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Système bancaire africain

Banques africaines : vers de nouveaux challenges ?

Banques africaines : vers de nouveaux challenges ?

 

Les premiers mois de 2015 auront apporté peu de surprises aux yeux de ceux qui suivent de près l’évolution des systèmes bancaires africains. Certains évènements survenus sont pourtant très symboliques. Ils montrent bien que les principales tendances récentes se poursuivent et que quelques attentes se concrétisent.

Les années 2013/2014 avaient marqué un net ralentissement de l’expansion des principaux groupes, marocains et nigérians notamment, qui avaient fait la « une » de la fin de la décade précédente par leur appétit de croissance apparemment insatiable. Aux opérations spectaculaires de rachats et de créations en vue de la constitution de grands réseaux régionaux ou panafricains a alors succédé une phase normale de consolidation des ensembles construits souvent en quelques années. Selon les circonstances, ce changement a été imposé par les banques centrales des pays d’origine, par les contraintes financières des banques concernées ou par un nécessaire renforcement des structures ainsi acquises. Dans tous les cas, ce ralentissement spectaculaire dans l’extension des principaux réseaux a eu les mêmes effets. Les maisons-mères ont en effet mis à profit ce répit pour mener les restructurations parfois requises, pour accroitre leur main-mise sur les filiales récemment acquises, pour déployer des systèmes de suivi des risques et de développement commercial déjà testés dans les pays d’origine. Ces améliorations techniques, favorisées par une croissance toujours vive en Afrique subsaharienne, ont dans l’ensemble porté leurs fruits. Les bénéfices – en valeur absolue comme en poids relatif – dégagés par les entités subsahariennes appartenant à ces groupes dominants ont augmenté ces deux dernières années, en particulier pour les trois groupes marocains concernés par cette aventure. Les hausses récentes des  participations de ces trois groupes dans certaines de leurs filiales confirment d’ailleurs l’intérêt financier croissant qu’elles y trouvent.

Les groupes ainsi consolidés vont pouvoir tester leurs forces dans une concurrence qui s’étoffe. De nombreuses banques régionales poursuivent l’extension de leur assise géographique, notamment en Afrique de l’Ouest : Coris Bank a ouvert ses portes à Bamako et la banque gabonaise BGFI vient d’obtenir son agrément pour le Sénégal, tandis que les camerounais d’Afriland First Bank achètent une compagnie d’assurances en Côte d’Ivoire pour élargir leur potentiel d’activités. Les banques kenyanes poursuivent leur expansion dans l’East African Community (EAC). La holding financière Atlas Mara annonce son projet d’achat de la Banque Populaire du Rwanda, pour la fusionner avec la Banque rwandaise de Développement qu’elle contrôle déjà, ce qui renforcerait ses trois pôles de croissance. La Société Générale, seule banque française encore offensive sur le continent, évoque elle-même plusieurs projets d’implantation allant du Togo au Mozambique. Face à ces réseaux déjà puissants, les initiatives isolées se font rares mais existent : un nouvel établissement, la Banque du Sénégal, a ainsi été récemment agréé sur la place de Dakar pourtant déjà fort concurrentielle.

Toutefois, l’information capitalistique la plus surprenante  vient de Côte d’Ivoire et… du Canada. La Banque Nationale du Canada (BNC), sixième banque de ce pays, a racheté au fonds d’investissement Emerging Capital Partners (ECP) les 26% que ce dernier détenait dans la holding NSIA-Participations, maison mère de la banque BIAO, elle-même troisième plus important établissement ivoirien. Il s’agit là de la première incursion africaine d’une banque canadienne, à l’exception des Caisses Desjardins plutôt orientées vers la micro-finance. Effectuée en partenariat avec le fonds Amethis, cette opération est donc forte de symboles. Elle donne une  confirmation supplémentaire de l’attrait croissant que suscite le continent sur les groupes internationaux de tous horizons géographiques. Elle marque l’introduction en Afrique d’investisseurs bancaires étrangers imprévus, après l’entrée en force du Qatar en 2014. Elle devrait aussi conduire à une politique de renforcement structurel et d’expansion géographique de la BIAO grâce à l’expérience et à la puissance financière de la BNC. Avec cette montée en force de son pôle bancaire et la large empreinte géographique de son réseau de compagnies d’assurances, le groupe NSIA pourrait innover. Il a en effet de bonnes cartes pour la constitution d’un véritable groupe de « bancassurance », au moins à l’échelle francophone, ambition affichée par de nombreux réseaux mais pas encore vraiment atteinte jusqu’ici. Le principal pari restera d’apprécier la qualité de l’entente entre deux partenaires venant d’horizons si différents.

