Catégories
Système bancaire africain

Bourse Régionale de L’UEMOA : après la consolidation, le décollage ?

Bourse Régionale de l’UEMOA : après la consolidation, le décollage ?

Figurant dans la deuxième vague des créations de bourses mobilières africaines, la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) est maintenant montée en puissance et se situe, par sa capitalisation, au 6ème rang des 24 bourses existantes. Elle aspire désormais à une puissance nouvelle que l’évolution actuelle de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) pourrait lui apporter.

La position encourageante de la BRVM doit beaucoup à trois principaux facteurs : l’existence d’une base de valeurs reprise de la Bourse d’Abidjan qui l’avait précédée ; le soutien très actif dont elle a bénéficié constamment des Autorités de l’Union et, surtout, de la Banque Centrale ; le caractère régional qui a élargi le cercle de ses émetteurs potentiel et de son public d’investisseurs.

Les dernières années ont été particulièrement prometteuses pour la BRVM. Certes le nombre d’actions cotées  a peu évolué par rapport à la création en 1998 et une forte rigidité continue à peser sur le fonctionnement de la bourse, ce qui en limite l’attractivité. Toutefois, la balance pèse nettement du côté des bonnes nouvelles depuis le début des années 2010, pour les investisseurs comme pour les émetteurs. Pour ces derniers, privés ou publics, le marché financier offre des possibilités accrues de trouver des ressources à moyen et long terme pour leur développement, soit sous forme d’emprunts, sur le marché obligataire, soit par des capitaux propres, sur le compartiment des actions. Même si les opérations enregistrées jusqu’ici ont été moins nombreuses qu’escompté, ceux qui sont venus sur le marché n’ont connu aucune déception puisque tous les appels au marché ont été sursouscrits, et souvent largement. Du côté privé, le Groupe Bank of Africa par exemple, en quinze ans et avec grand succès, a introduit à la cote 5 des 7 banques commerciales qu’il détient dans l’Union et celles-ci ont émis à plusieurs reprises des emprunts obligataires. De leur côté, les Etats ont fait un appel croissant au marché par des financements à moyen terme depuis les années 1996 et sont progressivement devenus l’acteur très dominant du marché obligataire. Pour les investisseurs, institutionnels ou individuels, la bourse constitue désormais une excellente opportunité de diversification des placements, notamment à moyen et long terme, et offre une rentabilité honorable, voire excellente pour certaines valeurs, en comparaison à celle des dépôts bancaires.

Les inconvénients souvent cités – cherté relative, faible liquidité des titres, poids excessif des obligations souveraines, nombre insuffisant de valeurs, modestie des organismes de placement collectif – sont réels et expliquent que le recours du secteur privé à la BRVM soit encore modéré. Toutefois, les réformes s’accomplissent progressivement : utilisation de la notation pour éviter l’apport d’une garantie pour les émissions obligataires ; cotation électronique en continu pour faciliter et multiplier les transactions ; organisation d’un calendrier régional pour les emprunts publics en vue d’éviter les télescopages de plusieurs opérations. L’évolution de 2014, qui a vu à la fois l’entrée en bourse de deux nouvelles sociétés au Sénégal, la réussite de nombreuses émissions d’Etat et une croissance d’environ 12% des indices globaux après la poussée de 38% notée en 2013, montrent que la confiance grandit et que les fondamentaux se confortent.

Comme partout, la solidité d’une bourse mobilière s’enracine en effet dans les potentialités de l’économie réelle de la zone dans laquelle elle fonctionne et dans la force des relations qui la lient à cette économie. En la matière, l’UEMOA est présentement une des régions d’Afrique les mieux placées. Les Autorités ont confirmé à plusieurs reprises l’atteinte d’un taux de croissance supérieur à 7% pour 2015, qui marque une nouvelle hausse par rapport aux rythmes croissants déjà obtenus depuis 2012. Les niveaux satisfaisants des dernières campagnes agricoles ; l’accroissement des investissements publics dans les infrastructures, en particulier routières et urbaines ; l’activité toujours soutenue des services, banques et entreprises de télécommunications en tête ; le maintien d’équilibres économiques acceptables sont les principaux éléments qui expliquent ces bons résultats globaux. Plus récemment, la chute des cours du pétrole et la hausse du dollar, monnaie de facturation des exportations agricoles et minières, ont amplifié cette embellie Même si ces deux dernières données sont provisoires, les autres composantes de l’évolution favorable devraient se poursuivre jusqu’à la fin de la décennie et permettre la pérennité de ce rythme sur cette période. Trois données joueront particulièrement en ce sens, en complément des points évoqués ci-avant: la bonne probabilité d’une stabilité politique ; le soutien des institutions internationales ; la continuité de la politique d’intégration régionale.

