contrôlé, d’actions directement conduites par les entreprises serait certainement plus efficace.

Faute d’une offre d’emplois suffisante, le secteur privé subsaharien se nourrit à la fois de ceux qui ont une « âme d’entrepreneur » mais aussi de ceux, bien plus nombreux, qui choisissent cette voie par défaut d’activité salariée. Le poids très prédominant du second groupe explique que les échecs soient ici encore beaucoup plus nombreux que sous d’autres cieux. La prise en compte par les pouvoirs publics des véritables besoins des acteurs économiques, et particulièrement de ceux qui débutent, devrait permettre d’accroître nettement les chances de succès des nouveaux entrepreneurs. Les Etats ont beaucoup à y gagner, pour le nombre d’emplois durables créés comme pour le renforcement des appareils économiques nationaux. Il leur faut seulement une bonne analyse de la situation et des changements nécessaires, et la volonté politique de mettre ceux-ci en œuvre avec sincérité et détermination. Il n’est nul doute qu’ils trouveraient alors à leurs côtés une jeunesse avide de travail et riche d’énergie.

Paul Derreumaux

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Système bancaire africain

Afrique Subsaharienne : A-t-on encore besoin des banques ?

Afrique Subsaharienne : A-t-on encore besoin des banques ?

 

Dans l’analyse des questions de financement des entreprises en Afrique, et particulièrement en zone subsaharienne, une place croissante est réservée à la désintermédiation. La donne est simple : face aux insuffisances des financements actuellement disponibles auprès des banques locales, la solution ne serait-elle pas de recourir beaucoup plus aux financements « désintermédiés », directement consentis par des agents non bancaires.

L’origine de cette approche résulte d’abord de l’observation de la situation des pays les plus avancés, et notamment des Etats-Unis. Dans ces derniers, les financements désintermédiés sont devenus majoritaires, atteignant 60% du total. En Europe, les banques demeurent l’acteur principal, mais leur place est désormais ramenée à environ 60% de l’ensemble et tend toujours à baisser. Pour les régions du globe moins avancées économiquement et dans lesquelles le système bancaire est encore très dominant, il est donc logique d’imaginer que les tendances à venir laisseront aussi une part plus réduite aux banques.

Même si cette prévision peut également concerner l’Afrique subsaharienne, le contexte exige de l’apprécier avec prudence. Les banques devraient encore rester longtemps l’intervenant essentiel dans le financement des entreprises. En revanche, certaines autres composantes des systèmes financiers semblent prêtes à accélérer leur développement et les banques pourraient  être activement associées à cette émergence d’une meilleure diversification.

Le système bancaire africain a connu des progrès considérables depuis environ trente ans. Sa solidité, sa densification, sa profitabilité se sont renforcées sur la période. Il a été un des facteurs permissifs mais aussi un des moteurs de la croissance retrouvée dans l’espace subsaharien. Il comprend maintenant des groupes puissants, majoritairement d’origine africaine, qui disposent le plus souvent de réseaux plurinationaux, voire continentaux. Il est le principal bailleur de fonds des grandes entreprises, y compris les filiales de sociétés multinationales, mais aussi l’interlocuteur unique des Petites et Moyennes Entreprises (PME). L’accroissement régulier du nombre d’acteurs avive la concurrence et met au service de la clientèle un panel toujours plus large et mieux adapté de produits et de services. Pour les entreprises en particulier, on note dans la période récente, au moins dans les pays francophones, une nette tendance à la réduction des taux d’intérêt et à l’allongement des durées de crédit, qui constituaient auparavant deux faiblesses notoires. En zone anglophone, ce « trend » est parfois perturbé par les contraintes momentanées de politique monétaire, mais constitue aussi l’orientation fondamentale. On constate également que les crédits bancaires progressent globalement de plus de 10% par an depuis 2008, soit plus vite que la croissance économique, et que le ratio concours directs/dépôts collectés s’élève. Cette place accrue  trouve sa principale logique dans le fait que, en raison de la rareté et de la faible fiabilité des informations en Afrique,  les banques sont les seules à posséder la connaissance du terrain et des emprunteurs, qui est le meilleur garant du bon déroulement des prêts consentis.

