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Élection présidentielle aux États-Unis : état des lieux et effets possibles

Élection présidentielle aux États-Unis : état des lieux et effets possibles

Dans moins de 20 jours auront lieu les nouvelles élections présidentielles aux États-Unis. Celles-ci sont d’abord assorties de deux grandes interrogations.

La première est exceptionnelle. En raison de l’importance attendue des votes par correspondance et de la position du candidat Trump, Président en place, par rapport à ceux-ci, les résultats de l’élection pourront-ils être connus dans les délais très courts habituels ? Donald Trump a laissé planer des menaces de forte prolongation de ces délais, voire de refus de prise en compte de ces votes spécifiques, et il a déjà montré sa capacité à prendre des décisions aussi outrancières. Il faudra toute la force de la machine démocratique américaine pour empêcher une dérive en la matière.

La seconde est habituelle. L’originalité du système de vote américain permettra-t-il de faire coïncider le choix de la majorité des voix exprimées avec celui des grands électeurs, à la différence de ce qui s’est produit en 2016 ? Même si la détermination de la plupart des partisans de M. Trump reste intacte, les sondages donnent en effet maintenant Joe Biden probable vainqueur. L’évolution naturelle de la composition de la population américaine, dans laquelle les latino-américains et les afro-américains prennent régulièrement une place croissante, joue déjà en faveur du camp démocrate. Les erreurs de gestion sanitaire de la pandémie du Covid-19 et certaines décisions erratiques sur les mesures prévues pour en réduire les impacts économiques négatifs sur l’emploi ou le revenu des ménages sont aussi plutôt favorables à M. Biden. Mais celui-ci doit faire face aux handicaps liés à la position encore indécise des grandes entreprises et de la bourse, attachées aux politiques fiscale et protectionniste défendues durant la mandature actuelle, et aux méfiances liées à son âge. M. Trump pourrait enfin avoir encore  dans son « sac à malices » quelques surprises de dernière minute qui pourraient modifier l’état des forces en présence.

Dans tous les cas, les quatre années de cette Présidence Trump n’auront pas rehaussé l’image des États-Unis. A aucun moment, le Président n’a eu la volonté de rassembler tout le pays derrière quelques idées-forces qui auraient été à la hauteur des enjeux assaillant le monde en ce début du 21ème siècle et qui auraient répondu à la place qu’y occupe la première puissance mondiale.  Il est resté fidèle à ses électeurs, laissant béante la fracture observée en 2016 entre deux visages des États-Unis, sans d’ailleurs pouvoir répondre totalement aux attentes de ses mandants, ni même de l’ensemble du camp des Républicains. Il en est résulté par exemple, au plan intérieur, de longues batailles avec la justice ou le Congrès sur des décisions prises conformément à son programme sur l’immigration, une brusque relance de la tension raciale en mai 2020 suite au décès de Georges Floyd et aux autres « incidents » qui ont suivi. Au plan international, des avancées durement acquises comme l’accord international de Paris sur le climat fin 2015 ou celui conclu avec l’Iran en matière nucléaire ont été remises en cause unilatéralement. En revanche, on a enregistré pendant ce quadriennat des initiatives « trumpiennes » spectaculaires mais peu efficaces vis-à-vis de la Corée du Nord ou de la zone Irak/Syrie, ou des positions clivantes rendant de plus en plus difficile l’unité du camp occidental en matière de sécurité. Deux des questions majeures que sont les rivalités avec la Chine d’une part et la Russie d’autre part se sont enfin accentuées sans esquisse de solutions qui auraient permis une atténuation durable des tensions observées ou un équilibre plus stable entre ces divers acteurs.

