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Analyse économique et sociale

Appel pour un Mali à reconstruire

Appel pour un Mali à reconstruire

 

Quatre jours de l’Histoire du Mali.

Quatre jours durant lesquels s’est poursuivi le choc frontal, engagé depuis des mois, entre des revendications inédites des uns et l’écoute léthargique des autres.

Quatre jours où se sont entrechoqués manifestations pacifiques et scènes de pillages, discours lénifiants et répressions sanglantes, audace habituelle d’une jeunesse sans espérance et résistance d’un pouvoir coupable de ne pas en prendre la mesure, cohésion au moins apparente d’un rassemblement d’opposants disparates et isolement croissant des Autorités sous le regard incrédule de l’étranger.

Quatre jours où l’Histoire s’est accélérée après des années de léthargie, de faux espoirs et de descente aux enfers en certains domaines.

Quatre jours au terme desquels les craintes d’une explosion de colère se sont transformées en une indignation et un deuil collectif devant le trop grand nombre de victimes d’une action répressive disproportionnée et inappropriée avec l’utilisation de la force létale.

Il est encore trop tôt pour dire où s’arrêtera cette roue qui s’est mise maintenant à tourner si vite et où elle va mener le Mali. Mais il est déjà possible pour des femmes et des hommes de bonne volonté d’essayer de comprendre pourquoi on en est arrivé là et ce qu’il faudra en retenir pour sortir du blocage actuel.

Le Mali n’est pas une abstraction. C’est un ensemble de 18 millions de femmes et d’hommes qui ont bien du mal à se souvenir que leur nation était, en Afrique, un modèle du « vivre ensemble » et fut, dans une période très lointaine, le berceau de plusieurs grands empires. Comme dans tous les pays en développement, ses citoyens sont plongés depuis les indépendances nationales dans des bouleversements de toutes sortes, inhérents aux objectifs prioritaires de croissance économique.

Ces transformations structurelles, sociales, mentales visent certes une course au mieux-être pour eux-mêmes et leurs familles, et sont acceptées pour cela, même si elles entrainent en permanence des souffrances et des inégalités inhérentes à la croissance.

Mais il revient à l’État, par les politiques qu’il met en œuvre, d’accélérer les résultats positifs du développement, d’en faire bénéficier le plus grand nombre et d’empêcher les inégalités excessives.

Depuis longtemps, les Maliennes et les Maliens sont orphelins d’un tel État, capable de leur donner un horizon à long terme acceptable, voire attrayant, pour tous et de les guider et les mobiliser pour atteindre celui-ci. Certes les problèmes qui assaillent la puissance publique sont immenses et permanents et, comme dans le monde entier, la vie quotidienne s’y est quand même progressivement améliorée notamment sur le plan matériel ou l’espérance de vie, pour citer quelques exemples notoires.

Mais la diffusion instantanée des informations venant du monde entier et les avancées de pays voisins se sont accrues bien d’avantage, créant des manques douloureux et si visibles qu’ils ont fini par réduire à néant la confiance dans l’État. Près de 40% des citoyens, dénués de tout, vivent toujours en dessous du seuil de pauvreté absolue, sans grand espoir que cette situation change pour eux-mêmes ou pour leurs enfants. Pour une grande partie des autres, et quelques soient leurs efforts, leur chance, leur situation professionnelle ou familiale, des menaces qui les dépassent pèsent sur eux à tout instant. Le manque considérable d’emplois, les lacunes croissantes du système éducatif, les défaillances du système de santé ont été longtemps ces risques majeurs. Il s’y est ajouté depuis près de 10 ans l’insécurité physique due au terrorisme et le dépérissement progressif d’une grande partie du territoire national conduisant à l’abandon de ceux qui doivent y vivre.

La patience et la résistance du peuple Malien lui ont permis de supporter jusqu’ici ces vides et ces déceptions et, grâce aux traditions ancestrales de solidarité familiale ou sociale, de trouver des palliatifs individuels plus ou moins satisfaisants. Mais deux constats ont été à l’origine récente d’une contestation structurée et hors des enceintes légales, d’une part, et des scènes de désolation qui l’ont suivie, d’autre part.

  • Le premier est celui d’une corruption envahissante et impudique, jusque dans les cercles les plus éminents du pays, qui pille les deniers publics, fausse les règles du jeu et la logique des compétences dans nombre de secteurs d’activité, et décourage ceux qui s’obstinent à la refuser.
  • Le second est celui de l’injustice: déjà observée dans l’impunité des corrompus, elle est tout récemment devenue intolérable à la suite de la remise en cause de nombreux résultats des élections législatives, qui ont rappelé les longues contestations des dernières élections présidentielles.

