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Afrique : Les yeux tournés vers l’Ukraine

Afrique : Les yeux tournés vers l’Ukraine

En redécouvrant avec effroi des combats au coeur de l’Europe, la « communauté internationale », les médias et le grand public ont rivé leurs regards sur la Russie, sur l’Ukraine, et sur la façon de sortir au plus vite et au mieux de cet affrontement meurtrier dont les prolongements pourraient être encore plus dramatiques. Même la pandémie du Covid, qui avait obsédé le monde depuis deux ans et dont la libération semblait pouvoir être annoncée et fêtée, a quitté les devants de la scène. Certaines actualités politiques africaines sont aussi passées au second plan international, telles la pression du terrorisme islamique au Sahel, les soubresauts politiques et militaires en Ethiopie et au Soudan, ou les vives tensions entre la France et le Mali toujours soumis aux sanctions économiques de la CEDEAO.

Tout en continuant à donner une priorité logique à la résolution de leurs propres préoccupations, les Etats africains ne peuvent être indifférents à l’invasion de l’Ukraine par M. Poutine et son armée, ni échapper aux conséquences mondiales que commence à déployer cette guerre. Ils pourraient au contraire en tirer plusieurs leçons.

Tous les pays du continent connaissent bien les deux camps belligérants, mais ces derniers comptent chacun des partisans ou obligés en Afrique. Les anciennes puissances coloniales européennes et les Etats-Unis, qui soutiennent vigoureusement le pays agressé, gardent des liens étroits avec de nombreux dirigeants africains et avec leurs populations. Ils sont aussi des partenaires sécuritaires, économiques et financiers d’une majorité de pays africains, C’est notamment le cas de la France, qui garde des relations privilégiées avec 14 nations d’Afrique francophone.  Dans ce groupe, l’Union Européenne est maintenant, avec la Banque Mondiale, l’un des principaux bailleurs de fonds de l’Afrique. En face, la Russie est un partenaire politique déjà choisi par quelques Etats comme nouveau « protecteur » en termes de sécurité, tels le Mali, la Centrafrique, le Soudan. Depuis peu, d’autres capitales africaines sont tentées de suivre cet exemple, aiguillonnées par les insuffisances d’efficacité ou de résultats qu’elles constatent de la part de leurs alliés traditionnels. Si la Russie ne joue qu’un rôle encore modeste de Partenaire Technique et Financier (PTF) des pays avec qui elle coopère, elle est très proche de la Chine, devenue en 20 ans le premier donateur, investisseur et partenaire commercial du continent.

Face à la tourmente ukrainienne, les 55 pays africains n’ont pu s’abstenir longtemps de prendre position. Lors du vote du 2 mars à l’Assemblée Générale de l’Organisation des Nations-Unies (ONU), visant à demander à la Russie de cesser de recourir à la force en Ukraine, l’Erythree a été le seul pays africain à voter contre la résolution, 17 se sont abstenus et 37 ont intégré les 73% de pays qui ont approuvé. Certes, dans les pressions qui ont dû être exercées par les deux camps, les soutiens de l’Ukraine étaient sans doute les plus influents tandis que l’abstention de la Chine a laissé à chacun plus de marge de manœuvre. Mais la netteté du résultat traduit la gêne générale à l’égard de l’agression militaire et le souhait d’une désescalade et du retour au dialogue. Cette décision de l’ONU, sans valeur contraignante, devrait aussi être « mollement » approuvée par l’Union Africaine dans une consultation en cours. Une prudente neutralité est donc la règle générale, même chez les pays africains qui affichent avec la Russie une grande proximité.  Plusieurs facteurs imprévus ont pu aussi jouer en ce sens après l’attaque russe : la détermination et l’unité inattendues de l’Union Européenne, l’ampleur exceptionnelle des sanctions économiques prises contre la Russie, la forte résistance de l’Ukraine, une guerre de communications qui a généré un courant d’empathie pour la nation agressée.

