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Analyse économique et sociale

Sénégal : en avant, toute !

Sénégal : en avant, toute !

Quatre jours de confusion et de tension ont quelque peu semé le trouble et la déception après une campagne et un vote que tous les observateurs s’accordaient à reconnaitre satisfaisants. Les résultats officiels provisoires devraient cependant calmer le jeu, replacer les éventuelles contestations sur le seul plan juridique dans le cadre des règles de la démocratie et permettre de regarder l’avenir.

Même si la confirmation de la Cour Constitutionnelle est encore attendue, le Président Macky Sall peut donc maintenant déclarer sa victoire, acquise dès le premier tour de l’élection présidentielle du 24 février après une participation record de 66% des électeurs à ce vote. Ce suffrage présentait deux originalités par rapport à ceux qui sont classiquement rencontrés en Afrique subsaharienne. D’abord l’exigence d’un nombre élevé de parrainages pour l’agrément des dossiers de candidats, qui semble plus logique et efficace que la condition d’un cautionnement important. En second lieu et par conséquence, une nette diminution des candidats en lice pour le vote, ce qui facilite les choix et évite la dispersion des voix. Certes, deux candidats majeurs se sont retrouvés exclus pour des raisons extérieures à ces parrainages, mais personne ne saura jamais si leur présence aurait changé le résultat final.

Le candidat victorieux a bâti sa stratégie de campagne sur la qualité de son bilan et il pouvait en effet aligner divers succès. Le visage de la capitale Dakar s’est transformé au fil des ans : routes modernes et échangeurs ont amélioré la fluidité de la circulation dans la ville, et la disparition apparemment complète des coupures d’électricité exerce une influence majeure sur le moral des populations de la capitale. La montée en puissance de la ville nouvelle de Diamniadio s’intensifie. Le nouvel aéroport international  a acquis sa vitesse de croisière ; les constructions de logements, de bâtiments administratifs d’hôtels et d’infrastructures sportives ou évènementielles donnent désormais à ce gigantesque projet une consistance tangible ; l’autoroute vers Dakar semble tenir ses promesses ; le futur Train Express Régional (TER) rapprochera encore Dakar de Diamniadio, et donnera à cette dernière plus d’attractivité pour équilibrer la capitale Dakar, très encombrée. Même s’il est juste de rappeler que certaines de ces réalisations ont été conçues et parfois lancées par le Président Wade, il faut reconnaitre au Président Sall de les avoir menées à bien dans des délais satisfaisants et d’avoir eu la sagesse de ne pas remettre en cause systématiquement ces idées retenues par son prédécesseur.

Au plan économique, la conjoncture est aussi favorable au Président sortant. Le Sénégal n’avait pas disposé jusqu’ici d’atouts de premier plan comme une riche agriculture d’exportation et un appareil industriel déjà diversifié, à la différence de la Côte d’Ivoire. Un tourisme bien développé, une diaspora nombreuse et dynamique, génératrice d’importants rapatriements de devises et d’investissements significatifs au pays, le secteur de la pêche étaient les principales forces d’une économie où la croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) demeure proche de la moyenne régionale. Les importants gisements de pétrole et, surtout, de gaz récemment découverts et qui devraient être exploités à partir de 2022 changeront la donne. Ils apporteront en effet un plus grand dynamisme économique et des capacités de diversification sectorielle au pays, et des ressources budgétaires fortement accrues à l’Etat.