Pourtant, cette amélioration reste encore insuffisante par rapport aux ambitions d’émergence qui se font partout  plus présentes. Pour être réalistes, celles-ci doivent en effet retenir un taux d’accroissement  du PIB national plus élevé et sur une période plus longue, d’une part, et des transformations structurelles plus rapides et plus profondes, d’autre part. Ici encore, l’UEMOA dispose de quelques atouts importants, tels les trois exemples suivants. Le premier devrait être le moteur d’entrainement exercé par la Côte d’Ivoire sur toute la zone : l’économie ivoirienne parait en effet solidement engagée dans une spirale positive générant d’importants effets induits grâce à son poids dans l’économie régionale et à l’intensité de l’intégration économique et financière de l’Union. Le deuxième est la transformation rapide du système financier : les changements notables et positifs réalisés en quinze ans par les banques se trouveront probablement confrontés à la nouvelle donne des sociétés de télécommunications qui vont intervenir directement dans le domaine des moyens de paiement. Suite aux initiatives de quelques groupes comme Orange, l’Afrique de l’Ouest pourrait ici rejoindre des pionniers comme le Kenya et cette vraie révolution entrainera peut-être des turbulences. Elle peut toutefois être créatrice de nouveaux progrès en raison de l’accélération de la bancarisation qui va en résulter et de la possibilité pour les banques de mieux se consacrer à des activités de financement. La troisième s’observe dans les quelques projets  qui se concrétisent dans l’énergie, l’industrie ou la grande distribution, surtout en Cote d’Ivoire et au Sénégal, et pourraient en annoncer d’autres dans des secteurs qui sont restés les parents pauvres de la mutation de nos économies. Ces avancées pourraient faciliter d’autres transformations, indispensables pour l’émergence, et pour lesquelles notre Union est moins bien placée : le renforcement du secteur privé par rapport à un secteur public encore trop présent ; une meilleure prise en compte à tous les niveaux du mérite, grâce à une culture plus affirmée du résultat des actions menées ; une plus grande place à l’innovation et à la flexibilité dans les politiques suivies.

Dans cette stratégie, la BRVM peut jouer un rôle croissant en devenant un acteur de premier plan dans la mobilisation de ressources financières. Il faut pour cela que la profondeur du marché financier se développe et que l’animation de celui-ci change d’échelle. L’inventaire des sociétés cotées montre que près de la moitié des pays qui composent l’UEMOA – Mali, Niger, Togo et Guinée-Bissau- n’ont encore aucune société cotée et que, sur les 39 titres en bourse, une large majorité représente des sociétés ivoiriennes. En visant la cotation de 3 sociétés par pays –hors Guinée Bissau – sur les trois prochaines années, la BRVM densifierait fortement son actif et, avec 60 titres sur ce compartiment actions, approcherait les 66 sociétés présentes sur la bourse de Nairobi qui la précède en capitalisation. Peut-être ambitieux, cet objectif parait pourtant plausible si les Autorités nationales et régionales y apportent tout leur appui. L’élargissement des possibilités de mobilisation sur le marché des capitaux sera en outre d’autant mieux atteint que les instruments offerts au placement seront plus diversifiés. En la matière, une amélioration essentielle devrait être la multiplication des sociétés de gestion d’actifs qui réduisent le risque pour toutes les catégories de souscripteurs. Cette évolution, qui peut être encouragée à court terme, serait de nature à répondre à la forte approche patrimoniale qui marque le public francophone. Une autre piste serait la plus grande sophistication des types d’investissement offerts.  Sur ce dernier plan, la bourse de Nairobi est par exemple en cours d’implantation des opérations sur options et compte ainsi alimenter davantage le dynamisme qui caractérise son marché. L’adoption de telles initiatives dans l’Union pourrait ici densifier les transactions et accroitre l’intérêt pour les gains sur valorisation.