Autour de cette prudence d’ensemble, la position de chaque pays devrait se préciser, et éventuellement évoluer, au fil des évènements. La tentation du pouvoir centralisé et autoritaire, incarné par M. Poutine, séduit inévitablement beaucoup de leaders des nations les moins avancées, où les urgences sont multiples et les mutations douloureuses souvent difficiles à faire passer auprès de la population. En outre, cette approche s’embarrasse peu des contraintes constitutionnelles, ce qui peut constituer un autre avantage. En revanche, la situation exceptionnelle actuelle met en valeur les risques de dérives qu’elle comporte et la forte probabilité que des ambitions étatiques non partagées par la communauté nationale soient viciées, et donc vivement combattues au niveau international. Au contraire, les pré-requis de la démocratie, de la primauté des droits de l’homme, de la liberté de choix de son destin, constituent les valeurs cardinales de l’Occident. C’est en leur nom que l’Europe et les Etats-Unis défendent actuellement l’Ukraine. Or ces idéaux se sont imposés en Afrique sous la pression de cette même « communauté internationale », mais n’ont souvent sur le continent qu’une consistance virtuelle sans avoir su se substituer aux systèmes politico-sociaux antérieurs. Il en résulte de fréquentes désillusions, en particulier pour la jeunesse et les populations les plus défavorisées, peu touchées par les avantages annoncés. Les semaines à venir diront jusqu’où les alliés occidentaux sont prêts à aller pour défendre ces valeurs et avec quelle sincérité, et ce que cela peut apporter aux peuples qui l’acceptent. Dans le combat actuel, où chacun apparait prêt à assumer jusqu’au bout ses exigences, il est probable, et même souhaitable, qu’un arrêt des combats ne donnera un avantage absolu à aucun des belligérants, ce qui laissera subsister des rancœurs et des tensions. Une telle situation risquerait de cristalliser en Afrique une séparation durable entre les Etats qui soutiennent des camps différents.

Quelle que soit l’issue, les Etats africains peuvent retenir plusieurs enseignements. Le premier, immédiat, est imposé par les faits. Même géographiquement limitée, la guerre aura des conséquences économiques jusqu’en Afrique. Elle va provoquer, là comme ailleurs, une nouvelle désorganisation de circuits d’approvisionnement sur plusieurs matières premières produites par la Russie et l’Ukraine, alimenter une inflation déjà à des niveaux préoccupants et, surtout, accentuer la hausse du coût de l’énergie. Sur ce dernier plan, la situation devrait certes apporter aux pays exportateurs de pétrole et de quelques matières premières un surcroit au moins provisoire de devises et de ressources budgétaires. En revanche, tous subiront la hausse de produits finis, dont certains peuvent avoir de graves impacts sociaux comme les prix du pain et du carburant.   

A moyen terme, plusieurs premières conclusions pourraient être tirées. Au plan économique, la fragilité – au plan des quantités comme des prix- de l’Europe de l’Ouest pour son approvisionnement en énergie remet utilement au premier plan les faiblesses structurelles africaines sur ces questions. Outre les retards dans la connexion des économies et des citoyens à l’électricité, beaucoup de pays africains n’ont pas encore fait suffisamment muer leurs systèmes de production vers les énergies renouvelables, et surtout le solaire, où ils sont les plus avantagés. Des projets attendent parfois depuis des décennies tandis que les nouvelles approches plus microéconomiques de l’«off-grid » se heurtent à des obstacles juridiques ou politiques souvent injustifiés. La guerre en Europe renforce l’urgence de progrès en la matière.