La banque subsaharienne n’a cependant pas encore fait le plein des étapes à franchir. Même en incluant la puissante Afrique du Sud, les concours bancaires, avec un total de quelque 750 milliards de dollars en 2014, dépassent à peine 30% du Produit Intérieur Brut (PIB) du continent, contre plus de 45% pour la moyenne des pays émergents. Encore ces chiffres d’ensemble gomment-ils la grande disparité qui existe entre régions et pays. Certains secteurs d’activité sont encore très délaissés, comme celui des plus petites PME, très souvent informelles, qui constituent pourtant la grande masse des sociétés existantes. Quelques statistiques indiquent qu’environ 20% seulement des entreprises disposent d’un crédit bancaire contre près de 80% dans les pays du Nord, et que les PME ont trois fois moins de chance que les grandes entreprises d’avoir accès au crédit.

La priorité absolue pour améliorer le financement des entreprises est donc de consolider et de rendre plus performant le rôle des banques. Deux pistes paraissent primordiales. La première est celle de la poursuite du renforcement des banques elles-mêmes, afin qu’elles soient à la fois plus offensives et plus innovantes. Les effets convergents de la concurrence et de la réglementation devraient produire ce résultat : l’augmentation du nombre de banques, l’accroissement de leurs fonds propres, la multiplication d’agences bancaires de proximité, la hausse rapide des ressources collectées, la consortialisation des crédits aux grandes entreprises, l’extension des cofinancements permettant le partage des risques, une plus grande incursion dans les pratiques innovantes, une meilleure formation et expérience des équipes bancaires figurent parmi les manifestations les plus apparentes de cette transformation. En marge des banques elles-mêmes, la poussée impressionnante du « mobile banking » va accélérer la bancarisation des petites entreprises et favoriser l’octroi de crédits bancaires à de nouvelles catégories de clients. La deuxième source de changement est l’amélioration de l’environnement, qui prendra plusieurs formes. Les Etats pourront y avoir un rôle déterminant s’ils veulent véritablement soutenir le secteur privé en émergence : meilleur fonctionnement de la justice réduisant le coût du risque et donc les taux d’intérêt, incitations fiscales diverses pour l’épargne à long terme, encouragement de la formalisation des entreprises facilitant le travail des établissements bancaires. La généralisation prévisible de « bureaux de crédit » et d’agences de notation apportera un surcroît d’informations propices aux octrois de crédits, surtout aux PME. Enfin, l’augmentation probable du poids relatif et du nombre des entreprises grandes ou moyennes, « boostées » par la vive poussée des PIB nationaux sur une longue période, constituera un autre élément favorable au développement souhaité des banques.

Même si les institutions bancaires sont ainsi de plus en plus performantes, les financements désintérmédiés, qui ne satisfont en effet jusqu’ici en Afrique que 5% des besoins des entreprises, sont inévitablement appelés à croître. Compte tenu des caractéristiques actuelles des économies et des entreprises africaines, l’avancée de ces modalités financières sera vraisemblablement lente. Trois canaux possibles pourraient cependant montrer la voie.

Le secteur des assurances est le premier. Il n’a pas encore fait sa mue comme le système bancaire et connait un grand retard, hormis en Afrique du Sud et dans quelques rares pays d’Afrique du Nord ou anglophone. Les ingrédients sont cependant en place pour une prochaine « révolution » en de nombreux endroits: croissance soutenue des compagnies existantes, fort intérêt de grands acteurs internationaux, accélération spécifique de l’assurance vie en liaison avec l’urbanisation et la croissance économique, poussée au renforcement des sociétés sous la pression des réglementations. Si cette mutation s’engage. L’augmentation rapide des primes collectées contribuera à développer l’épargne longue, qui manque le plus, et à renforcer les moyens financiers du secteur. Les assurances pourront alors faciliter la transformation, par leurs dépôts accrus auprès des banques, et investir davantage sur les marchés financiers, jouant ainsi pleinement leur rôle d’investisseurs institutionnels. Dans cette évolution, banques et assurances ont des synergies à activer. En connectant mieux leurs réseaux respectifs par la « bancassurance », elles ont ensemble les moyens de rendre plus performants leurs circuits de collecte de ressources, de fidéliser leurs clientèles respectives et de promouvoir l’attraction des produits financiers. En élargissant leur gamme de produits, en introduisant des mécanismes de titrisation, les banquiers répondront au vœu des assureurs de diversifier et de mieux rentabiliser leurs placements. En invitant les assurances à des syndications de prêts, les banques initieront celles-ci aux financements désintermédiés.