Dans tous les cas, une comparaison avec l’expérience chinoise fait apparaitre, toutes proportions gardées, les chances d’une amplification prochaine de la progression des cours si le développement économique se conforte. Dans l’Empire du Milieu, les nombreux investissements de « private equity » réalisés dans la décennie 1980 ont abouti, depuis le début des années 1990, à l’introduction en bourse de multiples sociétés pour faciliter la sortie des investisseurs initiaux et ont amené une croissance souvent exponentielle des cours. L’UEMOA, comme d’autres parties de l’Afrique subsaharienne, pourrait bientôt connaitre un tel point de basculement : l’afflux actuel des capitaux des fonds d’investissement appelle logiquement une forte augmentation des entrées en bourse des sociétés lors des phases ultérieures de reconfiguration des « tours de table ». Tous les acteurs auront à accomplir des efforts gigantesques d’innovation et de ténacité pour saisir au mieux cette opportunité exceptionnelle et attirer d’importants capitaux étrangers afin de compléter l’épargne locale, mais l’enjeu mérite ces efforts..

Ce résultat comporterait de nouveaux risques, notamment de plus grande volatilité des cours suivant les fluctuations de la conjoncture internationale. Mais c’est là une caractéristique des pays émergents et ce serait bien le signe qu’une nouvelle étape est franchie.

Paul Derreumaux

Catégories
Système bancaire africain

Le marché financier remplit-il son rôle en Afrique francophone ?

Le marché financier remplit-il son rôle en Afrique francophone ?

Trois bourses de valeurs mobilières couvrent les 14 pays de l’Afrique francophone. Celles de Douala et de Libreville, en Afrique Centrale, sont cependant quasiment virtuelles, empêtrées dans leur concurrence, leur très modeste consistance et la rareté de leurs transactions.

A l’Ouest, la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) est au contraire une réalité tangible. Elle revient cependant de loin. Née en 1998 en se substituant à la Bourse des Valeurs d’Abidjan (BVA). elle visait à développer l’épargne de  long terme  pour faciliter le financement des  investissements productifs et la croissance économique de la zone. Grâce à son approche régionale, unique au monde, la BRVM éliminait aussi l’obstacle de l’étroitesse des économies nationales et des marchés financiers correspondants, et laissait espérer un niveau d’activité significatif. Les déceptions se sont d’abord accumulées Les privatisations, censées soutenir le marché dès sa mise en place, n’ont pas eu lieu ou se sont passées pour l’essentiel en dehors de la Bourse. Les coûts élevés et les lourdes exigences administratives ont peu encouragé les entreprises privées à faire appel au marché : en 15 ans, seules 8 sociétés se sont ajoutées aux 30 entreprises héritées de la BVA, et la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD) est restée longtemps le principal animateur du marché obligataire. Des charges de fonctionnement excessives ont pesé dès l’origine sur le compte d’exploitation de la Bourse et généré des pertes significatives.

Ces difficultés initiales ont été effacées. Les meilleurs résultats des entreprises ont généré des dividendes en hausse et rendu les actions plus attractives pour les investisseurs. L’accroissement correspondant des activités et les économies issues de la refonte de l’organisation  ont rendu la Bourse bénéficiaire. La BRVM est devenue, derrière le système bancaire, un élément important du paysage financier de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) et le sixième plus important marché financier du continent.

De nouveaux risques sont toutefois apparus. Depuis l’arrêt de leurs possibilités de refinancement auprès de la Banque Centrale, les Etats de l’Union se sont notamment tournés vers la BRVM et sont aujourd’hui, et de très loin, les principaux émetteurs en représentant près de 70% du volume des obligations côtées. Ces opérations, toutes placées facilement, assurent une réelle profondeur du marché. Elles pourraient cependant assécher celui-ci, vu leur volume en fort accroissement, et introduisent des disparités préjudiciables aux émetteurs privés, en raison des avantages fiscaux dont elles bénéficient. Elles peuvent aussi, faute de règles suffisamment contraignantes, recevoir des affectations non optimales  ou conduire à un endettement excessif des Etats : un défaut de remboursement compromettrait alors pour longtemps la crédibilité du marché. Une plus grande vigilance est donc souhaitable et la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a engagé le suivi global de ces endettements publics pour réduire les risques systémiques qu’ils pourraient provoquer.

