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Mali : Les nouveaux défis du mois de la solidarité

Mali : Les nouveaux défis du mois de la solidarité

 

En cette deuxième quinzaine d’octobre, la chaleur un peu moite qui enveloppe la capitale malienne est accablante. Une capricieuse saison des pluies tarde à se terminer et de gros nuages noirs se font menaçants au-dessus de la ville.

Dans la cour joliment arborée des bureaux à Bamako des sœurs de l’Ordre des Filles du Cœur Immaculé, quelques chaises sont soigneusement rangées pour nous accueillir à l’occasion du don annuel que l’Association Dambe accorde à cet orphelinat depuis 2017. Peu de monde car l’orphelinat Dofini qu’elles gèrent depuis 2008 est à San, à trois cents kilomètres de là. Soeur Esther nous explique que les vivres et l’argent qu’elles reçoivent ce jour prendront dès la semaine prochaine cette direction pour approvisionner l’orphelinat qui abrite là-bas 93 enfants âgé de moins de 16 ans. La gentillesse et la bonne humeur des religieuses sont toujours les mêmes, mais elles ne peuvent s’empêcher d’évoquer, après la brève et simple cérémonie, les complications qu’elles subissent cette année. Les donateurs se sont en effet raréfiés et nous sommes les premiers à leur apporter un soutien depuis le début de ce mois d’octobre, appelé depuis longtemps au Mali le Mois de la Solidarité. Cette période apporte traditionnellement les plus grandes mannes à toutes les structures qui font ici un travail fantastique pour les nombreux démunis. Mais les assauts conjoints de la crise sanitaire du Covid-19 et de la conjoncture maussade issue des difficultés sécuritaires et politiques du pays ont fortement réduit les moyens en trésorerie des donateurs, publics comme privés. Les besoins ont suivi au contraire la pente inverse avec les compressions de postes dans de nombreuses entreprises, la diminution des revenus dans la plupart des familles modestes et les fréquentes hausses de prix des produits de base. Face à ce déséquilibre, l’orphelinat de San s’est donc vu contraint de ralentir, au moins provisoirement, l’accueil qu’il réservait aussi aux enfants des familles les plus nécessiteuses de la ville et de ses environs.

Ce sont les mêmes propos attristés que nous a tenus quelques jours plus tôt Fatoumata B. , la Directrice du Centre d’Accueil et de Placement Familial, que tout le monde appelle ici La Pouponnière 1. Créée par l’Etat, cette structure est l’une des plus importantes du Mali. Déplacée du centre de Bamako à Niamana il y a quelques années, la Pouponnière 1 y est installée dans un vaste bâtiment construit par les pouvoirs publics et abrite là 164 orphelins dont 53 handicapés. Fatoumata explique que Dambe et le rappeur Milmo, qui vient de nous précéder ce jour, figurent parmi les rares donateurs privés à s’être manifestés durant ce mois d’octobre. La gestion de l’orphelinat est donc devenue plus difficile qu’à l’accoutumée. La hausse des prix des produits alimentaires, qui restreint les possibilités d’achat, et la pression des demandes toujours aussi nombreuses -la police amène en moyenne par jour deux nouveaux orphelins trouvés à l’occasion de leurs interventions auprès de familles en détresse – conduisent souvent à des équations difficiles à résoudre. Les frais d’entretien des locaux aux nombreuses malfaçons pèsent aussi sur la gestion du Centre puisque l’Etat n’est guère en mesure de les assumer. Entourée de ses collaboratrices, la Directrice apprécie les sacs de riz et de sucre, les bidons d’huile, les grands boites de lait et tous les autres produits d’entretien qui lui sont apportés et rappelle avec émotion la pérennité de ce soutien qui va lui permettre de tenir plusieurs mois. Une partie des jeunes enfants est assise sagement sous la grande case au centre de la cour et dévore des yeux, en silence, les jouets qui accompagnent le don. Les plus audacieux s’approchent de ces « trésors » et choisissent sans doute mentalement celui qu’ils aimeraient recevoir, mais ils savent bien, comme on nous l’explique, qu’ils auront à partager ce cadeau inattendu avec un ou deux de leurs jeunes compagnons : ici le rejet de l’égoïsme n’est pas une parole creuse, mais une condition de survie. Au premier étage des locaux, nous retrouvons d’un côté les nouveaux-nés et, de l’autre, quelques enfants handicapés. Le tableau est poignant, parfois insoutenable. Difficile de savoir ce qui impressionne le plus : la fragilité des jeunes bébés qui n’auraient pas survécu sans le Centre, le dévouement des soignantes trop peu nombreuses, la simplicité extrême des locaux et des équipements, la vision douloureuse des handicapés dont l’éducation est si ardue, le sentiment que le combat ici mené, malgré sa vaillance, est si modeste par rapport à l’océan de misère à soigner que jamais il ne suffira. Et pourtant, l’effort supplémentaire est toujours présent : dans une salle voisine, une ONG allemande a équipé une salle de classe ouverte à ceux qui ne peuvent accéder aux écoles du voisinage et où l’équipe de Fatoumata se bat au quotidien au service des cas les plus difficiles.