A la différence des assurances, les fonds d’investissement jouent un rôle pour lequel le secteur bancaire est mal placé : celui de l’apport en capital aux entreprises. Ces fonds ne s’intéressent guère à l’Afrique que depuis la relance de sa croissance. Si leur rôle reste modeste (0,1% du PIB en 2013), leur progression est très rapide (plus de 1,8 milliards de USD investis annuellement). De plus, les acteurs se multiplient et se diversifient, les fonds africains occupant maintenant une place importante. Dans la période récente, ces fonds ont puissamment aidé à la réalisation de grands investissements structurants. Leur intervention se heurte cependant à deux principales limites : concentration sur de grandes entreprises, rares en Afrique ; par suite, champ géographique et sectoriel fort restreint. Un renforcement significatif suppose des changements, pour lesquels, ici encore, les institutions bancaires peuvent être d’utiles alliés. Une première exigence consistera à abaisser la taille des investissements ciblés et à diversifier les secteurs visés afin de toucher un nombre accru d’entreprises : la multiplication de fonds à dimension plus modeste, dans lesquels les banques pourraient être actionnaires, irait dans ce sens. Les « fonds d’impact » locaux en cours de lancement par la structure IPDEV en Afrique francophone pour de très petites entreprises vérifient ce principe et pourraient, malgré leur petitesse, être une référence stimulante pour d’autres initiatives. Une deuxième piste consisterait à recourir davantage, dans les opérations menées, à de l’injection simultanée de capital et de dettes, ce qui permettrait une présence conjointe, sous des formes variées, de financements directs et désintermédiés.

Les marchés financiers, malgré leur faible dynamisme à de rares exceptions,  constituent un troisième canal possible de croissance des financements directs. Les banques y sont de longue date des acteurs majeurs. Sur la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) d’Abidjan par exemple, les établissements bancaires de la zone détiennent la majorité des sociétés de bourse agréées et animent le plus le marché. Là comme sur les autres marchés financiers du continent, le secteur bancaire est un de ceux qui comptent le plus de valeurs cotées, se portent le mieux et sont donc les plus attractifs pour les investisseurs privés locaux ou étrangers. Enfin, au quotidien, les banques sont souvent les meilleurs prescripteurs des bourses de valeurs, soit auprès des entreprises pour leur suggérer des solutions de financement, soit auprès des épargnants pour leur amener à compléter leur patrimoine et le rentabiliser. La consolidation des marchés financiers peut alors s’effectuer en pleine symbiose avec les acteurs bancaires et les deux partenaires y trouvent pleinement leur compte.

La répartition actuelle entre financements bancaires et financements désintermediés n’est donc pas en soi  un motif d’inquiétude. Elle n’est qu’une illustration supplémentaire du retard de l’Afrique par rapport au reste du monde. A ce jour, la consolidation des premiers est une nécessité et ne peut qu’aider à l’avancée des seconds. Les évolutions en cours montrent que, ici encore, le secteur financier est un de ceux qui concourent fortement à la transformation du continent. Reste à voir si cela sera suffisant…

Paul Derreumaux

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Analyse économique et sociale

Lettre ouverte aux (jeunes) entrepreneurs africains de France.

Lettre ouverte aux (jeunes) entrepreneurs africains de France.

 

Les entrepreneurs africains montrent en France leurs qualités d’innovation. Les difficultés rencontrées par les petites entreprises en Afrique les font hésiter à retourner au pays pour tenter leur chance. Pourtant ils pourraient jouer un grand rôle pour concrétiser les mutations attendues sur le continent.

La cérémonie à Paris de remise des Prix de l’Entrepreneur Africain de France, le 19 juin dernier, mérite quelques réflexions. L’évènement avait pour objet de décerner des prix à des chefs d’entreprises, d’origine africaine mais installés en France, en vue de récompenser notamment l’originalité de leurs projets et le succès déjà rencontré par les sociétés concernées ou pouvant être escompté par celles-ci. Deux aspects positifs étaient frappants  dans cette réunion qui visait avant tout des petites ou moyennes entreprises: d’un côté, la jeunesse de la grande majorité des entrepreneurs nominés et primés ; de l’autre, leur capacité d’innovation, la pertinence de leurs projets et leur profonde détermination à se battre, durablement si nécessaire.  En revanche, pour une partie des cas, l’entreprise élue semblait surtout adaptée à l’économie et à la société françaises ; pour ceux dont le «business model» pouvait s’appliquer à l’Afrique, l’idée d’un retour sur le continent paraissait encore incertaine ou lointaine.