Au plan politique, la démonstration de l’impact positif d’une Union Européenne unie, déterminée et agissante invite à un retour en force des solidarités et de la solidité des Unions régionales. Les regroupements de pays sont nombreux en Afrique, mais parfois redondants et souvent peu consistants. Or leur force est un facteur critique de stabilité politique et sociale et un élément de facilitation du développement. Ainsi par exemple, l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), déjà bien structurée, est un catalyseur de croissance économique, grâce au cadre unifié d’échanges qu’elle construit peu à peu, et a sans doute été le meilleur rempart contre des situations plus dramatiques, comme dans la crise ivoirienne de 2010. Mais, à l’image des autres structures de ce type, ses progrès sont trop lents et les décisions de l’institution difficiles à concrétiser dans les pays membres. Plus gravement, les contraintes locales peuvent amener ces derniers à remettre en question des principes communautaires, ces cas s’étant multipliés dans la période récente. Le renforcement des Unions régionales les plus performantes apparait donc à nouveau comme une approche fondamentale pour traiter avec succès les urgences de l’heure : priorité redonnée à l’économie, mutualisation d’investissements stratégiques, coordination des politiques économiques, renforcement des échanges régionaux, multiplication d’investissements productifs réduisant la dépendance extérieure. L’obtention de tels résultats impose un changement de rythme des administrations régionales concernées. Elle suppose avant tout que les Autorités nationales aient conscience de la nécessité de ce travail en commun et adoptent les comportements vertueux qui y sont liés. Malgré sa lourdeur administrative, l’UE parait accomplir ce sursaut face au danger qui menace l’Europe. L’Afrique devrait être capable de faire de même devant les défis aussi imminents qui la guettent, tels le décalage emplois-démographie ou la lutte contre le dérèglement climatique. Dans le monde actuel, la puissance des solidarités régionales ne peut être perçue comme un abandon des souverainetés nationales, mais comme le moyen de faire subsister ces dernières.

Enfin, certaines images des semaines écoulées identifient des batailles sur lesquelles les Etats africains pourraient s’arcbouter tous ensemble. Les difficultés rencontrées par des étudiants africains en Ukraine pour quitter ce pays et franchir les frontières de l’UE témoignent ainsi des risques persistants de réflexes de rejet vis-à-vis des communautés africaines. La réaction, quoique tardive, de l’Union Africaine a obligé l’UE et l’Ukraine, à être attentives au sujet et à veiller au non-renouvellement de telles anomalies. Ce constat rappelle la tendance de l’UE à rendre désormais plus difficile l’entrée de tout étranger à l’Union, surtout s’il vient de pays ne maîtrisant pas leurs flux migratoires. Pour lutter efficacement contre ce durcissement qui les pénalise, les pays africains les plus visés ont à donner la preuve d’actions multiformes pour empêcher au maximum l’émigration irrégulière, en contrepartie d’une normalisation à obtenir pour leurs ressortissants respectant les règles établies.

Les retombées pour l’Afrique de la guerre en Ukraine, encore fort incertaines, se préciseront au fur et à mesure que les combats se poursuivront et que les objectifs des belligérants et de leurs alliés s’éclairciront. Pour l’heure, la circonspection initiale des pays africains apparait une option raisonnable, dans l’attente d’informations plus complètes. Elle ne devrait cependant pas faire longtemps illusion.   Ceux-ci auront vraisemblablement à prendre parti pour l’un des deux camps. Il sera souhaitable qu’ils aient alors le courage de se prononcer avant tout en fonction de leur compréhension des racines et des objectifs du conflit, d’une part, et de l’intérêt à moyen terme de leur population et de leur économie, d’autre part. Cette façon de faire pourra d’ailleurs être leur contribution à éviter le retour d’un tel drame.

Paul Derreumaux

Article rédigé le 10/03/2022         

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Afrique Subsaharienne : L’extrême pauvreté résiste

Afrique Subsaharienne : L’extrême pauvreté résiste

 

La lutte contre l’extrême pauvreté  et la recherche de sa réduction massive ont été une victoire majeure des Objectifs Du Millénaire (ODM) retenus par l’Organisation des Etats-Unis (ONU) pour l’horizon 2015. Le pourcentage de la population mondiale gagnant moins de 1,9 USD/jour (nouvelle norme récemment fixée en Parité de Pouvoir d’Achat (PPA) pour définir cette extrême pauvreté) a été en effet considérablement réduit en pourcentage, avoisinant 10% en 2015 alors qu’il s’élevait encore à plus de 35% en 1990.  En termes d’effectifs concernés, la population victime de cette extrême pauvreté diminuait de plus de 1,1 milliard de personnes, passant sur cette période de 1,9 milliard à environ 750 millions. C’est la phase simultanée des décennies de croissance accélérée en Chine et dans d’autres « pays-dragons », de l’éveil de l’Amérique Latine,  de l’émergence de l’Inde, et du retour à l’afro-optimisme. Même si de profondes inégalités persistent, tous les continents bénéficient alors de cette amélioration à des degrés et avec des vitesses variables. Sur toute la planète, réduire à néant ce fléau semble donc possible à bref délai.