Le spectacle est moins douloureux à Djiguya-Bon que nous avions visité le même jour. Dans cette structure d’accueil pour jeunes filles, l’Association Dambe fait presque partie de la famille et elle en est devenue l’un des principaux apporteurs de ressources en prenant le relais des quelques personnalités allemandes qui ont créé le Centre en 1984 avant de rentrer au pays. Les 58 pensionnaires actuelles, orphelines pour la plupart, sont assises dans le grand espace autour duquel se dressent les bâtiments qui abritent les dortoirs, les bureaux et l’atelier de couture du Centre, et assistent joyeuses, bien protégées des dangers de la rue, à la remise des dons. Nous les avons vues grandir et changer depuis les six ans qu’existe l’Association. L’espiègle petite Mama, qui approche maintenant ses dix ans, est devenue très réservée, mais est toujours aussi souriante avec son visage rond. Même si les jeunes filles quittent Djiguiya Bon à l’âge de 18 ans, alors scolarisées et après une formation professionnelle pour la plupart, elles gardent souvent contact avec Mariam S., Directrice et véritable âme du Centre depuis plus de 15 ans. Celle-ci assure, avec autorité mais humanité, une discipline de vie qui impressionne et se traduit dans la propreté permanente des installations. L’une de ses fiertés est d’avoir emmené désormais depuis 6 ans une dizaine de « ses » filles jusqu’au baccalauréat et parfois au-delà. Cette année, Oumou a rejoint ce groupe et discute avec Djenebou et Fatoumata devenues respectivement journaliste et cadre spécialiste des télécommunications, qui lui prodiguent des conseils sur ses choix d’études universitaires. Avec Mariam, la conversation porte surtout sur le nouveau challenge qu’elle voudrait relever. Djiguiya-Bon est sollicité pour prendre en charge des jeunes filles réfugiées à Bamako avec leur famille, à la suite des graves incidents qui ont frappé dans la région de Kayes les populations qui sont encore, par tradition locale, victimes de pratiques esclavagistes.  Certains des déplacés sont présents ce jour puisque Milmo, originaire de la région, leur a fait un don face à leur dénuement. Regroupés à l’ombre d’un grand arbre, le visage fermé, on sent dans leur silence inhabituel les effets du traumatisme qu’ils viennent de subir et leur inquiétude pour la période à venir. Agriculteurs pour la plupart, les chefs de famille sont sans aucune ressource et sans emploi. Mariam tranche vite : elle accueillera 6 jeunes filles de ce groupe : son effectif dépassera donc ses 60 places disponibles, mais la situation l’exige et tout le monde se serrera un peu. C’est sûrement ainsi, par petites touches et grâce aux efforts individuels, que s’allègera cette difficulté supplémentaire de l’heure.