L’absence de réponse adaptée à l’ampleur de ces mécontentements populaires, tant de la part des Autorités nationales que des Partenaires du Mali, ne pouvait que conduire à la présente situation insurrectionnelle.

Tandis que beaucoup de Maliennes et de Maliens prient pour le retour au calme, la gravité de la crise a aussi ravivé les prises de parole, trop rares, de ceux qui aspirent à ce que les dramatiques évènements de ces quatre jours soient à l’origine d’une Reconstruction durable du pays et de son État.

Dans ce cadre, nous voudrions, ici, recenser avec humilité mais avec une forte conviction, quelques critères fondamentaux que doivent impérativement réunir les dirigeants, quels qu’ils soient, face à une situation comme celle que vit aujourd’hui notre Cher Pays.

  1. La première est celle d’une honnêteté incontestée par tous. Elle est requise pour faire oublier une longue période désastreuse de discours trompeurs, de promesses non tenues, de difficultés camouflées, de népotisme ou de favoritisme au profit de quelques-uns. Elle s’impose à eux-mêmes, mais aussi à tous leurs proches, empêchant tous « conflits d’intérêts » à l’image de la pratique désormais suivie par toutes les grandes entreprises et les nations avancées.
  2. La deuxième est celle d’une compétence élevée, et si possible exceptionnelle. Les défis sont si grands et les maux si profonds que les surpasser est maintenant chose presqu’impossible. Les dirigeants doivent donc posséder une expérience vaste et éprouvée, une connaissance approfondie du terrain national, des interactions internationales et des succès professionnels reconnus par tous. Ils devraient, si possible, avoir traversé des épreuves et triomphé sans dommages pour ceux dont ils avaient la charge.
  3. La troisième est le goût de l’action et de l’impartialité. Le pays a un besoin impératif de constater que l’État joue pleinement le rôle multiforme qui lui revient : celui d’impulsion, de coordination, d’encouragement, de sanction.

Les citoyens, et notamment les plus jeunes, sont impatients que l’impact de ces actes se reflète dans leur vie de tous les jours, depuis l’amélioration de l’accès à l’électricité à la lutte contre les spéculateurs des produits de base en passant par la facilitation de l’accès à un logement décent.

Les entreprises escomptent que l’État soutiendra mieux leurs interventions dans la création d’emplois et de richesses, mais auront à supporter que des règles mieux adaptées soient scrupuleusement respectées. En somme, les dirigeants ne doivent plus se contenter d’être des tribuns, mais être surtout des hommes d’action.

Ce n’est qu’à ces conditions simultanées d’honnêteté, de compétence, d’impartialité et d’action concrète que pourra commencer à se retisser une relation de confiance entre les populations et l’Etat. Elle permettrait alors à l’État de demander à toute la population une mobilisation maximale pour l’atteinte des objectifs fixés mais aussi des sacrifices provisoires pour des gains ultérieurs clairement identifiés et planifiés.

Car chacun doit savoir que le chemin à venir sera long, jonché de difficultés et de possibles souffrances. C’est pour les faire accepter que les dirigeants doivent être exemplaires et capables de nous convaincre tous. C’est pour les supporter que les citoyens doivent pouvoir croire en leur utilité et adhérer eux-mêmes à ces idéaux d’honneur et de dignité.

Il faut aussi aux dirigeants une abnégation et une humilité à toute épreuve, qui renforceront encore leur leadership.  Ils ne sont que les dépositaires, et non les propriétaires, du pouvoir qui leur est confié par la nation. Cette abnégation impose un don de soi, un engagement sans réserve et un rejet de tout gain personnel. Même si une telle discipline est rare, elle se retrouve dans l’éthique de certains des plus éminents hommes d’État, de Nelson Mandela à Charles de Gaulle en passant par Jerry Rawlings ou Ho Chi Minh.

Cette abnégation peut d’ailleurs être « encadrée » par la constitution, en empêchant le cumul de responsabilités et en renforçant les contrôles exercés et la qualité de ceux-ci.

La dernière qualité des dirigeants, peut-être la plus essentielle, est certainement celle du respect :

  • Respect de la fonction et de ce qu’elle incarne.
  • Respect de la nation au service de laquelle sont les Responsables à tous les niveaux.
  • Respect des droits les plus fondamentaux de l’individu, et notamment celles de sa foi et sa liberté d’expression, dans la pleine tradition de l’Histoire nationale. En la matière, la laïcité de l’État nous semble un bien précieux, qui a souvent préservé l’unité de la nation Malienne et doit donc être soigneusement sauvegardée.
  • Respect enfin et surtout du bien le plus précieux de tous les citoyens qui est leur vie, comme l’avait bien compris le Président Modibo Keita, qui disait, en 1968, qu’ « une seule goutte de sang malien ne doit être versée pour qu’il reste au pouvoir ».