Pour les émetteurs privés, les adoucissements intervenus en matière de coûts supportés et de garanties exigées n’ont eu pour l’instant que des effets modérés. Les titres additionnels et les augmentations de capital restent rares et l’offre demeure inférieure à une demande « boostée » par la hausse depuis deux ans de nombreuses valeurs, surtout bancaires et de télécommunications.  Cette évolution attractive, comme la rareté des choix alternatifs pour les  investisseurs institutionnels, expliquent que les émissions d’actions et d’obligations nouvelles soient toutes aisément souscrites jusqu’ici, malgré la concurrence croissante des titres d’Etat. Les instruments financiers disponibles doivent donc à l’évidence être multipliés.

Pour franchir une nouvelle étape et atteindre les ambitieux objectifs des Autorités francophones, trois évolutions semblent indispensables.

A la BRVM, il faut d’abord développer et diversifier l’offre en accroissant l’intérêt de la cotation. A cette fin, l’effort devra continuer à porter simultanément sur de nouvelles réductions des coûts d’accès, une plus grande souplesse des réglementations et une intense promotion commerciale. Des signaux positifs se manifestent :.annonce de la prochaine introduction des actions de quelques grandes sociétés, accroissement du nombre des Organismes de Placements Collectifs à Valeurs Multiples (OPCVM), amorce de titrisation de certains créances  hypothécaires. Ils restent pourtant encore modestes, alors que le recours aux emprunts obligataires ne  parait pas progresser du côté des sociétés privées. De plus, la prochaine création d’un compartiment réservé aux Petites et Moyennes Entreprises (PME) répond sans doute peu aux besoins des sociétés concernées et pourrait s’avérer décevante.

Il faut aussi renforcer au maximum la liquidité des titres du marché, par exemple en diminuant les valeurs nominales unitaires des actions, en multipliant les fonds de liquidité des titres cotés et en mettant l’accent sur l’information et la formation des acteurs et du public. C’est seulement ainsi que le comportement patrimonial actuel des épargnants pourra s’estomper, ce qui rassurerait les grands investisseurs et amènerait un fonctionnement plus proche de celui des bourses anglophones.

Enfin, il importe de combler au plus vite le vide existant en Afrique Centrale, pour doter celle-ci d’un véritable marché financier répondant aux mêmes objectifs que dans l’UEMOA. Les pistes possibles sont diverses : unification des deux bourses existantes, arrêt de l’une d’elles ; rapprochement avec la BRVM. L’impulsion aura en tous cas à être donnée par une forte volonté politique régionale, qui parait encore faire défaut.

Impulsée avec vigueur par la BCEAO il y a 15 ans, la BRVM a fait la preuve de sa viabilité et de son rôle, tant pour le financement de la croissance que pour l’intégration régionale. Elle doit maintenant, d’urgence, accélérer ses réformes structurelles pour maitriser ses faiblesses et  exploiter pleinement son potentiel. Tout ne sera pas possible à court terme : l’essentiel est d’avancer, régulièrement et toujours dans la bonne direction. 

Paul Derreumaux

Catégories
Système bancaire africain

Actualité bancaire africaine

Brèves réflexions sur l’actualité bancaire africaine.

En septembre dernier, quelques pronostics paraissaient vraisemblables quant aux possibles évènements marquants du système bancaire d’Afrique subsaharienne sur la période 2013/2014 (1). Quatre mois après, certaines pistes d’évolution annoncées se précisent tandis que d’autres aspects importants pourraient apparaitre.

Une première hypothèse émise concernait le ralentissement probable, à court terme, des spectaculaires opérations de rapprochement/expansion qui avaient marqué les cinq dernières années. Cette orientation semble pour l’instant confirmée et la seule transaction d’envergure présentement sur le devant de la scène vise, comme prévu, la privatisation au Nigéria de trois banques restructurées. Encore ce processus risque-t-il, malgré la pression des prochaines échéances électorales dans le pays, de dépasser les délais attendus en raison de la taille des dossiers et du nombre probablement élevé des candidats acheteurs.