Une surprise du même type nous attend à l’Orphelinat Ashed, dernière étape de ce bref périple. A Mountougoula, où la structure s’est installée depuis un an dans les nouveaux locaux construits grâce aux dons de l’Association et de quelques-uns de ses amis maliens et étrangers, nous sommes attendus joyeusement par la Directrice, Kadia D., et une quarantaine d’enfants. Leur jeune âge rend l’atmosphère plus brouillonne : un groupe nous adresse une bref chant de bienvenue ; quelques tout jeunes garçons se disputent des jouets de fortune ; le jeune Paul vient d’emblée saisir la main d’un visiteur qu’il ne lâche plus ; les ainées maternent les plus petits, visiblement habituées à ce rôle de « petite mère ». Pour Ashed, qui a longtemps vécu à Bamako dans des locaux vétustes et incroyablement exigus, la solidarité a toujours été une nécessité vitale et est devenue une seconde nature. Dans cette nouvelle installation plus vaste et mieux équipée, qui a changé la vie des jeunes orphelins souvent arrivés ici juste après leur naissance, elle reste ancrée dans l’esprit de tous. Les enfants sont désormais scolarisés dans l’école voisine du Centre et Kadia a installé un petit restaurant dans la ville, où son dynamisme  fait merveille: elle continue donc à jouer un rôle clé dans le fonctionnement d’Ashed, appuyée par les divers donateurs qui lui sont fidèles. Cette nouvelle quiétude n’a pas émoussé sa générosité. Elle explique que sont récemment arrivés dans la localité des réfugiés du Nord du Mali, chassés par l’insécurité qui gangrène le pays ainsi que par la chute de l‘activité économique « normale » et le vide administratif qui l’accompagnent. Le dernier rapport de l’ONU estimait à près de 400000 le nombre total des déplacés internes, dont beaucoup arrivent dans la capitale et ses environs. Mountougoula est maintenant un de ces sites « provisoires » et va probablement enfler comme ceux de Bamako. Un des réfugiés est venu assister à notre rencontre avec Ashed et explique leurs besoins. Malgré les circonstances, son ton est sans colère et il garde un pâle sourire. Nul doute que Kadia et Ashed trouveront une idée pour aider sa communauté.

Cette force combative indestructible anime toutes les Structures que l’Association a pris l’habitude de rencontrer et est sans doute l’aiguillon qui la conduit à renforcer son action année après année. Cette flamme est plus que jamais vivante à l’Association Malienne de Lutte contre les déficiences mentales chez l’enfant (Amaldème). Depuis près de 40 ans, l’Amaldème prend en charge les soins et l’éducation de jeunes handicapés mentaux et elle en compte actuellement environ 300. La Présidente Yasmina S. explique que le nombre élevé d’enseignants et de personnels soignants qu’exige cette vocation est spécialement budgétivore et que les difficultés de la période empêchent leurs deux principales sources de leur financement, l’Etat et les donateurs internationaux, de maintenir leur flux d’aide au niveau nécessaire. Elle continue toutefois à se battre contre cette adversité et parle avec optimisme, de sa voix toujours posée, de son projet de construction d’une unité de second cycle qui viendra compléter l’école déjà existante. Il est de « belles âmes » que rien ne peut arrêter.

Comme Dambe, d’autres donateurs privés maliens prennent chacun sous leur aile quelques structures méritantes et s’efforcent de pallier partiellement, à la hauteur de leurs moyens, les absences d’un Etat accablé par des urgences plus innombrables que jamais et les insuffisances d’une administration peu dynamique et imaginative. Leurs interventions ne sont certes que quelques rayons de soleil qui ne peuvent assécher la misère qui s’affiche aux yeux de tous, mais elles ont le mérite de sauvegarder l’espérance que tout est possible. Ce ne doit d’ailleurs pas être un hasard si les quelques institutions d’entraide rencontrées ces quelques jours sont dirigées par des femmes :  mères, épouses ou sœurs, déjà souvent le recours ultime dans leur famille, elles sont aussi les premières à faire le don d’elles-mêmes dans les environnements les plus difficiles. Puisse le Mali reconnaitre toujours à sa juste valeur le rôle éminent qu’elles ont déjà dans la société : le pays a bien besoin de quelques héroïnes…

Paul Derreumaux

Article publié le 10/11/2021

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Mali : Le mois de la solidarité

Un coin lumineux dans un sombre horizon

 

En quelques années, le Mois de la Solidarité, décrété au Mali chaque mois d’octobre, est devenu une véritable institution et connait un succès qui ne faiblit pas. Tout le monde va de sa bonne action, depuis les hommes (et femmes) politiques jusqu’aux individus en passant par les entreprises grandes ou petites. Pour les institutions de tous genres et les personnes physiques qui se consacrent à des actions sociales, ce dixième mois de l’année est devenu, avec le Ramadan et Noël, la période durant laquelle les soutiens qu’elles recherchent à longueur d’année sont les plus consistants. Ce flux inhabituel d’aide leur permet de réaliser quelque épargne pour satisfaire autant que possible aux besoins pour l’année entière.

C’est dans ces quelques semaines qu’on peut mieux saisir le rôle remarquable des initiatives qui  s’efforcent de répondre aux drames, aux désarrois, aux manques qui sont le lot d’une part de la population. En ce pays où près de 40% de la population vit encore sous le seuil de la pauvreté (moins de 1,25 USD par jour), beaucoup sont en effet encore loin de ce plancher et vivent dans une misère absolue, ne devant leur survie qu’à la générosité d’autrui.