Si le candidat Trump venait à l’emporter, malgré les pronostics dominants actuels, il est probable que les actions conduites et les décisions prises continueraient leur tracé essentiellement chaotique, tant sur le plan domestique qu’en politique étrangère, avec tous les risques que cela peut induire pour le monde entier face à des contextes mondiaux très préoccupants et à des interlocuteurs à la stratégie plus cohérente. Seule la percée réalisée dans une stabilisation au Moyen-Orient grâce à la pacification des relations entre Israël et quelques pays arabes constituerait sans doute une idée directrice à préserver en en surveillant les effets. Pour le reste, le contrôle étroit et permanent du Congrès et de toute l’Administration américaine sera nécessaire pour éviter les excès de certaines orientations-ou réorientations- du Président. Encore cette surveillance pourrait-elle être rendue plus difficile avec le nouvel équilibre attendu au sein de la Cour Suprême suite au décès de la doyenne des juges qui la composent et la désignation d’une nouvelle juge aux préférences très conservatrices.

Si le favori Joe Biden emporte le match de novembre prochain, comme beaucoup le pensent maintenant, la politique américaine gagnerait normalement une meilleure lisibilité, mais ses orientations stratégiques ne seraient vraisemblablement pas totalement remises en question. S’ils gardent en effet encore leur statut de première puissance économique mondiale, les États-Unis sont plutôt sur la défensive face à la Chine qui montre ouvertement sa détermination à conquérir cette place, tant au plan économique que politique. Ce duel dominera les relations internationales comme les décisions de politique interne des deux rivaux, mais aussi de leurs alliés respectifs. A l’intérieur des États-Unis, le Président démocrate devrait reprendre une gestion plus « classique » en soutenant bien sûr les entreprises leaders de l’économie américaine, pour préserver sa place internationale. Il devrait cependant appuyer aussi le renforcement des investissements de nombreuses infrastructures, où les retards s’accumulent, et les petites entreprises touchées par le ralentissement brutal de l’économie en 2020, pour réduire le chômage. Il est également probable que ces actions tiendront compte davantage, dans les domaines de l’énergie ou de l’agriculture par exemple, des contraintes liées aux dérèglements climatiques, dont souffrent par exemple beaucoup la Californie ou la Louisiane et qui ne devraient plus être considérés comme une « invention ». Au vu de la campagne électorale en cours, il est enfin vraisemblable qu’un accent accru sera porté sur une meilleure cohérence dans la lutte contre le Covid-19, sur la mise en place de soutiens budgétaires diversifiés pour lutter contre les effets économiques de la pandémie, sur une politique fiscale moins généreuse pour les plus riches, sur la relance de l’ « Obamacare » (Affordable Care Act), si les moyens financiers sont disponibles, et sur des tentatives d’apaisement des tensions raciales. A l’international, la politique de rivalité économique et politique avec la Chine pourrait s’exprimer de manière moins belliqueuse et fluctuante, d’une part, et inclure la recherche d’alliances stables, telle celle de l’Union Européenne si celle-ci arrive à définir une position commune en la matière. En matière diplomatique, il est à craindre que les États-Unis de s’impliqueront pas davantage dans la zone Irak/Syrie face à la Russie pour une diminution des tensions locales ; en revanche, l’appui aux actions de normalisation entre Israël et certains pays arabes pourrait être poursuivi et avoir un impact positif sur une désescalade au Moyen-Orient. Enfin, on peut attendre que le nouveau Président renoue avec l’accord international sur le climat et fasse contribuer davantage son pays au succès de celui-ci, même s’il doit lutter contre de puissants lobbys, d’un côté, et qu’il poursuive avec la même détermination la lutte contre le terrorisme islamiste et contre l’immigration illégale, d’autre part. Il est difficile en revanche de prévoir les évolutions possibles d’une politique globale vis-à-vis, par exemple, d’une Russie toujours conquérante mais économiquement affaiblie, ou d’un Iran à l’intérieur duquel les incertitudes politiques grandissent.

Même si ce scénario d’une victoire démocrate se concrétise, l’Afrique ne doit pas s’attendre pour elle  à de grands changements de la part des États-Unis et continuera à rester globalement un centre d’intérêt mineur loin derrière l’Asie, toujours prioritaire, la riche Europe, le turbulent Moyen-Orient et l’Amérique du Sud voisine.