Face à cette temporisation, des groupes ambitieux mais de moindre taille occupent le terrain et continuent à tisser leur toile. La banque camerounaise Afriland First Bank, fort éclectique dans la localisation de ses implantations, vient d’être autorisée à acquérir Access Bank en Côte d’Ivoire et négocie en vue de l’installation d’une filiale au Bénin. Elle retrouvera à Abidjan la banque burkinabé Coris Bank, tout récemment opérationnelle: celle-ci, maintenant numéro deux dans son pays, confirme par cette création « ex nihilo » sa volonté d’expansion régionale, après sa tentative avortée au Niger. Même la Banque de Développement du Mali (BDM), leader jusqu’ici peu remuant du système bancaire malien, affiche sa future expansion au Burkina et en Côte d’Ivoire. L’ivoirienne Bridge Bank, maintenant bénéficiaire, vient d’acheter au Sénégal la Banque Nationale de Développement Economique (BNDE).

A ces mouvements s’ajoute, dans nombre de pays, surtout anglophones, la poursuite de l’arrivée de petites banques privées. L’augmentation du nombre d’établissements bancaires qui en résulte s’observe dans presque chaque système national : le seuil des 20 banques est souvent franchi – 24 en Côte d’Ivoire, 26 au Ghana, 36 en Tanzanie – et la présence d’une bonne quarantaine de banques au Kenya surprend moins qu’auparavant. La concurrence s’intensifie à due proportion et contribue à une progression continue de la bancarisation des populations. Toutefois, les lourds investissements requis par l’activité bancaire et les contraintes croissantes de « compliance » apparaissent difficilement compatibles avec l’augmentation du nombre d’établissements et la survivance d’acteurs de tailles trop diverses faisant tous le même métier.

L’exemple des pays du Nord ou, en Afrique, des pays majeurs comme le Nigéria ou l’Afrique du Sud est à cet égard illustratif des tendances les plus prévisibles à moyen terme. Au plan opérationnel, une différentiation croissante de la profession est probable avec, d’un côté, la diminution du nombre total de banques généralistes et l’augmentation du poids relatif des plus importantes de celles-ci et, face à cette concentration renforcée, la multiplication d’institutions spécialisées : « banques de niche » tournées vers les particuliers haut de gamme, sociétés de crédit à la consommation, sociétés de crédit-bail… Au plan capitalistique, au contraire, le nombre d’acteurs devrait continuer à se réduire, les principales institutions étant souvent appelées à devenir les sociétés mères des sociétés spécialisées.

Cette orientation logique, bien engagée dans les cinq dernières années, pourrait cependant être  plus lente que prévu à se concrétiser. Les principaux groupes africains, moteurs des grandes opérations récentes, doivent consolider leurs implantations et leur organisation centrale, et rechercher des ressources ou des alliés pour étendre la construction de leurs réseaux sans en perdre le contrôle. C’est ce contrôle que cherchent sans doute les puissants acteurs bancaires moyen-orientaux ou asiatiques : ceux-ci disposent en effet des moyens financiers requis, mais leur expertise n’est guère adaptée ni aux économies africaines petites et peu diversifiées, ni aux challenges que leurs équipes devraient obligatoirement relever en cas d’implantation directe de leur part. Les groupes français et anglais restent toujours essentiellement réduits à Barclays et la Société Générale : celles-ci ont cependant visiblement l’une et l’autre la volonté de défendre vigoureusement leurs positions encore solides. La Société Générale, en particulier, annonce un plan ambitieux d’ouverture de 70 agences sur le continent en 2014 et s’efforce de prendre de l’avance sur le « mobile-banking ».

A côté des banques, la seule composante des systèmes financiers qui pourrait enregistrer un renforcement à bref délai est probablement celle des marchés boursiers. Ceux-ci sont maintenant nombreux sur le continent, mais restent dans l’ensemble étroits et peu animés. Ici encore, l’espace francophone se distingue par un retard sensible : dans les dix dernières années, la bourse y a été bien davantage utilisée par les Etats pour le financement de leurs besoins, en remplacement du recours à la Banque Centrale, que par les nouvelles cotations ou les émissions d’actions supplémentaires des grandes sociétés privées.