Cette grande prudence semble étonnante face à l’engouement dont bénéficie actuellement l’Afrique subsaharienne dans le monde entier. A y regarder de près, elle est moins surprenante qu’il n’y parait.

L’Afrique est en effet à la mode pour le progrès de son économie, qui soutient la croissance mondiale, pour ses richesses naturelles de mieux en mieux exploitées, et pour ses perspectives d’évolution que tous envient. Certes les crises et les conflits y sont encore présents, même s’ils sont moins souvent évoqués qu’auparavant, et peuvent annihiler des années d’efforts de développement dans certaines régions. Toutefois, peu de très grandes entreprises ou de fonds d’investissement dans le monde conçoivent désormais leur business plan sans y intégrer l’Afrique subsaharienne.

Ces visions optimistes reposent sur des fondements objectifs. La situation s’est en effet fortement améliorée sur beaucoup de points en moins de 15 ans et tous les changements positifs sont ressassés partout, parfois avec excès. Deux d’entre eux sont sans doute  essentiels. Le premier est que les centres d’intérêt des Etats et des grands bailleurs de fonds sont actuellement les bons, ceux qui sont nécessaires pour une croissance économique durable : accroître toutes les infrastructures, créer des emplois en grand nombre et, si possible, de bonne qualité ; intégrer la plus grande partie de la population dans le cercle vertueux de la croissance. C’est à ce prix que le développement évitera d’être non inclusif, c’est-à-dire, puisque le politiquement correct interdit désormais d’être trop brutal, inégalitaire ou injuste. Le deuxième progrès est celui du rôle grandissant pris par le secteur privé, ce qui n’est d’ailleurs pas sans lien avec l’accélération observée de la croissance : ce sont les entreprises privées qui investissent, introduisent les nouvelles techniques, poussent l’intégration régionale, créent des emplois, apportent la valeur ajoutée.

Mais ces photos en rose ne reflètent pas toute la vérité et de nombreux indicateurs restent à l’arrêt ou régressent. La pauvreté est encore beaucoup plus visible que la classe moyenne dont on parle si souvent. L’agriculture n’a pas encore fait sa révolution, essentielle à l’essor du reste de l’économie. L’éducation se dégrade souvent en quantité et en qualité. L’Etat remplit rarement son rôle: celui d’un législateur-juge-arbitre irréprochable, capable de définir les lois les plus justes, de les faire appliquer par tous sans favoritisme, d’encourager mais aussi de sanctionner et de promouvoir le développement avec toute la diligence requise. Tant que cette mutation d’un Etat faible et inéquitable vers un Etat fort et respecté ne sera pas réalisée, l’Afrique perdra  toujours les 1 ou 2 points de croissance qui lui manquent terriblement.

Dans cet univers en demi-teinte, les aspects favorables bénéficient surtout à deux catégories d’acteurs économiques. La première est celle des grandes entreprises internationales et des plus importants groupes locaux. Leur puissance financière leur donne à la fois les fonds propres adéquats et l’accès aux financements extérieurs ou locaux nécessaires à leurs investissements et à leur fonctionnement. Leur domaine d’activité les place souvent dans un cadre réglementaire échappant au comportement erratique ou prédateur des administrations nationales ; banque centrale indépendante pour les banques, code minier pour les industries extractives, autorité de régulation pour les sociétés de télécommunications… A défaut, elles disposent d’une meilleure capacité de négociation, tant de manière autonome que par les appuis qu’elles peuvent recevoir. La seconde est celle des sociétés, grandes ou petites, du secteur informel ou relevant d’activités traditionnelles, essentiellement commerciales: celles-ci s’accommodent en effet plus facilement des divers blocages ou carences de l’environnement, qu’elles savent «gérer», tandis que leur chiffre d’affaires profite mécaniquement du taux global de croissance observé depuis près de 15 ans et de l’accroissement de la population. Face à ces deux groupes, les entreprises de taille moyenne ou modeste, tournées vers les secteurs à valeur ajoutée significative, sont les moins privilégiées, qu’elles soient autochtones ou étrangères. Elles sont en effet beaucoup plus dépendantes d’une qualité optimale de toutes les composantes de l’environnement national des affaires et tout dysfonctionnement de celui-ci pénalise fortement leurs chances de prospérité. Ce sont donc elles qui ont les chances de survie les moins élevées. En revanche, leur rôle est fondamental dans la construction d’un appareil économique portant les germes d’une véritable transformation des pays africains : seules leur multiplication et leur réussite permettront de transformer la croissance d’aujourd’hui, en partie offshore, en un développement plus pérenne et bénéfique à tous. Malgré un environnement encore imparfait, les conditions apparaissent aujourd’hui mieux réunies pour réussir cette rupture avec le passé.