Au plan économique, le continent a perdu de son intérêt immédiat en tant que terre d’investissement et marché potentiel depuis le net recul de sa croissance à compter de 2016 et d’une hausse des incertitudes sur son devenir. Les principales exceptions économiques concernent l’énergie, où les États-Unis surveillent attentivement toutes les évolutions qui pourraient compromettre leur sécurité, et les nouvelles technologies, par suite des retards actuels à combler de l’Afrique en ce domaine et des potentialités de « business » que cela implique. Pour la plupart des autres aspects économiques, la Chine a pris une nette prédominance en matière commerciale comme financière, et maintient une démarche très offensive. Pourtant, des initiatives pertinentes pourraient être relancées ou renforcées comme l’African Growth and Opportunity Act » (AGOA), qui favorise les exportations africaines en direction des États-Unis, ou les accords de « Millenium Challenge », qui peuvent financer de grands investissements en infrastructures.

Au plan politique, la présence américaine s’exerce à ce jour surtout dans la lutte antiterroriste, principalement dans les actions de renseignement mais aussi dans les actions sur le terrain. Cette coopération avec les pays africains devrait se maintenir, voire s’approfondir, en raison de la montée du péril islamo-fasciste. Elle est essentielle dans la résistance que s’efforcent de conduire les pays africains et leurs alliés face à ce danger et il est souhaitable qu’elle puisse être menée avec une plus grande concertation entre toutes les forces combattant les terroristes. C’est à ce prix que pourraient être obtenues les plus belles victoires sur ce terrain. Une présidence démocrate ramènerait aussi sans doute les États-Unis dans le « tour de table » de grandes institutions internationales comme l’OMS ou l’UNESCO, et consoliderait les moyens de celles-ci. Pour le reste, les amitiés africaines sont davantage courtisées par les nouveaux partenaires du continent -Chine, bien sûr, mais aussi Russie et Turquie -, pour des considérations autant économiques que politiques, sans que les États-Unis paraissent réagir pour l’instant. Enfin, la question de l’émigration économique africaine, qui préoccupe de plus en plus l’Europe pour des raisons de proximité, n’est guère sensible aux États-Unis.

Il est certain que ce manque d’attention au continent traduit de la part des États-Unis une vision à court terme qui ignore les transformations attendues en Afrique, notamment subsaharienne, dans moins d’une décennie. Celles-ci sont quasi-certaines en démographie, où le continent « pèsera » en 2030 plus de 20% de la population mondiale. D’autres sont possibles en économie où, dans dix ans, soit un nombre croissant de pays africains pourront entrer solidement dans de nouvelles étapes du développement et entrainer leurs voisins, soit, dans le cas contraire, la quasi-totalité des nations subsahariennes resteront enfoncées dans un chômage de masse et une misère touchant près de 40% de leur population avec les conséquences internationales qui peuvent en résulter. Dans les deux cas, le sort de l’Afrique influera sur le monde beaucoup plus qu’aujourd’hui et les Africains se souviendront sans aucun doute de ceux qui les ont négligés comme de ceux qui les ont vraiment aidés.

Paul Derreumaux

Article publié le 23/10/2020

 

 

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Brexit, Trump, France 2017 : quelques dures leçons pour l’Afrique ?

Brexit, Trump, France 2017 : quelques dures leçons pour l’Afrique ?

 