Au plan social et sociétal, le pays a d’abord réussi jusqu’ici à rester en dehors des attaques terroristes au contraire de la grande majorité de ses voisins. Il continue aussi à éviter les antagonismes religieux et ethniques prononcés, grâce à une politique de tolérance qui lui est reconnue. Il est également caractérisé de longue date par une stabilité politique rarement menacée et toujours sauvegardée, qui rassure les investisseurs comme la population. Il bénéficie enfin d’un système éducatif dont la qualité est appréciée et d’une bonne capacité à mêler l’ouverture à la modernité et le respect des traditions

Réélu pour cinq ans, Macky Sall dispose ainsi d’un « momentum » favorable fondé sur cet ensemble composite de données anciennes et nouvelles.  Au vu des quelques jours écoulés, son premier devoir, et non le plus facile, sera d’obtenir une accalmie des relations avec ses principaux opposants. C’est aussi son intérêt primordial s’il veut rétablir dans le pays la confiance et l’adhésion sans lesquelles rien ne sera possible. Il lui faudra aussi progresser dans les dossiers encore en suspens, tels un total apaisement en Casamance, une normalisation des relations avec la Gambie, la remise en route du chemin de fer Dakar/Bamako et le renforcement des liens commerciaux avec le Mali.  La diversité de ces défis montre que le chemin n’est pas sans embuches.

Il conviendra par ailleurs de surveiller l’endettement public, désormais  au-delà des 60% du PIB, pour éviter de perdre la crédibilité internationale que le pays a regagnée comme le prouvent ses récentes émissions d’emprunts internationaux. La meilleure protection contre ce risque sera d’élever le taux de croissance du PIB en exploitant avec la plus grande rigueur la nouvelle manne pétrolière et gazière et en accélérant en même temps l’élargissement de la base de l’appareil économique pour éviter le « syndrome hollandais ». Les questions de la poussée démographique et de l’importante émigration sont aussi d’actualité. Leur solution au moins partielle réside dans un accroissement massif de la création d’emplois, de préférence formels, et une hausse rapide du revenu moyen par tête, eux aussi dépendants de la croissance obtenue. Pour ce faire, les succès médiatisés du Sénégal en matière de start-ups et de nouvelles technologies ne suffiront pas, au moins à court terme. Les activités agricoles, industrielles, touristiques, de services divers devront toutes connaitre un important développement pour offrir des embauches en quantité et en qualité suffisante, et rendre crédible une « Emergence » qu’on espère voir poindre  à l’horizon.

Le challenge est redoutable. Le Président élu aura à confirmer sa capacité de conception à long terme de l’avenir possible du Sénégal et à tenir bon le gouvernail afin de réaliser les programmes d’actions nécessaires, mais souvent difficiles, pour atteindre l’objectif qu’il promet au peuple sénégalais. Il lui faudra lutter contre les inévitables inerties à l’intérieur, restreindre autant que possible la corruption toujours aux aguets et ses effets néfastes, combattre tous ceux que gênerait une telle transformation du pays et faire preuve d’une ténacité à toute épreuve. Il devra convaincre et rassembler pour mobiliser la nation dans cette course au progrès. Il a cependant la chance que le pays dispose de marges de manoeuvre nouvelles d’une ampleur inespérée, qui viennent compléter des points forts déjà connus. Il lui revient donc d’exploiter au mieux et au plus vite ce contexte positif.

L’enjeu de la réussite du Sénégal dépasse d’ailleurs les frontières du pays. L’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), recordman continental de la croissance économique depuis quelques années mais aussi sujette à de nombreux risques politico-sécuritaires, a besoin d’exemples encourageants. Un aboutissement sans heurts de l’élection sénégalaise et le bon déroulement de ce nouveau mandat pourraient jouer ce rôle. La région a surtout connu jusqu’ici une « locomotive » économique principale, celle de la Cote d’Ivoire. Cet entrainement pourrait toutefois être perturbé, au moins momentanément, si les récentes incertitudes nées sur le déroulement de l’échéance politique de 2020 à Abidjan se confirment. Le Sénégal pourrait alors utilement constituer un deuxième pôle de développement régional. Une saine compétition entre deux importants acteurs au sein d’un groupe n’est-elle pas le meilleur moyen d’obliger chacun d’eux à se surpasser au profit de tous ?

Paul Derreumaux

Article publié le 02/03/2019