L’environnement pourrait évoluer favorablement à bref délai. Les Autorités de la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) par exemple, encouragées par quelques institutions internationales, ont adopté ou préparent des mesures pouvant conduire à une dynamisation du marché : remplacement possible des garanties exigées par une notation pour les emprunts obligataires, mise au point d’un calendrier annuel des émissions de titres des Etats, institution d’un mécanisme de protection pour les emprunts publics, annonce en Côte d’Ivoire du recours au marché pour de nouvelles privatisations. Pourtant, les changements doivent être menés plus rapidement et à plus large échelle. Dans tous les pays, la profondeur du gisement d’épargne locale est en effet certaine : toutes les émissions d’actions ou d’obligations, même les plus risquées, sont jusqu’ici entièrement souscrites, souvent très largement. Beaucoup d’investisseurs individuels ou institutionnels, et notamment les compagnies d’assurance, sont en particulier friands d’actions, aussi bien pour la bonne progression récente des cours que pour des raisons réglementaires et d’étroitesse des autres choix possibles. Pour exploiter ces potentialités, il conviendrait d’avancer dans trois directions : créer un marché financier fiable dans les zones où les structures sont absentes ou peu opérationnelles malgré les opportunités existantes, comme en Afrique Centrale francophone ; approfondir et faciliter dans de nombreuses bourses l’accès aux marchés et leur attractivité par des actions simultanées sur les coûts, la diversité des instruments, la souplesse des réglementations ; renforcer partout où nécessaire la liquidité des titres en agissant à la fois sur les comportements des investisseurs et sur les modalités de fonctionnement des bourse.

Pour d’autres aspects, les tendances prévues sont au rendez-vous. La question des risques encourus, qu’ils soient relatifs aux contreparties ou aux opérations, devient de plus en plus centrale : la pression des Autorités s’ajoute aux préoccupations des Groupes eux-mêmes au vu de l’évolution de leurs bilans  et explique que des actions de fond soient entreprises sur ce thème par diverses banques. La baisse des taux d’intérêt se poursuit à un rythme ralenti : malgré le manque d’enthousiasme des acteurs du secteur, elle semble à la fois inéluctable et souhaitable, essentiellement pour que se réalisent le renforcement des investissements des entreprises nationales et l’essor du secteur immobilier. Au plan des activités enfin, la concurrence entre les banques continue à s’intensifier comme prévu : les résultats dans l’ensemble très satisfaisants qui seront atteints en 2013 confortent en effet les établissements sur la pertinence de leur stratégie et sur les bonnes perspectives de profit que peut générer une politique très active dans la densification des réseaux d’agences et de la gamme des produits.

En ce dernier domaine, un terrain encore largement vierge est celui du rapatriement de l’épargne des diasporas africaines. Malgré les crises économiques dans les pays du Nord depuis 2008, ces flux ont continué à  prospérer et représentent pour certains pays subsahariens – Comores, Kenya, Mali, Sénégal par exemple – des montants remarquablement élevés à l’échelle des Etats intéressés. Les banques n’y jouent encore qu’un rôle marginal face à d’autres circuits, parfois totalement informels, alors qu’elles sont logiquement les mieux placées pour résoudre un problème crucial posé par ces mouvements financiers : leur utilisation efficace vis-à-vis des besoins permanents considérables des pays africains pour le financement de leur développement. Une percée des banques africaines sur ce créneau exige de leur part une politique de proximité maximale auprès d’une clientèle très éparse et difficile d’accès. Elle suppose donc une accélération dans la construction des réseaux locaux, une plus grande audace dans les implantations hors d’Afrique et une politique plus accommodante des Autorités des pays où s’est installée cette diaspora vis-à-vis des flux financiers concernés. De fortes avancées sont possibles, mais le temps presse car les sociétés de télécommunications s’installent avec fore et compétitivité sur ce secteur.

Ces observations sont finalement rassurantes sur la cohérence des évolutions constatées. Certes, les concentrations majeures, qui semblent toujours inévitables, n’apparaitront sans doute pas dans les toutes prochaines périodes. Cependant, la vitalité du secteur est confirmée, ainsi que son renforcement en cours et l’importance des nouveaux champs d’activité possibles. Le cap positif est bien maintenu, seule la vitesse d’avancement n’est pas assurée.

(1) Cf. « Quoi de neuf dans les banques subsahariennes pour la rentrée » in African Banker (octobre 2013), repris dans le présent blog en novembre 2013.

Paul Derreumaux