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Grèce : de Charybde en Scylla ?

Grèce : de Charybde en Scylla ?

 

M. Tsipras doit aimer la tragédie grecque. Il a l’art du coup de théâtre qui fait rebondir l’intrigue et l’a prouvé une seconde fois en moins de deux mois. Après le référendum surprise, voici la démission inattendue.

L’été avait jusqu’ici été plutôt productif pour le gouvernement grec qui a obtenu in extrémis la fin de la menace du « Grexit » et l’accord sur un nouveau plan d’aide financière massive. En quelques petites semaines, à l’écart des médias et à l’abri des manœuvres dilatoires d’un ancien ministre des finances, les négociateurs ont mis au point les composantes détaillées de ce plan. Deux semaines supplémentaires ont permis que les dispositions correspondantes soient agréées à l’arraché par l’Assemblée Nationale grecque, et validées par l’Eurogroup et le Parlement allemand. De plus, l’excellente saison touristique observée dans le pays allait sans doute donner quelques espoirs à la population grecque ballotée depuis janvier dernier entre les messages contradictoires de ses dirigeants. La décision d’un retour devant les électeurs grecs ramène une grande incertitude et remet en lumière trois menaces principales.

Les décisions du 13 juillet, même si elles ont évité à la Grèce de plonger dans l’inconnu inquiétant de la sortie de la zone Euro, ont été surtout positives à court terme pour cette dernière. En obtenant que le gouvernement grec accepte la quasi-totalité des réformes qu’ils demandaient, en contrepartie de 86 milliards d’Euros supplémentaires d’endettement, les créanciers pliaient la Grèce à leurs conditions et, surtout, l’Union Européenne (UE) maintenait intacte le dogme de l’intouchabilité de sa construction. Les négociations du premier semestre 2015 ont certes montré des divergences parfois profondes entre tous les pays de l’UE, inévitables vu leur nombre et les sensibilités de leurs responsables actuels. L’accord final gomme cependant  ces moments difficiles et conforte la zone : la solidité de l’Euro sur les deux derniers mois en est un symbole. Pourtant, les résultats obtenus montrent deux importantes faiblesses. D’abord, aucune mention n’y est faite d’un allègement de la dette publique extérieure grecque existante. Celui-ci est pourtant indispensable et urgent : les ratios le montrent aisément et même des institutions comme le Fonds Monétaire International (FMI) admettent maintenant, bien trop tardivement, que ces engagements sont « insoutenables ». Ensuite, les négociations de ce semestre ont mis en évidence du côté européen des méthodes peu efficaces et des priorités variées selon les membres de l’Union, qui imposent une réflexion stratégique, suivie d’actions urgentes, pour consolider les structures et les modes de décision. Il faut à la fois plus de solidarité effective mais aussi plus de respect par les Etats des contraintes fixées et d’équité entre eux, quelle que soit leur taille. Faute de travailler activement sur ces deux sujets, l’accord de juillet sera une victoire à la Pyrrhus, apportant seulement un répit avant d’autres crises plus graves et plus nombreuses.