En moins de 12 mois, trois votes majeurs auront sans doute remis en question pour beaucoup d’africains le modèle de démocratie qu’ils pouvaient imaginer dans les principaux pays du Nord.. En juin dernier, la Grande-Bretagne décidait, après une campagne mensongère et meurtrière,  de sortir de l’Union Européenne où elle était entrée en 1973. Dix mois plus tard, personne n’est encore vraiment capable de savoir jusqu’où mènera ce « Brexit », et les risques économiques sous-jacents du vote sont toujours d’actualité. Aux Etats-Unis en novembre dernier, l’outsider Donald Trump s’est imposé, après une bataille électorale pour le moins médiocre, grâce à des arguments souvent jugés  irréalisables mais qui ont fait mouche. Six mois après, la démocratie américaine a prouvé sa capacité à bloquer les idées tourbillonnantes du nouveau Président. M. Trump n’a cependant pas renoncé à profiter du moindre espace d’action, comme le montrent la crise avec la Corée du Nord et l’annulation de l’ « Obama Care ». En France, l’élection présidentielle intervient après un quinquennat où les questions sociétales et de sécurité ont pris le pas sur des réformes économiques aux résultats médiocres. Des évènements exceptionnels ont marqué la campagne: poids inhabituel des « affaires » ; primaires dans les grands partis où les perdants n’ont pas respecté leurs engagements ;  victoire d’un candidat largement mis en avant par les médias ; succès des extrémismes de droite et de gauche. Les résultats du premier tour ont donc pris de court tous les acteurs du jeu politique et amené un deuxième tour aux débats décevants et au résultat largement prévisible.

Logiquement attentive aux évènements politiques de ces trois grands partenaires du continent, l’Afrique pourrait sans doute tirer au moins trois leçons de ces nouveautés.

D’abord, le nombre et la violence des attaques personnelles, le rôle clé de l’action médiatique au profit de certains, le caractère clairement mensonger ou impossible de beaucoup de promesses ne permettront plus que ces élections constituent des modèles pour l’Afrique. L’assassinat perpétré à Londres en juin dernier a constitué un retour vers des comportements passés qu’on pouvait espérer désormais exclus. En France, la délectation avec laquelle les médias ont d’abord privilégié les déboires judiciaires de M. Fillon, le traitement inégal longtemps accordé aux divers candidats dans l’accès à la parole rappellent trop de scénarii africains logiquement critiqués. La campagne américaine avait elle-même eu en 2016 son lot d’injures réciproques et d’anomalies. La qualité des options politiques et programmes de gouvernement présentés s’en est donc trouvée moins déterminante qu’elle ne l’aurait dû en cette période cruciale. Il en résulte une conclusion majeure : dans les deux élections anglaise et américaine, les résultats ont été immédiatement contestés à travers de grandes manifestations. En France, les deux concurrents du deuxième tour représentent de même nettement moins de 50% des électeurs et le choix final pourrait soulever des débats inconnus depuis longtemps. Cette situation, qui fait penser à celle de nombreux pays africains, n’incitera pas ceux-ci à améliorer leurs pratiques.

En second lieu, un thème central de ces trois joutes électorales a été le choix entre le repli sur soi et l’ouverture sur l’extérieur – le monde entier pour les Etats-Unis, l’Europe pour la France et la Grande-Bretagne – . Même si le camp de l’ouverture a gagné en France, en raison de la connotation historique particulière du Front National, celui du repli aura considérablement progressé partout et aura vaincu dans les deux autres pays. Sa manifestation traduit une volonté de rupture avec l’ordre antérieur en raison de la gravité des souffrances et de la colère d’une large partie de la population face aux règles d’une Union Européenne fonctionnarisée ou d’une mondialisation amorale. Elle marque aussi l’incapacité des partis dominants à apporter des réponses valables et le refuge vers les extrêmes de gauche ou de droite, les solutions inattendues ou les personnalités iconoclastes pour faire valoir ces protestations. Il sera dès lors difficile pour ces Etats victimes de rebellions en leur sein de continuer, comme par le passé, à prôner les regroupements régionaux et l’intégration au monde extérieur comme remède au sous-développement et aux inégalités des pays les moins avancés. Les adversaires de ces options ne manqueront pas de s’emparer de cette fronde des pays nantis pour ralentir les progrès possibles de  coopérations régionales déjà très bureaucratisées et peu performantes. Même si l’embarras et les reculs parfois déjà amorcés à Londres et Washington remettent en cause cette approche nationaliste, le mal aura été fait.