Les opportunités d’abord. Grâce aux étapes déjà franchies, les possibilités d’investissement se multiplient et leur champ s’élargit. Deux avantages nouveaux sont en effet apparus dans la période récente. La croissance soutenue de quelques grands secteurs (télécommunications, banques, mines par exemple) renforce les perspectives d’une sous-traitance structurée avec les grandes entreprises concernées, ce qui sécurise le chiffre d’affaires, au moins pour un démarrage. De plus, les innovations techniques permettent de réduire la taille des investissements, et donc des financements, nécessaires et celle des marchés minimaux requis. Les possibilités correspondantes s’étendent maintenant de l’agriculture (stockage, transport, conditionnement, nouvelles variétés), aux services informatiques ou comptables en passant par l’énergie, les industries légères, le bâtiment ou le tourisme.

Pour concrétiser ces opportunités, les ressources humaines sont là plus que jamais. Si l’enseignement local est souvent un parent pauvre des mutations récemment observées, il existe des exceptions et quelques formations supérieures de bon niveau peuvent être trouvées dans la plupart des pays. Les jeunes qui ont la chance de faire la fin de leur scolarité à l’étranger se limitent de moins en moins aux enfants des dirigeants politiques ou des personnalités économiques les plus favorisées. Un nombre croissant de cadres moyens ou supérieurs accomplissent l’effort financier nécessaire pour envoyer leurs enfants dans les écoles et universités françaises, américaines ou canadiennes ou, à défaut, d’Afrique du Nord ou de Turquie. Les étudiants ainsi formés acquièrent souvent une première expérience professionnelle à l’extérieur, où ils s’essayent parfois à créer leur entreprise. La formation technique de ces privilégiés égale souvent celle de leurs homologues des pays du Nord et leur enthousiasme décomplexé impressionne. Ils ont donc dans leur esprit et dans leurs mains un véritable trésor de compétence et d’expérience qu’ils peuvent faire fructifier sur leur continent d’origine. Ils disposent en effet à la fois de la formation qui manque sur place et de la connaissance du terrain que n’ont pas les investisseurs étrangers. Cette nouvelle classe d’entrepreneurs potentiels peut ainsi jouer un rôle essentiel dans la création des types de société dont l’Afrique a le plus besoin.

Enfin, si le soutien des Etats se renforce à pas beaucoup trop mesurés face à l’enjeu que représente cette composante défavorisée des économies africaines, l’environnement s’améliore plus rapidement sur certains aspects, et notamment celui du financement. Sous la pression de la concurrence, les banques et sociétés de micro-finance s’investissent de plus en plus dans le secteur très large et disparate de la petite et moyenne entreprise et adoucissent progressivement les conditions auxquelles elles accordent leurs crédits. Des partenaires financiers au développement plus nombreux acceptent des cofinancements, où ils assument une part du risque des concours bancaires à ces sociétés, ce qui facilite l’accroissement des volumes financés. Quelques sociétés de capital-risque se mettent en place pour aider des entreprises de taille très modeste à grandir, voire à naître, résolvant le handicap majeur des fonds propres insuffisants de ces structures et constituant un maillon jusqu’ici inconnu de l’industrie florissante des fonds d’investissement.