Voilà notre modeste contribution aux discussions en cours. Nous espérons qu’elles expriment les attentes de beaucoup de Maliennes et de Maliens et qu’à ce titre, elles seront écoutées par ceux qui vont reconstruire le pays après cette période d’intenses turbulences.

Puissent ces personnalités être agréées par tous afin qu’un esprit de construction et d’entente anime notre maison commune, le MALI. Puisse chacune d’elles avoir la force et la sagesse nécessaires pour mener à bien la mission qui lui est confiée ou lui sera confiée.

 

Les citoyens maliens signataires (au 17/07/2020)

Mossadeck Bally, Arwata Ben Baba, Jamila Ferdjani Ben Baba, Paul Derreumaux, Ramatou Traoré Derreumaux, Aya Thiam Diallo, Sory Ibrahima Makanguilé, Fatoumata Keita Ouane, Habib Ouane, Aminata Sidibé, Birama Sidibé, Mamadou Sidibé, Youba Sokona, Ousmane Sy, Ousmane Thiam

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Lettre ouverte aux candidats à l’élection présidentielle au Mali

Lettre ouverte aux candidats à l’élection présidentielle au Mali

 

Mesdames ( j’espère ) et Messieurs les candidats et futurs candidats à l’élection présidentielle,

Permettez-moi, avec tout le respect du aux très hautes fonctions auxquelles vous prétendrez cette année, de vous adresser cette brève missive. Bien que seulement citoyen malien d’adoption, je m’autorise cette démarche audacieuse en raison de mon âge et des actes que j’ai eu l’honneur de poser dans ce pays depuis 35 ans.

Tout le monde s’accorde à dire que nous sommes au cœur d’une crise multiforme et d’une rare ampleur. Peut-être, sans doute même, avait-on sous-estimé en 2013 l’ampleur des défis comme celle des difficultés, et des excuses peuvent être trouvées à certains échecs ou retards, dès lors toutefois que nous sommes maintenant sur la bonne route. Je vous laisserai le soin d’en discuter, si possible publiquement et « à la loyale » dans quelques beaux débats. Le Mali n’est-il pas réputé pour ses joutes orales ?

J’aimerais seulement ici vous dire comment j’imagine le futur Président qui serait capable de construire en cinq ans les fondations d’un Mali dont chaque Malienne et chaque Malien sera fier parce qu’il les protégera et les respectera tous, où qu’ils se trouvent, quelle que soit leur origine, quelle que soit leur situation sociale.

Ce Président espéré est nécessairement d’abord un visionnaire, ayant une idée claire de ce que peut devenir notre pays dans les dix ou vingt années. Il le connait dans ses plaines, ses fleuves et ses déserts, dans ses villes et ses campagnes, dans les heurs et les malheurs de son peuple, dans les zones de lumière et d’ombre de ses concitoyens. Dans le monde interconnecté où nous sommes plongés, même dans notre région enclavée, il sait aussi analyser les grands changements géopolitiques, économiques et sociaux qui traversent la planète et qui influenceront le destin du Mali, dans un sens positif ou négatif. Il est capable de sonder le cœur et le véritable intérêt de ses collègues pour trouver de bons alliés et partenaires. Il s’inspire sans cesse des plus belles innovations et réalisations qu’il a la chance de connaitre par ses voyages dans le monde, pour les faire vivre au plus vite dans son pays, en les adaptant à celui-ci. A lui incombe la très lourde responsabilité des choix qui engageront le Mali pour les décennies à venir : Regarder vers l’Ouest, vers le Nord, vers l’Est pour ses relations internationales ? Faire plutôt cavalier seul ou miser avant tout sur la construction régionale ? Prioriser vraiment l’agriculture, pour que le Mali retrouve son rôle de grenier d’Afrique de l’Ouest, ou mettre l’accent sur les services et le « trading », en s’appuyant sur le génie national du commerce et notre position géographique ? Ou les deux à la fois ? Accepter que la religion régente tout ou mettre des limites à son pouvoir ? Préférer le  secteur privé ou l’action étatique pour le développement économique ? Vous le devinez, notre Président aura besoin que ses propres connaissances soient épaulées par une équipe pluridisciplinaire, elle-même éminente mais disciplinée, qu’il sera capable d’animer et de maîtriser. Son succès sera collectif.