Enfin, les confrontations ont mis en exergue des espaces géographiques de plus en plus antagonistes : les grandes villes contre les petites cités et les campagnes. Les premières relèvent la tête après la crise mondiale de 2008 et leurs habitants sont, au moins pour une fraction, emportés dans les bénéfices de la compétition mondiale. De celle-ci, les secondes ne supportent surtout que les inconvénients – isolement, dégradation des services publics, chômage… – et perdent l’espoir d’être aspirées vers le haut dans leurs conditions de vie par le dynamisme des principales agglomérations. Cette dichotomie spatiale est une réalité bien plus avancée en Afrique, surtout subsaharienne. Dans celle-ci, quelques grandes zones urbaines, en rapide accroissement, tirent beaucoup plus d’avantages des croissances du Produit Intérieur Brut (PIB) et des progrès de certaines infrastructures que les zones rurales marquées par des établissements d’enseignement et de santé souvent en déshérence, des pertes continues de substance économique et un sentiment d’abandon aggravé par la montée de l’insécurité. A la différence des pays du Nord, ces régions s’expriment en outre rarement dans les élections, même si elles sont encore pour un temps les plus peuplées, et ne sont donc même pas courtisées par les dirigeants. Leur sombre tableau pourrait bien être une vision futuriste des espaces ruraux français si les tendances actuelles ne sont pas d’urgence corrigées.

Ces trois mauvais exemples amèneront-il les responsables des pays les plus avancés et les grandes organisations qu’ils dirigent à plus d’humilité et à un remaniement des discours et des actions pour les politiques de développement. Ce n’est qu’un espoir mais pas une certitude. Pourtant, alors que la croissance économique de l’Afrique a faibli et où les réformes structurelles lui sont demandées avec insistance, la prise en compte des échecs, lacunes et insuffisances vécues au Nord pour une refonte des stratégies recommandées aux pays subsahariens serait particulièrement opportune et synonyme de plus d’efficacité. Souhaitons que les nouveaux leaders de notre monde le comprennent.

Paul Derreumaux

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Elections américaines : quelles conséquences pour l’Afrique ?

Élections américaines : quelles conséquences pour l’Afrique ?

Pour les Africains, dirigeants comme citoyens, les dernières élections présidentielles aux Etats-Unis appellent deux questions : Quelle sera la spécificité de l’ « expérience Trump » pour les quatre ans à venir ? Qu’apportera à l’Afrique le nouveau dirigeant de la première puissance mondiale ?

Ainsi donc les sondages ont été démentis, les prévisions contredites et M. Trump a gagné. Une fois la surprise passée, deux explications du résultat peuvent être tentées.

D’abord l’originalité de la démarche de Donald Trump. Celui-ci, qui n’avait rien à perdre vu son statut de riche homme d’affaires, a décidé dès le départ de mener sa bataille électorale sur des attaques personnelles, menées avec outrance contre les minorités raciales, l’immigration,  les lois sociales du Président Obama, le libéralisme, l’ « establishment » sous toutes ses formes. Dépassant les thèmes habituels anti démocrates, ses propos se sont calés sur les problèmes de la masse d’américains blancs, victimes du chômage, de la délinquance, de la pauvreté, du déclassement et d’une montée des inégalités qu’ils considèrent comme irréversible avec les politiques actuellement menées. Les critiques de plus en plus extravagantes contre l’adversaire démocrate ont finalement plu au noyau dur de son public au lieu de lui faire peur : malgré sa richesse, et peut-être grâce à sa violence, Trump leur est apparu comme l’un des leurs.

Face à lui, Hillary Clinton n’a pas pu (ou su) mobiliser avec la même vigueur tout le camp démocrate. Dans celui-ci, on compte en particulier une bonne part des populations noires et hispaniques, de plus en plus nombreuses, dans la ligne de mire des menaces de Donald Trump. Cette partie des électeurs avait été décisive dans la réélection de Barack Obama face à Matt Romney, et devait logiquement l’être davantage ici en raison de son poids croissant dans la population totale. Pourtant, ce soutien n’a pas été à la hauteur escomptée : ni la grande expérience des affaires publiques de la candidate, ni l’appui annoncé de Bernie Sanders, ni l’engagement à ses côtés du Président Obama n’ont suffi pour compenser une campagne insuffisamment orientée vers les préoccupations des classes les plus populaires, ni faire oublier les déceptions ressenties après les deux mandats du Président sortant.