C’est pourquoi, dans  les 17 nouveaux Objectifs du Développement Durable (ODD) que s’est fixée l’ONU à l’échéance de 2030, s’inscrit en premier lieu l’éradication totale à cette date de  l’extrême pauvreté. Or les dernières évolutions observées remettent en question cette analyse optimiste. Il est actuellement estimé que le rythme de baisse, qui était d’environ 1 point/an en moyenne sur les 25 dernières années, a été réduit de moitie sur la période 2013/2018. Deux facteurs essentiels expliquent ce retard. Les améliorations remarquables de la période précédente avaient pour une bonne part résulté de la forte chute de la pauvreté  en Asie de l’Est et du Sud, régions les plus peuplées. Les taux moyens y sont respectivement descendus à 2,5% et 12% en 2015 et les nouveaux progrès sont donc plus difficiles à obtenir. La population pauvre s’est surtout concentrée sur l’Afrique subsaharienne, qui en rassemble plus de 55% du total mondial, et c’est sur la baisse du taux de pauvreté dans cette zone, qui dépasse encore 41% soit quatre fois plus que la moyenne mondiale, que se fonde l’espoir d’une amélioration. Or ce taux recule très faiblement – moins de 1,5% entre 2013 et 2015 -. Compte tenu de la forte poussée démographique, le nombre de personnes touchées par le fléau a même augmenté de plus de 8 millions en 2 ans pour atteindre 415 millions  fin 2015, et  26 des 27 pays où ce taux est le plus élevé dans le monde sont en Afrique subsaharienne.

Quatre principales raisons, étroitement imbriquées, expliquent ce constat négatif dans la zone.

La plus importante est sans doute le rythme d’accroissement démographique sans précédent sur une aussi longue période, qui rend plus difficile l’augmentation du revenu par habitant. Le taux de croissance annuel net de la population demeure partout supérieur à 2%. Le recul attendu du taux de fécondité (nombre d’enfants par femme en âge de procréer), qui s’est produit sur tous les continents à la suite du repli des taux de mortalité, se fait toujours attendre. Le taux est la plupart du temps encore proche de 5, soit plus du double de la moyenne mondiale, et peut approcher 7 comme au Niger. Des explications religieuses liées à l’impact de l’Islam, souvent avancées, sont réelles mais probablement pas les plus déterminantes : dans les pays du Moyen Orient ou d’Afrique du Nord ou en Indonésie par exemple, le taux de fertilité a nettement reculé et des pays chrétiens ou animistes connaissent aussi des taux  durablement élevés. La lenteur de l’amélioration des conditions économiques et sociales et, surtout, l’absence d’octroi d’une priorité politique absolue à la maîtrise démographique sont sans doute les premières explications de la tendance observée et de son impact négatif sur la pauvreté. La pratique encore très répandue des mariages précoces dans nombre de pays, en particulier sahéliens, l’effectif important des enfants nés de mères mineures ou le succès limité des politiques de planning familial en sont autant d’exemples.

L’évolution insuffisante du nombre d’actifs est un deuxième handicap. Un « dividende démographique » est en effet souvent associé à cette augmentation très rapide d’une population jeune en âge de travailler et laisse croire que celle-ci génère des potentialités supplémentaires de croissance économique. Mais cette thèse considérant la poussée démographique comme un « actif » dans la création de richesse ne se vérifie que si des emplois à réelle valeur ajoutée sont effectivement créés pour cette jeunesse. Ce fut bien le cas en Chine et ailleurs en Asie dans les dernières décennies. Mas ce mouvement n’est pas (encore ?) noté en Afrique subsaharienne : dans la plupart des pays, seuls les emplois informels à faible impact économique de l’agriculture, du commerce et des services, souvent provisoires, peu qualifiés et mal rémunérés, sont offerts en nombre sur le marché, et laissent subsister un gap important de chômeurs. Seules quelques exceptions, comme l’Ethiopie ou le Kenya, montrent la possibilité d’une autre voie, encore à confirmer.