Kadidia Deme est une de ces bonnes fées et l’orphelinat Ashed (Association pour le Soutien des Handicapés et Enfants Démunis) qu’elle a créé est une  structure étonnante. Restauratrice de son état, Mme Deme a recueilli « son » premier enfant abandonné en 2002. Elle ne sait plus trop bien pourquoi. Peut-être parce qu’une bouche de plus à nourrir importe peu dans cet environnement où les traditions vous ont donné l’obligation morale du partage, même (ou surtout) si vous possédez peu. Peut-être parce qu’il lui est apparu impossible de rejeter ce bébé dans la rue. Peut-être tout simplement parce qu’elle avait en elle les qualités rares de ceux qui arrivent à mettre leur sort au second plan face à la détresse des plus démunis. Ce hasard est sans doute vite devenu une évidence et une nouvelle raison de vivre et de se battre. C’est ainsi qu’est né Ashed, qui accueille ses petits pensionnaires dans un vieux bâtiment loué en face de son restaurant. Les enfants de Madame Deme arrivent ici amenés par des parents démunis de ressources, ou par des jeunes femmes chassées de leur famille ou violentées. Parfois, un nourrisson est laissé au petit matin devant la porte, comme on les a laissés en France pendant longtemps devant les Eglises. C’est Mme Deme qui le déclare alors à l’état-civil en lui donnant pour nom le prénom d’un ami ou d’un bienfaiteur du Centre. 59 gamins, âgés de 3 jours à 15 ans, sont aujourd’hui pensionnaires de ASHED. Au-delà de 15 ans, les adolescents sont repris par leur famille, même éloignée, ou intégrés autant que possible dans des centres de réinsertion. Les plus jeunes sont les plus nombreux, puisque le bruit s’est vite répandu que « maman Kadidia » a du mal à dire non face au grand yeux inquiets d’un enfant. Les nouveaux venus se multiplient lors des crises comme celle que le Mali traverse depuis 2012

Mme Deme a tellement eu l’habitude de se battre seule que cela parait presque normal et qu’elle hésite à tendre la main pour solliciter de l’aide. En 15 ans de dévouement, elle a reçu de l’Etat une belle lettre la félicitant pour son action au plus fort de la guerre contre les terroristes, mais aucun soutien financier n’a jamais accompagné cet encouragement. Alors, quand elle reçoit un appui, l’émotion la submerge et elle remercie sans cacher ses larmes d’émotion. C’est ce qui lui arrive ce jour : l’Association qui lui est désormais fidèle lui apporte argent, vivres et produits sanitaires pour au moins trois trimestres, De quoi tenir sans encombres la moitié de 2018. Une bonne partie des enfants se sont rassemblés pour la brève cérémonie. A la manière de jeunes mamans, les fillettes portent les plus petits. Bruyants, affairés, les enfants  vont et viennent entre les quelques invités. Pas de tenue endimanchée, mais quand même quelques splendides coiffures sur les têtes de petites élégantes. Les mines souriantes, pensives ou espiègles esquissent les personnalités qui commencent à se former. A l’annonce de chaque contribution reçue, tous applaudissent comme dans un spectacle, étonnés par l’effervescence qui règne encore davantage qu’à l’accoutumée. Une petite plus hardie, Aicha, se lance dans une danse improvisée au son de la musique d’un rap malien que crache un vieux haut-parleur. Rassurée pour l’avenir proche de ASHED, Mme Deme ose une confidence : une grande institution lui a récemment proposé de construire pour l’orphelinat un nouveau bâtiment, plus loin du centre-ville mais beaucoup plus grand. Alors, elle espère, patiente et optimiste : Dieu est grand.

Plus tard, le même jour, à quelques kilomètres de là, la Pouponnière de Bamako reçoit de la même Association son lot de vivres, de produits divers et d’argent frais. L’atmosphère est plus cérémoniale. Importante institution d’entraide du Mali, vieille structure étatique, la Pouponnière accueille des orphelins, comme d’autres établissements à Bamako, mais possède surtout un Service dédié aux handicapés moteurs ou cérébraux. Même plus officielle, l’atmosphère est tout autant poignante. Les nourrissons somnolent paisiblement au premier étage, souvent à deux par lit faute de place. Les jeunes enfants, les plus nombreux, sont assis sous une grande véranda, silencieux, attentifs. Amadou, un gamin de quatre ans, s’est cependant lancé dans un grand discours qui fait rire toute l’assemblée. Quelques enfants plus âgés, handicapés pour la plupart, évoluent dans la cour, dévisageant ces invités d’un jour. Les chambres sont propres et bien tenues et, comme chez Ashed, tout le monde a l’air en bonne santé. Les infirmières et aides-soignantes ont cet air décontracté du personnel médical habitué à rencontrer douleur et peur et capable par son calme de restaurer confiance et espoir.