La carte des résultats de l’élection de novembre illustre cette fracture : les régions économiquement « en panne », voire déshéritées, ont été plus favorables à M. Trump que les grandes villes offrant à chacun plus d’occasions de faire sa place. Les manifestations « anti-Trump » après la victoire de celui-ci en sont une démonstration a contrario.

L’élection surprise du candidat républicain conduit de toute façon à de grandes interrogations. Dans son « programme », finalement peu débattu et mal connu, les principales idées frappent par leur brutalité et parfois par leur incohérence. Il est probable, comme le montrent de premiers exemples, que le Président Trump se sentira d’autant moins lié par ses promesses qu’elles étaient imprécises. En bon homme d’affaires qu’il est, il sera surtout pragmatique, soucieux de l’évaluation des effets de ses politiques et capable de modifier celles-ci si nécessaire. Il reste à savoir quels seront dans ce cas ses véritables objectifs puisque sa base électorale se constitue à la fois des populations blanches paupérisées mais aussi des classes républicaines les plus aisées, deux catégories plutôt contradictoires.

Pour les questions économiques et sociales nationales. le vaste programme d’infrastructures et d’investissements publics envisagé peut soutenir l’activité, et redonner vie aux régions en détresse qui ont soutenu sa candidature. Son financement sera cependant difficile. Les baisses d’impôts, déjà annoncées, imposeront un gonflement du déficit budgétaire qui risque d’accélérer la hausse des taux d’intérêt. Celle-ci pourrait protéger le pays de l’inflation mais aussi gêner la consolidation de la croissance économique. Au plan social, les premières orientations fiscales ne semblent pas aller vers une réduction des inégalités tandis que la couverture sociale des populations les plus pauvres, un moment menacée de démantèlement, pourrait finalement être en partie préservée. Le rejet des immigrés clandestins et une politique plus restrictive vis à vis des travailleurs étrangers pourraient défavoriser de nombreux secteurs d’activité. Dans tous les cas, le Président n’aura pas les mains totalement libres pour conduire sa politique de rupture : la Chambre des Représentants et le Sénat, malgré leur majorité républicaine, garderont normalement une vision plus orthodoxe tandis que la puissante Réserve Fédérale maintiendra une vision indépendante des positions présidentielles.

Au plan international, l’avenir devrait être dominé par deux orientations. Incertitudes des alliances d’abord: le Président Trump ne parait pas un fervent admirateur de l’Europe ; le Traité Transatlantique risque d’être jeté aux oubliettes et le Transpacifique profondément réformé ; au Moyen Orient, les relations avec l’allié proche qu’est Israël et avec le partenaire privilégié qu’était l’Arabie saoudite sont perturbées en raison du terrorisme et du rapprochement avec l’Iran ; la Turquie s’engage dans une direction qui inquiète de plus en plus. Face à ces détériorations, la méfiance devrait être encore plus présente et la tendance au repli sur soi plus forte. Accroissement des rivalités ensuite : la compétition pour la place de première puissance mondiale va s’intensifier avec la Chine et les grands pays émergents sur les plans commercial, monétaire, politique et d’influence économique. Une autre inconnue essentielle résidera dans les rapports avec la Russie : les appétits d’Empire de celle-ci se heurteront aux positions américaines, mais le pragmatisme et le tempérament de Trump pourraient s’accommoder d’arrangements avec Vladimir Poutine pour régler des problèmes brulants, notamment en Europe de l’Est et dans la zone Irak-Syrie. D’autres menaces prioritaires sont toujours présentes, tel le terrorisme islamique. Tout en affirmant que « l’Amérique sera plus forte », Donald Trump  souligne que ces combats n’incombent pas aux seuls Etats-Unis et cherchera à réduire cette charge, soit en la partageant avec ses alliés, soit en se retirant du jeu chaque fois que possible.