Le temps est donc plus propice pour que les jeunes entrepreneurs se saisissent de la chance qui passe. Ils détiennent aussi une grande responsabilité: celle de contribuer sur le terrain à une nouvelle philosophie de l’activité économique, soucieuse d’efficacité et de succès, mais aussi de droiture et de partage. C’est l’équilibre après lequel tout le monde court depuis longtemps en Afrique ou ailleurs. A la jeunesse africaine de montrer que ce n’est pas qu’un rêve, mais une réalité qu’elle peut porter en elle-même.

Paul Derreumaux

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Système bancaire africain

Quels instruments pour préserver les bénéfices de l’intégration financière dans l’UEMOA?

Quels instruments pour préserver les bénéfices de l’intégration financière dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine ?

 

L’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) est sans doute l’exemple le plus original et le mieux abouti d’intégration régionale en Afrique. Elle est aussi un modèle qui inspire souvent d’autres initiatives de renforcement d’une coopération économique, comme l’East African Communaity (EAC) en zone anglophone. Même si les résultats actuels de l’UEMOA restent imparfaits, les avantages apportés par cette association plus que cinquantenaire sont en effet suffisamment nombreux, tant en économie qu’en politique, pour qu’un renforcement de cette union soit activement encouragé, par les Autorités des pays concernés comme par les principaux partenaires financiers de l’Afrique.

C’est sans doute dans le domaine financier, et particulièrement bancaire, que l’UEMOA est la plus en avance et que cette réussite a apporté jusqu’ici le plus de résultats positifs. Pourtant, le séisme provoqué par la crise financière internationale de 2008, puis l’ébranlement de l’Euro et la fragilisation des puissantes banques européennes inquiète. Et si le renforcement constaté de l’intégration financière de l’UEMOA facilitait les risques de crise ? Comment dans ce cas réduire au maximum les possibles contagions et éviter un danger « systémique » par une résolution rapide des difficultés apparues ?

Un rappel parait utile au préalable. L’Afrique francophone, de l’Ouest comme du Centre, a déjà connu une crise bancaire systémique dans les années 1980. Elle est née de l’accumulation simultanée d’une série de difficultés touchant une grande partie des établissements de l’époque : portefeuille sinistré et mauvaise gestion pour les banques d’Etat, difficultés majeures sur les activités exportatrices qui représentaient une part essentielle de leur chiffre d’affaires pour les banques françaises. L’origine a donc été tant bancaire qu’économique, mais la propagation à tout le système financier s’est faite alors même que celui-ci était alors peu intégré. De nombreuses conséquences ont résulté de ce cataclysme : au passif, d’importants dépôts bloqués et non remboursés à ce jour à leurs détenteurs et de graves insuffisances momentanées de financement des économies par des banques affaiblies et prudentes à l’excès ; à l’actif, l’apparition de banques africaines privées, totalement inconnues auparavant, la construction de réseaux régionaux, le retour à la bonne santé financière du secteur, une profonde transformation et modernisation de la régulation et un renforcement de la supervision devenue régionale. Sur ce dernier point, l’UEMOA est donc en nette avance sur l’Union Européenne puisque la présence d’une Banque Centrale unique munie des pouvoirs nécessaires pour un contrôle globalisé de tous les établissements de l’Union est une réalité depuis 25 ans. Ces diverses mutations ont aussi des effets positifs sur la bancarisation des populations, les possibilités de financement des entreprises, et donc la croissance économique de la zone.

Si l’intégration financière est ainsi devenue réalité et facteur incontestable de progrès dans l’UEMOA, les excès qui la caractérisent dans les pays du Nord semblent pour l’instant peu présents dans la zone. Protégées par une réglementation sévère sur les placements à l’étranger autant que par leur petite taille et leur faible expérience, les banques de l’Union n’ont jamais été infectées par les actifs toxiques qui ont semé la panique aux Etats-Unis et en Europe en fin des années 2000. Les flux interbancaires, dont le tarissement a récemment menacé le blocage du système bancaire en Europe, sont encore très limités dans l’Union, surtout entre groupes distincts, en raison de la méfiance des banques entre elles et de la bonne liquidité générale du système. Pourtant, d’autres risques potentiels, générés par l’évolution des systèmes bancaires et de leur environnement, se manifestent et parfois grandissent. Trois au moins méritent l’attention.