La Directrice explique les problèmes qu’elle affronte chaque jour: afflux croissant des orphelins et des malades, exigüité  conséquente et vieillissement des locaux, insuffisance des dotations de l’Etat. Le nombre des enfants est passé en 10 ans d’une centaine à plus de 250, mais les moyens réguliers n’ont pas suivi pour le fonctionnement ou l’investissement. La Pouponnière subit de plus les effets de l’interdiction récente des adoptions par des étrangers. Difficile de savoir les raisons profondes de cette interdiction, mais son impact a été immédiat: les dotations financières des associations extérieures au Mali intervenant dans ce processus se sont drastiquement réduites et risquent de se tarir à bref délai La Pouponnière est en outre contrainte de garder ses petits hôtes beaucoup plus longtemps, ce qui risque de conduire à une situation intenable si ces moyens financiers ne se renforcent pas. Malgré ces menaces, calme et souriante, Mme Traore guide les visiteurs dans les Services et explique posément comment fonctionne La Pouponniére et ce qu’elle espère. Le personnel d’encadrement, en ce jour de détente, en vient à oublier sa fatigue, ses salaires dérisoires et le fait que l’effectif tend à diminuer alors que les petits pensionnaires ont plus que doublé. A l’annonce des contributions reçues, la doyenne des infirmières esquisse un pas de danse  et les enfants entonnent une chanson. Au Mali comme souvent en Afrique, rires et bonne humeur viennent cacher pudiquement la peur ou la souffrance.

La joie de Kadidia et de Mme Traore en ce samedi d’octobre ressemble bien sûr à une fugitive averse sur un sol désséché : agréable mais très insuffisante. Dans ce contexte, où les actions à mener dépassent de loin les bonnes volontés, l’Etat pourrait sans doute faire (beaucoup) plus malgré l’immensité de ses charges, dans au moins trois directions.

Un soutien de plus grande ampleur pourrait d’abord être accordé à ces actions privées, qui préservent sans doute la vie mieux que l’Etat pourrait le faire lui-même et qui sont au centre de l’inclusion dont tout le monde disserte. Le cumul des fraudes avérées, des surfacturations de toutes sortes, des perdiem injustifiés des fonctionnaires, des études inutiles et inutilisées, des milliards de FCFA investis dans des projets qui resteront sans suite donnerait l’importance des gisements de ressources existants. Leur réaffectation au moins partielle  à l’appui à ces initiatives, de façon objective et sous contrôle, permettrait  de multiplier ces oasis de survie et de réduire le nombre de ceux qui sont toujours exclus de tout.

Cette politique n’a toutefois de sens que si les jeunes ainsi sauvés ont accès à un enseignement et à une formation professionnelle dignes de ce nom, puis à la possibilité d’éviter le chômage, au même titre que ceux, plus chanceux, qui n’ont pas du affronter ces handicaps dans leurs premières années. Les difficultés actuelles, quantitatives et qualitatives, des secteurs de l’éducation et de l’emploi montrent bien l’ambition élevée de cet objectif. Pourtant, il devrait être obligatoirement pris en compte pour que la première étape n’ait pas été menée en vain. Il est aussi une autre facette de cette inclusion économique et sociale.

Enfin, la maîtrise de l’accroissement démographique semble une dernière condition essentielle  pour que les efforts accomplis aux deux niveaux précédents soient pleinement efficaces. Le lourd afflux annuel de population supplémentaire, les effets déstabilisants d’une urbanisation galopante et l’aggravation régulière de la pyramide des inégalités sociales se combinent en effet. Ils conduisent à une telle multiplication de ceux et celles qui se retrouvent dans ces situations de dénuement et d’isolement que le « gap » avec les capacités de réponse aux besoins ne peut que grandir.

Loin de ces réflexions soucieuses, Aicha chez Ashed, Amadou à la Pouponnière, et tous leurs petits compagnons, s’endorment paisiblement, fatigués par l’excitation de cette journée. Leur esprit s’évade dans des songes sans doute emplis de jeux, sans peur de ce qu’ils vont vivre le lendemain. C’est sans doute la première récompense de ceux qui prennent soin d’eux.

Paul Derreumaux

Article publié le 24/11/2017