Une vision à long terme, même pertinente, ne suffit pas si elle n’est accompagnée des actions et programmes qui permettent de l’imprimer dans la réalité, et d’une farouche volonté de réaliser les changements nécessaires. Le Président souhaité a donc également une vocation de stratège et d’homme d’action. Il est bien sûr appelé à construire, avec rapidité mais aussi cohérence et transparence, les infrastructures, les logements sociaux, les écoles, les hôpitaux qui manquent cruellement. En la matière, il a le souci du respect des délais et de l’utilisation rapide et pertinente des deniers publics. Il lui faut aussi accélérer la reconstruction d’une armée malienne unie, vaillante, mobilisée, servant la nation même au péril de sa vie. Mais ce rôle de bâtisseur concerne surtout les mentalités. A ce titre, il a conscience que l’éducation et la formation sont largement à repenser pour qu’elles satisfassent à la fois les aspirations de la jeunesse et les exigences de l’économie. Il sait relier à la vision globale retenue chaque action conduite, pour que tous comprennent les étapes suivies et gardent la patience nécessaire. Il a une conscience forte de l’urgence où nous sommes dans tous les domaines, et surtout ceux qui semblent négligés comme la maîtrise nécessaire de la croissance démographique et le caractère inéluctable et proche du changement climatique. Il a le talent pour trouver un juste équilibre entre les mutations économiques, qui placeront le Mali sur une nouvelle trajectoire, et les réformes sociales, qui amélioreront le bien-être de chacun.

Le Président dont je rêve a bien sûr d’autres qualités. Son autorité naturelle n’a d’égale que son humilité, comme celles d’un Mandela. Sa combativité est en tous points celle d’un Ho Chi Min. Sa vertu et son sens du devoir sont ceux d’un Périclès. Il ne parle guère de lutte contre la corruption puisque chacun sait que celle-ci lui est étrangère et qu’il la détruira partout où il la verra apparaitre. Il a la vigueur de Soundiata Keita pour lutter contre les ennemis du pays et du peuple et la tendresse d’un père pour tous ceux qu’il voit souffrir injustement. Il a l’abnégation d’un héros qui oubliera dès son élection sa propre personne pour consacrer pendant cinq ans toute sa vie au Mali.

Portrait utopique d’un Président virtuel, me direz-vous ?  C’est que l’impatience et l’exigence de chacun de nous ont grandi avec le temps qui s’enfuit.  Cinq ans représentent au Mali près de 10% de la vie des plus démunis. A ce prix, chacun souhaite maintenant conjuguer l’espoir au futur proche, et non à un conditionnel lointain.

Pour beaucoup, la marque du futur Président sera bien sûr d’abord celle de la paix et de la sécurité dans le Mali tout entier. Les cris des soldats qui meurent, qu’ils soient maliens ou étrangers, les pleurs des familles endeuillées des victimes innocentes ont à disparaitre. Chacun doit pouvoir redécouvrir sans crainte les merveilles du Mali, de la majestueuse entrée dans la cité des Balanzan aux mausolées de Tombouctou en passant par les falaises rocailleuses de  Bandiagara. Mais son empreinte s’étendra à d’autres aspects s’il veut être à la hauteur du moment. Il saura redonner confiance à la jeunesse et faire en sorte que des études au Mali ne soient plus systématiquement un handicap dans la recherche d’un métier au pays. Il apportera toute l’aide possible aux entreprises qui créent des emplois, si possible qualifiés, mais dans tous les cas décents, durables et honnêtement payés, et fera de ses promesses en matière de création de postes un engagement sur son propre honneur. Il  montrera, par ses décisions,  que le travail est la plus grande valeur, celle qui apporte à chacun dignité et confiance en soi, mais aussi celle qui sert le mieux le pays, et est donc la seule à mériter récompenses et honneurs. Il aura à coeur de maîtriser les inégalités afin que les plus déshérités aient toujours une seconde chance, au moins pour leurs enfants, et que les privilégiés connaissent les limites à ne pas dépasser Il veillera à ce que le Mali ne se fracture pas entre une capitale dont la concentration de pauvreté et l’étouffement finissent par plus que compenser ses créations de richesse, et le reste du pays enfoncé dans un cercle vicieux d’absence de perspective et de dénuement économique et humain.

A voir la liste des candidats, qui devrait encore s’étendre, j’admire l’intrépidité de ceux qui sont prêts à se présenter à nos suffrages. Il est vrai que le Mali a compté de grands hommes et s’est forgé dans le passé un destin admiré de tous. Puissent donc ces ancêtres exceptionnels inspirer chacun de vous. Que leur exemple vous donne l’imagination, la force, la ténacité, le don de soi pour construire le futur du Mali à la hauteur du monde de demain.

Respectueusement.

Paul Derreumaux

Article publié le 06/04/2018