Le premier est celui de la qualité et du caractère approprié de la réglementation régissant l’activité bancaire, et présente donc un aspect micro-prudentiel. Le dispositif de régulation est en effet le meilleur garant du maintien de la bonne santé retrouvée et de la solidité des établissements de la zone. En la matière, les règles applicables dans l’Union ne paraissent pas avoir connu toutes les transformations souhaitables, même si plusieurs vagues de mise à niveau – et de durcissement – ont eu lieu notamment entre 1990 et 2000. La comparaison avec  d’autres systèmes subsahariens comparables met d’abord notamment en valeur divers décalages en termes de ratios. Celui du capital minimal, maintenant fixé à 5 milliards de FCFA, soit 7,5 millions d’Euros, nous place derrière la majorité des pays africains. Celui du ratio de solvabilité « largo sensu », essentiel au vu des principes de Bâle II, demeure à 8% alors qu’il atteint 12% dans les pays de l’EAC. Celui relatif à la concentration des crédits limite toujours à 75% des fonds propres les concours les plus importants sur un seul risque alors que ce pourcentage est classiquement contenu entre 25% et 35% d’Accra à Madagascar. Enfin, il n’existe aucun ratio proprement dit de liquidité alors qu’un pourcentage fonds propres/dépôts de 8% doit être strictement respecté au Kenya et constitue une contrainte fort lourde. L’évolution vers des normes plus proches de celles appliquées  au plan international est donc souhaitable.

Parallèlement, les méthodes de supervision gagneraient à quelques changements qui renforceraient les contrôles existants tout en instaurant des rapports plus étroits et constructifs avec les banques de la zone. Une surveillance plus serrée du respect des principaux aspects de la réglementation serait en effet facilement admise dès lors que les conclusions mettent aussi en valeur les progrès accomplis sur des bases faciles à apprécier comme celle de l’indicateur « CAMEL » dans l’EAC.  La présentation obligatoire des conclusions des rapports d’inspection au Conseil d’administration des banques, déjà pratiqué ailleurs, serait aussi un utile enrichissement.

Le second risque vient des banques elles-mêmes et de leur environnement. Les récentes crises politiques de Côte d’Ivoire et du Mali ont montré la possibilité concrète de dangers tels qu’une fermeture provisoire mais totale d’établissements, des tentatives de non-respect de la légalité par certaines Autorités ou des destructions d’agences dans des régions ou villes en guerre. La prévalence dans chaque pays de la zone de systèmes économiques peu diversifiés et dominés par des cultures de rente ou des productions minières exportées et très dépendantes de cours internationaux volatils fragilise aussi les établissements bancaires : leur financement s’effectue en outre de manière plus intégrée, ce qui renforce le danger de mouvements procycliques. Le maintien d’une forte présence de sociétés étatiques, les graves dysfonctionnements des juridictions locales génèrent souvent d’autres difficultés. L’augmentation de plus en plus vive des crédits à la clientèle provoque immanquablement une diminution potentielle de la qualité du portefeuille des banques,  qui tend à se vérifier dans un nombre croissant d’établissements. Des bulles financières peuvent apparaitre, comme celle de l’immobilier qui guette dans certains pays, menaçant la valeur des garanties et les remboursements des crédits. Enfin, les banques marocaines ou nigérianes, dont les réseaux multi-Etats de filiales représentent désormais plus de 50% du système bancaire de la zone, peuvent être amenées à prendre des décisions de gestion ou d’affectation des résultats  de ces filiales qui tiennent davantage compte de leurs propres pratiques et préoccupations que  de celles de leurs filiales.

Même si ces risques restent jusqu’ici modérés grâce à la conjoncture ou ont été gérés sans dommage excessif lors des crises politico-militaires rencontrées, quelques mesures préventives seraient opportunes. Les plus importantes devraient concerner la protection des dépôts, pour éviter le retour à la situation des années 1980 : en la matière, la mise en place d’une assurance couvrant tous les dépôts bancaires inférieurs à un plafond donné, financée par la profession, offrirait une sécurité très supérieure à celle donnée par les Etats, précédemment défaillants. Cette mesure, appliquée de plus en plus généralement à la suite de la dernière crise internationale, a reçu un début de concrétisation en mars 2014 dans l’Union  et serait aussi de nature à favoriser la bancarisation. La réalisation d’inspections conjointes par les banques centrales des pays des sociétés mères et des sociétés filiales jettera les bases d’un contrôle consolidé capable de cerner au mieux et de façon équitable les intérêts de toutes les parties. Enfin, il pourrait être envisagé l’introduction de ratios variables selon divers critères, telles les caractéristiques de la conjoncture, pour introduire une composante macro-prudentielle dans la réglementation. Ainsi, le ratio de solvabilité pourrait-il être modifié selon les spécificités du bilan des établissements ou la part du résultat affectée au dividende être limitée en cas de progression inquiétante des crédits en difficulté. La responsabilité publique qui incombe aux banques dans la gestion des dépôts du public peut justifier de telles contraintes dès lors que sont réunies deux conditions : la bonne qualité des informations sur lesquelles seront fondées les décisions, sur la base de « stress tests » pertinents par exemple, et la vitesse de réaction de la Banque Centrale autorisant l’annulation rapide de décisions contraignantes en cas de retournement positif de situation.