Du côté grec, les concours financiers supplémentaires constituent à court terme un oxygène vital. En honorant ses dettes internationales, le pays redevient financièrement fréquentable. La recapitalisation des banques va dégripper les circuits financiers et autoriser la reprise de crédits à l’économie. Les privatisations apporteront à l’Etat des recettes significatives et une possible amélioration du fonctionnement des sociétés concernées. Certaines réformes déjà validées pourraient rendre l’administration plus efficace, la fiscalité plus productive, les charges liées aux retraites moins lourdes et plus cohérentes avec la moyenne de la zone. La Grèce devrait ainsi accélérer sa mutation vers une économie et une société plus proches des « normes »  européennes. Pourtant, les objectifs centraux de la relance de la croissance économique et de l’équilibre budgétaire sont loin d’être gagnés. La capacité de l’administration de réaliser rapidement ces réformes et d’en tirer profit n’est pas avérée. Le pays manque de secteurs agricoles, industriels et de services sur lesquels pourraient s’appuyer une forte expansion, soutenue par une meilleure position compétitive, comme ce fut le cas en Espagne. Les premières mesures prises vont d’abord générer de nouvelles compressions du pouvoir d’achat, frappant avant tout les classes moyennes. Elles accroîtront donc une paupérisation du plus grand nombre, et seront peu propices à la reprise de l’économie nationale. Les transformations structurelles plus ambitieuses, pour la réduction des privilèges exorbitants de certains groupes, restent en attente, peut-être pour longtemps. Surtout, la dette publique, déjà jugée trop lourde par tous, se trouve brutalement accrue de quelque 30%, sans qu’aucun créancier  ne se soit apparemment inquiété des possibilités effectives de remboursement de ce supplément d’emprunt. Une restructuration en profondeur de ces créances sur la Grèce n’est en rien esquissée alors qu’elle est essentielle pour que les réformes acceptées portent leurs fruits. En un mot, le traitement imposé au malade est douloureux mais incomplet, ce qui rend la guérison  hypothétique et le rechute possible.

Alors que la bataille économique s’annonce délicate, le pays replonge dans des imbroglios politiques. La victoire en janvier 2015 du parti Syrisa, adversaire déclaré de l’austérité, avait à juste titre  fait craindre la remise en cause dans le pays de nombreuses orientations antérieures. Durant plusieurs mois, les négociateurs grecs ont mené brillamment l’art de l’esquive, des promesses imprécises et des exigences irréalistes, au lieu de défendre avec fermeté un plan d’actions structurelles crédibles en contrepartie d’un réaménagement viable de la dette publique. Ces « fausses » négociations ont très logiquement réduit à néant une confiance déjà fragile envers les dirigeants grecs. A peine l’éviction de ceux qui bloquaient les discussions avait-elle permis de dégager les grandes lignes d’un accord que M. Tsipras soumettait celui-ci, à la surprise générale, à un référendum  auquel il recommandait lui-même de répondre par la négative. La victoire éclatante du « non » n’a pas empêché le Premier Ministre de revenir immédiatement à la table des discussions et d’accepter un accord aussi rigoureux que le premier. Alors que celui-ci est désormais entériné par tous, la démission du Premier Ministre ouvre de nouvelles inconnues qui pourraient retarder d’autant la mise en œuvre des réformes économiques. Xième manœuvre dilatoire ? Excès de confiance en lui de M. Tsipras? Celui-ci peut en effet sortir gagnant de l’épreuve en restaurant une majorité plus stable. Il peut aussi perdre face à d’autres alliances, soit autour d’une droite qui l’a aidé récemment, soit autour des ultras de Syrisa qui viennent de prendre leur indépendance. La réponse sera maintenant vite donnée.

Ces trois menaces montrent que les vues à court terme restent prédominantes mais risquées. A ce rythme, les tensions entre l’Europe et la Grèce –et d’autres pays éventuellement- risquent de revenir rapidement au devant de l’actualité. Le dossier des migrants, où la solidarité de l’Europe avec la Grèce n’est pas exemplaire, en fournit une première occasion.

Paul Derreumaux

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Grèce : des actes derrière les paroles ?

Grèce : des actes derrière les paroles ?

Les jours qui viennent seront très importants pour la Grèce comme pour l’Europe. Ils permettront de voir si les deux parties sont décidées à agir de façon à sauver la première et à préserver la seconde. Les actions à mener et leur chronologie souhaitable sont pourtant claires depuis longtemps, mais leur mise en œuvre reste difficile.  

La victoire à Athènes le 25 janvier dernier du parti Syriza et la nomination de son chef, M. Tsipras, comme Premier Ministre semblaient ouvrir la porte à une « autre politique » face à la crise. Elles avaient éveillé beaucoup d’espoirs chez ceux pour qui les exigences de l’économie peuvent ne pas être obligatoirement synonymes de sacrifices uniquement pour les plus vulnérables. L’évolution la plus récente appelle cependant de nombreuses interrogations sur la capacité de la nouvelle équipe à réussir son incroyable pari.