Le ralentissement généralisé de la croissance économique sur le continent depuis 2015 freine aussi cette réduction de la pauvreté. Après des taux de croissance annuels moyens proches de 5% sur la période 2000/2015, le Produit Intérieur Brut (PIB) subsaharien enregistre une progression moyenne inférieure à 3% par an sur 2016/2018, proche de l’augmentation de la population, provoquant une quasi-stagnation de la production par habitant sur la période. Malgré l’existence de zones connaissant une bonne résistance de cette croissance, comme l’Afrique de l’Ouest francophone, l’environnement est devenu moins favorable aux créations d’emplois et aux hausses de salaires des entreprises, comme aux marges de manoeuvre des politiques publiques.

Enfin, l’insuffisance d’initiatives de la part des Etats en termes de politique de redistribution des richesses est un dernier élément de maintien de la pauvreté. Le maintien d’une fiscalité très concentrée sur le secteur formel, laissant souvent des pans entiers de l’économie hors de toute imposition, comme le foncier et/ou l’immobilier, limite la croissance des ressources fiscales et favorise l’augmentation des inégalités. La situation fréquemment dramatique de la santé et de l’enseignement publics empêche également les populations les plus démunies de sortir de la « trappe » de pauvreté. La persistance de conflits locaux aggrave par endroits la situation. Des études récentes montrent ainsi, dans la zone Afrique Moyen-Orient, que la richesse privée a augmenté de 2,7% en 2015, que 44% de celle-ci est concentrée au profit de ménages possédant plus d’1 million de USD et que la fortune des ménages les plus riches –plus de 100 millions de USD- a progressé de 14,2%.

Ces résultats inquiétants de la situation subsaharienne auront au moins deux conséquences.

L’une, quasi-certaine, est que l’objectif d’élimination de la pauvreté extrême au niveau du globe à fin 2030 ne pourra être atteint. Selon les dernières projections, il faudrait en effet que le revenu des 40% les plus pauvres augmente annuellement de 8% sur les 12 ans qui restent pour respecter l’échéance fixée, ce qui parait hélas irréalisable. En cas de prolongation des dernières tendances observées, le taux d’extrême pauvreté resterait supérieur à 5% en 2030, après un rythme d’abaissement deux fois moindre que prévu, et celle-ci serait principalement concentrée sur notre continent.

L’autre, encore imprécise, est le renforcement des incertitudes sur l’évolution à moyen terme de la pauvreté en zone subsaharienne. Les remèdes à celle-ci, qui ont pourtant donné leurs preuves sous d’autres cieux, ne semblent pas faire l’objet d’une adhésion sans faille de toutes les Autorités concernées, comme si une solution magique était encore attendue. La maîtrise démographique, la mise en place de toutes les conditions favorables à la création de nombreux emplois décents, le renforcement de la croissance économique, la protection des couches les plus vulnérables, la lutte contre les inégalités les plus criardes, font certes l’objet de mesures éparses et partielles. Elles sont rarement la fondement d’un grand dessein national ou régional, articulé autour de quelques grands programmes concrets capables de mobiliser une union nationale, illustrant la priorité donnée à cette aspiration avant tout autre objectif. Faute d’un tel changement, les pays les plus peuplés d’Afrique – Nigéria, Ethiopie, République Démocratique du Congo,…- pourraient bientôt avoir le triste privilège de compter la population pauvre la plus importante, y compris en passant devant l’Inde comme le Nigéria. Seule une faible minorité de pays à la stratégie de développement économique et social solidement construite et durablement poursuivie, semblent échapper à cette malédiction, avec toutefois des niveaux d’évolution encore fort divers : Maurice, Botswana, Ghana, Kenya sont les plus souvent cités. Il faut compter sur leur réussite et espérer qu’elle servira de référence à d’autres pays. Toutefois, à ces possibles exceptions et faute de changement urgent et de grande envergure, l’Afrique subsaharienne pourrait rester dans les dix prochaines années séparée du reste du monde par une grande « fracture de la pauvreté »

Paul Derreumaux

Article publié le 07/11/2018