Un troisième risque provient de l’endettement en croissance rapide des Etats. A partir de 1996, le recours à la Banque Centrale pour le financement des déficits budgétaires a été stoppé pour les Etats. Ceux-ci se sont alors tournés de plus en plus massivement vers le nouveau marché financier régional pour financer leurs besoins à court comme à moyen terme. La bourse régionale, expérience unique au monde, s’est en effet vite révélée en manque d’opportunités d’investissements, par suite de la rareté des privatisations par ce canal et de la frilosité des entreprises par rapport à cet instrument, face à une offre abondante de capitaux provenant initialement des banques et investisseurs institutionnels. Les emprunts d’Etat, bien rémunérés et défiscalisés, ont donc  aisément trouvé des preneurs et ils constituent maintenant une forte majorité du portefeuille obligataire sur le marché et un pourcentage important des placements en trésorerie de la plupart des banques. Ces appels au marché se généralisent – seul le Niger reste à l’écart pour l’instant – et leurs montants respectifs comme leur nombre s’amplifient régulièrement avec les besoins croissants des pouvoirs publics.

Cette évolution génère plusieurs dangers potentiels. Elle pourrait rapidement assécher le marché alors que celui-ci était initialement destiné au financement à long terme des entreprises. Elle s’effectue par ailleurs en dehors d’une coordination optimale de ces émissions qui permettrait de rationaliser le marché. Enfin, les critères selon lesquels sont autorisés ces emprunts à moyen terme normalement destinés à des investissements bancables ne sont pas définis avec la même rigueur et la même uniformité que celle qui prévalait lors de la mobilisation de capitaux dans le cadre de l’article 16 du traité de l’Union.  Avec les difficultés potentielles, économique et politique, que pourraient connaitre certains Etats, une affectation à des fins autres que celles d’investissements n’est donc pas exclue tout comme un risque de défaut, même temporaire, qui fragiliserait tout l’édifice bousier régional désormais en expansion. Pour remédier à ces risques, une gradation des mesures est envisageable. La plus facile et immédiate est celle d’une coordination et d’une programmation régionales des émissions de titres publics, pour faciliter l’absorption de ceux-ci par le marché et éviter de mettre en difficulté les émissions privées qu’il est souhaité développer : la Banque Centrale a déjà entrepris ce travail avec la création de l’Agence-Titres UMOA en 2013. La fixation de critères régionaux uniformes pour ces appels au marché financier permettrait aussi de fixer des limites acceptables par tous et aptes à mieux sécuriser le marché. Enfin, l’adoption de nouvelles règles relatives à cette composante des actifs bancaires, en termes de possibilités de refinancement par la Banque Centrale ou de plafonds en pourcentage du bilan par exemple, constitueraient aussi d’utiles garde-fous.

Les quelques risques recensés, qui ne sont pas exhaustifs, doivent être relativisés. Ils apparaissent effectivement modestes à court terme et très inférieurs  aux avantages que la société et l’économie régionales retirent des progrès de l’intégration. L’expérience vécue par l’Union dans les années 1980 tout autant que les grandes vicissitudes récentes de l’Europe incitent toutefois à la prudence. Le renforcement de tous les acteurs économiques et financiers et l’adoption par eux de comportements vertueux, imposés si  nécessaire par des règles contraignantes mais justifiées, économiseront beaucoup de difficultés et seront de précieux atouts pour réaliser les performances qui sont attendues de l’UEMOA.

Paul Derreumaux