Pendant que se poursuivent ces  mouvements dans le panorama des acteurs en présence et que se renforce la concurrence entre établissements, les banques centrales durcissent comme prévu leurs exigences. Le fait le plus illustratif est ici la décision annoncée en avril 2015 par la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) de doubler le capital minimum des établissements bancaires de la zone en le portant à 10 milliards de FCFA, soit environ 20 millions de dollars US. Attendu depuis longtemps, ce relèvement ne surprend pas. La durée de quelque deux ans accordée aux banques pour cette mise à niveau – contre trois ans pour l’augmentation précédente de 4 milliards de FCFA décidée en 2007 – laisse d’ailleurs penser que la Banque Centrale mettra plus que par le passé la pression pour l’application de cette mesure. Fin 2012, 24 banques étaient encore en effet en infraction dans l’UEMOA par rapport à la norme de 5 milliards de FCFA censée être en vigueur depuis fin 2010. Ce renforcement des capitaux propres apparait indispensable et urgent face à l’accroissement rapide des bilans des banques de la région, à l’accumulation des risques qui en résulte, à la faible capitalisation de nombreux établissements et aux exigences accrues des normes réglementaires internationales.. L’Union Economique et Monétaire (UEMOA) est d’ailleurs en retard par rapport à de nombreux pays de structure économique comparable. Ce capital minimal requis est ainsi déjà élevé à 20 millions de dollars dans l’Afrique Centrale francophone depuis 2009 et atteint 60 millions de dollars au Ghana. D’autres augmentations sont encore annoncées sur d’autres territoires. Dans les pays où ce seuil reste modéré, comme le Kenya ou le Maroc, une batterie d’indicateurs et une surveillance très étroite des banques centrales compensent la modestie de la barrière d’entrée capitalistique. Avec ces dispositions, et quelques autres comme le renforcement des contrôles et la généralisation progressive des règles de Bâle II, les Autorités monétaires comptent être mieux en mesure de répondre aux nouveaux défis liés aux transformations des économies et des systèmes bancaires d’Afrique subsaharienne depuis deux décades, comme le montrent les deux exemples suivants.

Face à la croissance économique enfin observée et qu’il faut consolider, l’objectif majeur est celui d’une plus forte contribution des systèmes bancaires nationaux au financement du développement de chaque pays, et les progrès à accomplir à cette fin restent immenses. Même s‘ils ont nettement augmenté sur la période, les taux de bancarisation demeurent faibles : près de 50% au Kenya, mais 15% seulement au Sénégal et moins encore en moyenne dans l’UEMOA. Le poids des crédits bancaires dans le Produit Intérieur Brut (PIB) est toujours très inférieur à celui de nombreux pays à développement économique comparable. Les systèmes bancaires locaux doivent donc évoluer rapidement pour tenir leur place dans le financement des investissements considérables nécessaires pour alimenter la croissance future de l’Afrique. Il leur faut à la fois collecter davantage d’épargne et octroyer plus de crédits, y compris aux emprunteurs les plus risqués comme les Petites et Moyennes Entreprises. Face à des missions plus nombreuses et des risques plus élevés, la solvabilité des banques doit être plus assurée. L’accroissement des fonds propres est ainsi une des premières conditions préalables à satisfaire et il est probable que le mouvement actuel va s’accentuer. Il pourra s’opérer à la fois par de nouvelles augmentations du capital minimum demandé ou par l’imposition de ratios qui auront la même conséquence indirecte.

Devant des systèmes bancaires dominés par de vastes réseaux, les banques centrales sont aussi confrontées à des risques nouveaux posés par les banques « transafricaines », dans lesquelles le contrôle d’un établissement d’un pays donné est exercé par une banque d’une autre zone géographique du continent. Les motivations de la maison mère peuvent ne pas toujours coïncider avec les priorités économiques des nations où est implanté son réseau. L’Autorité Monétaire du pays d’une banque holding peut elle-même être davantage préoccupée par le risque systémique qu’un ensemble de filiales va faire courir à l’institution qu’elle contrôle, et prendre des décisions peu compatibles avec la contribution optimale de ces filiales au développement économique de leurs pays. Les liens étroits qui se tissent entre institutions de régulation montrent la prise de conscience de ces possibles dissonances et la volonté  de les résoudre au mieux. L’augmentation obligatoire du capital des banques locales et la mise en place de ratios réglementaires de plus en plus sévères restent cependant une des voies les plus immédiates pour répondre aux souhaits de chacun.

La présence d’acteurs bancaires de plus en plus nombreux et diversifiés malgré le durcissement logique des règles de la profession atteste de la bonne santé actuelle du système bancaire subsaharien. Des études récentes confirment d’ailleurs l’attractivité du secteur sur les investisseurs et ses bonnes perspectives de croissance et de rentabilité à moyen terme. Cette compétition de plus en plus en plus aiguisée et la meilleure solidité financière demandée aux banques africaines seront normalement deux atouts importants pour que ces prévisions optimistes se concrétisent. Le système bancaire pourra alors être un des fers de lance des nouvelles transformations de l’Afrique, comme il l’a été depuis près de trente ans.

Paul Derreumaux

19/05/2015

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