Dans ce futur semé d’embûches, et sans grand dessein, il est remarquable que l’Afrique est retombée dans l’oubli. Barack Obama avait soulevé un immense espoir, tant parce qu’il était le premier Président de couleur que parce qu’il avait réservé ses premiers voyages officiels en 2009 à l’Afrique -Egypte et Ghana-. La déception avait vite suivi, lorsqu’il apparut que, même si l’Afrique faisait moins peur, les grands principes et orientations des Etats-Unis ne changeaient pas. Après sa réélection, le Président Obama était d’abord parti en Asie et s’est encore moins tourné vers l’Afrique. Cette fois, celle-ci n’a même pas été évoquée lors de la campagne. Il est vrai que l’attractivité de la zone subsaharienne s’est bien affaiblie : moindre intérêt des investissements pétroliers suite à la meilleure indépendance énergétique des Etats-Unis et la chute des prix du pétrole ; médiocres performances économiques récentes moyennes de l’Afrique ; aggravation des risques terroristes dans plusieurs pays ; évolution démocratique négative en divers endroits. Alors que la mondialisation a moins bonne presse et que les centres d’intérêt et de tension géostratégiques sont ailleurs, l’Afrique devrait être la première sacrifiée dans les préoccupations américaines.

Les Etats subsahariens sont moins désarmés qu’auparavant face à ce désintérêt. Leur situation économique s’est globalement améliorée durant les dix années écoulées et a éveillé l’attention de nombreux autres partenaires, au premier rang desquels la Chine et d’autres grands pays émergents. Ils trouvent donc ailleurs les financements, les équipements et les éventuels marchés. En apportant ces soutiens, leurs nouveaux partenaires  se fournissent en matières premières et donnent de l’activité à leurs grandes entreprises. Ils occupent peu à peu,  à côté des anciennes puissances coloniales, un rôle économique essentiel mais aussi une influence politique grandissante. L’Afrique tient ainsi, malgré ses faiblesses, une place non négligeable dans l’écriture des nouveaux équilibres mondiaux.

Malgré leur relative embellie économique et leurs nouveaux partenariats, les Etats africains auraient pourtant bien besoin du soutien des Etats-Unis en de nombreux domaines où ceux-ci ont une expertise de premier plan : ils vont par exemple de la lutte contre le terrorisme aux investissements dans les domaines énergétiques en passant par l’ouverture des marchés américains pour les exportations africaines et un soutien actif dans la lutte pour la protection de l’environnement. Il n’est pas certain que le nouveau Président prête attention à des dossiers qui lui paraitront secondaires ou contraires aux intérêts à court terme des Etats-Unis, mais que  l’Afrique devra pourtant affronter dans tous les cas.

En sortant ainsi la zone subsaharienne de leur champ d’horizon, les Etats-Unis commettent bien sûr une erreur pour au moins trois raisons. Même si l’évolution n’est pas linéaire et sera de plus en plus inégale selon les pays, l’Afrique devrait poursuivre une croissance économique consistante à moyen terme. Quelle que soit la conjoncture internationale, des moteurs internes de croissance existent en effet, si les politiques d’accompagnement sont bien menées par les Autorités nationales. En outre, le marché africain, en grandissant pour des raisons économiques comme démographiques, devient un enjeu croissant pour les pays les plus avancés et leurs grands groupes : les places à prendre seront de plus en plus chères et les Etats-Unis pourraient perdre des opportunités futures. Enfin, le soutien politique des nations africaines jouera inévitablement un rôle dans les recompositions géopolitiques qui s’annoncent avec la montée de nouvelles grandes puissances et le regain du protectionnisme.

Pour l’Afrique comme pour le reste du monde, l’élection de Donald Trump ouvre ainsi une vaste période d’incertitude et de fragilité au moment le moins opportun. Le pire n’est cependant jamais sûr. En brisant les schémas traditionnels, le Président américain ouvre un nouveau champ des possibles. Reste à voir quelle a été sa part de théâtre dans ses discours et, parmi tous les tabous qu’il a dénoncés, ceux auxquels il s’attaquera vraiment et par quoi il les remplacera.

Paul Derreumaux

Publié le 30/11/2016