Le Chef du gouvernement grec a au moins un talent certain : son pragmatisme. Alors que la gauche radicale dont il est issu était initialement partisane d’une sortie de la Grèce de la zone euro, cet aspect radical du programme était soigneusement abandonné avant les dernières élections. Syriza s’est en revanche fermement accroché à ce qui le distinguait essentiellement de presque tous ses concurrents : le rejet catégorique de la poursuite de la main-mise des équipes de la « troika » (Fonds monétaire International/Banque Centrale Européenne/Commission Europeenne) sur la politique économique et sociale de la Grèce et le refus du paiement de la dette publique existante. Elus sur cette base, M. Tsipras et son équipe ont été vite confrontés à l’épreuve des faits, et notamment de retraits massifs des dépôts des banques et de fuite des capitaux vers d’autres pays européens. Il est difficile de rester dans un espace économique et de ne pas en appliquer les règles qui y sont en vigueur. Face à la menace d’une rapide banqueroute, la nouvelle équipe gouvernementale est donc passée en moins de 60 jours d’un refus catégorique des contraintes européennes à la signature d’un accord de transition avec l’Eurogroup. Ce faisant, elle a accepté de réduire l’ampleur ou de temporiser certaines des réformes les plus emblématiques qu’elle avait annoncées à son électorat. C’est un exploit d’autant plus remarquable que, pour l’instant, les protestations intérieures contre les renoncements opérés n’ont pas été trop nombreuses. Le Premier Ministre a donc au moins déjà démontré ses talents d’équilibriste en alternant des discours enflammés de refus des diktats étrangers et des concessions finalement vite acceptées, échéances financières obligent. Il va lui falloir cependant prouver maintenant qu’il est aussi un homme d’Etat en faisant évoluer concrètement la situation vers des horizons plus favorables. Trois points méritent d’être soulignés à ce propos.

Le refus du paiement de la dette extérieure revient périodiquement, notamment lors des accès de colère d’un Ministre des Finances hellène provocateur. Cette solution extrême simplifierait effectivement beaucoup de choses et devrait d’ailleurs être finalement inévitable : les ressources requises pour le remboursement intégral de la dette publique grecque ne paraissent pas pouvoir être réunies à moyen ou même à long terme, sauf en cas d’inflation massive et/ou d’un rebond vif et durable de la croissance économique .Toutefois, de tels propos extrêmes ne peuvent évidemment être acceptés en l’état par les partenaires européens. Une bonne partie des dettes de la Grèce ont déjà été annulées ou fortement restructurées, au prix de lourdes pertes pour les créanciers privés concernés, et les montants subsistants sont principalement détenus par les Etats partenaires et des institutions internationales. Leur renoncement à ces créances ne serait pas impossible en théorie. Même le Fonds Monétaire International pourrait  y consentir comme il l’a fait en 2005 au profit de certains pays africains en plein cataclysme économique à l’occasion de l’Initiative d’Allègement de la Dette Multilatérale (IADM). Mais la situation présente de la Grèce, heureusement pour elle, n’est pas celle de l’Afrique subsaharienne des années 1990. De plus, les étroites limites de la solidarité européenne, la situation économiquement difficile de certains pays créanciers et l’effet d’exemple qu’aurait une telle mesure d’annulation font que celle-ci reste actuellement taboue. S’arcbouter présentement sur cette demande ne devrait donc pas contribuer à progresser vers un accord global permettant à la Grèce de sortir de l’impasse où elle est enfermée.

Une nouvelle restructuration de cette dette extérieure est en revanche parfaitement possible à court terme et constitue une piste d’amélioration significative de la situation. Une telle opération est plus difficile que la précédente puisqu’elle concerne avant tout des créanciers publics, peu réceptifs à de telles pratiques. On pourrait toutefois imaginer que, au moins à l’intérieur de l’Union Européenne (UE), cette crise soit l’occasion de réaliser un pas important vers une plus grande solidarité effective entre Etats avec des sacrifices somme toute modestes face à l’enjeu. Les méthodes classiques sont utilisables à cette fin: allongement de la période de remboursement et diminution des taux d’intérêt, qui n’impliquent que des manques à gagner pour les créanciers. Il serait aussi possible d’imaginer des solutions plus audacieuses telle, par exemple, la conversion de créances en investissements en Grèce, dans des secteurs et des structures à définir. Cette approche comporte certes des risques pour les prêteurs actuels, liés aux investissements retenus, mais ils peuvent être atténués par la qualité des choix d’investissements effectués ou par des clauses du type de « retour à meilleure fortune ». Une pareille démarche innovante présenterait un double avantage : faciliter le rééquilibrage des finances publiques de la Grèce et relancer la machine économique du pays ; gagner du temps pour mettre au point des mécanismes aussi optimaux et équitables que possibles pour un traitement d’ensemble et « définitif » de cette dette extérieure. De telles initiatives de la part des créanciers exigent cependant que le pays continue lui-même les importants efforts qu’il a entrepris depuis cinq ans pour assainir sa situation.

Ces réformes sont en effet la contrepartie obligatoire et simultanée de la solidarité sollicitée des partenaires. Sur ce plan, le gouvernement grec parait jusqu’ici plus imaginatif en incantations qu’en propositions et en dépenses sociales supplémentaires, sans doute justifiées, qu’en collecte de ressources publiques additionnelles. La création évoquée de « brigades » de jeunes délateurs des fraudeurs à la TVA n’est ni une réforme de fond ni une garantie de changement des comportements ou d’union nationale. Les domaines dans lesquels pourraient utilement s’inscrire des changements rapides sont pourtant nombreux. Celui de la fiscalité d’abord, pour toucher enfin davantage des castes protégées –l’Eglise et  les armateurs sont les plus souvent cités– et instaurer une fiscalité mieux répartie et plus efficiente. Une étude, hélas allemande, vient de montrer que les mesures, fiscales et autres, prises depuis 5 ans ont touché bien plus les foyers les moins riches que ceux les plus nantis et les fonctionnaires que les salariés du secteur privé, accroissant ainsi des inégalités déjà élevées. Celui des privatisatisations ensuite : l’enjeu ne devrait pas être un blocage de ces opérations, surtout lorsqu’elles ont déjà fait l’objet d’engagements fermes, mais d’une gestion de celles-ci de façon à ce que la Grèce en tire le plus grand profit en termes de prix, d’emplois et de relance de la croissance. Celui de la réduction, indispensable, du « train de vie » de l’Etat qui est ramené par les agences de notation au rang de « pays émergent » et doit en tirer toutes les conséquences. Celui de la compétitivité des entreprises, qui semble un problème majeur et requiert à la fois des efforts importants de formation, un allongement de la durée du travail, une politique salariale maîtrisée mais aussi incitative. Celui de la productivité d’une administration qui n’a pas encore suffisamment gagné en efficacité.

C’est à ces seules conditions, et en laissant de côté au maximum les excès de langage, que la tempête économico-financière en vue pourrait être éloignée de la Grèce. Les efforts sont bien sûr attendus avant tout des Autorités et du peuple grec, pour corriger les abus antérieurs. Ils doivent être concrets, sincères, durables et s’inscrire dans un projet à long terme de relance d’un pays qui ne manque pas d’atouts. Mais il faut qu’ils soient accompagnés, de la part de  partenaires européens qui ont aussi à réparer des erreurs passées, d’une avancée des solidarités et d’un recul correspondant des égoïsmes. C’est sur ces derniers que prospèrent en effet le mieux les inégalités et les injustices, et leurs corollaires que sont les extrémismes.

Paul Derreumaux