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Mali : Gardons le cap !

Mali : Gardons le cap !

 

Le coup d’Etat du 18 août 2020 était apparu pour une large majorité de Maliennes et de Maliens comme une délivrance. Il mettait fin, de façon relativement apaisée, à une situation entièrement bloquée : un régime à bout de souffle, accusé de nombreuses pratiques corruptives, incapable de répondre à des revendications catégorielles multiples, de plus en plus inefficace dans son soutien à la croissance et dans la lutte antiterroriste, englué dans la remise en cause partielle des résultats des législatives de mars 2020 ; des manifestations très suivies, à Bamako et en province, conduites par des leaders religieux, politiques et syndicaux, réclamant, entre autres, le départ du Président et de son gouvernement. Un soulèvement militaire avait donc facilement ramassé en août dernier un pouvoir déjà largement mis à mal par une longue période de paralysie et trois mois de vive contestation. L’atmosphère joyeuse et « bon enfant » qui a salué ce changement politique a bien montré la facilité de l’opération, le soulagement des citoyens et l’espoir immense que représentait pour eux ce changement. Pour le peuple malien, et surtout les jeunes, il allait instaurer, enfin, un « Mali nouveau », traduit par le mot « Refondation » auto-approprié par la plupart des acteurs, qui serait libéré des démons progressivement installés après la grande espérance du Renouveau Démocratique de 1991 (cf. notre appel « Pour une transition réussie au Mali »)

Les premières déclarations à la population et aux médias du Conseil National pour le Salut du Peuple (CNSP), jugées dans l’ensemble rationnelles, modérées et ouvertes, et les premiers jours sans faux pas des militaires putschistes avaient amené la population et les observateurs à adopter un sentiment positif sur la jeune équipe au pouvoir et sur ses intentions. La position inflexible de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), prise dès le coup d’Etat, a vite conduit le pays à appuyer les nouveaux dirigeants. C’est dans ce contexte empreint d’un fort sentiment de nationalisme et d’un a priori de soutien aux actions de remise en ordre attendues du pouvoir militaire que celui-ci a entamé la préparation de l’installation des Autorités de la Transition politique. Trois principales limites aux caractéristiques possibles de cette Transition avaient seulement été émises par beaucoup de citoyens : une direction civile et non militaire ; une composition de l’équipe fondée avant tout sur la crédibilité et la compétence reconnue de chacun de ses membres ; une durée strictement limitée mais suffisamment longue pour des réformes de fond.

La relative lenteur avec laquelle les concertations ont été préparées pour cette mise en place de la Transition ainsi que le déroulement et les conclusions de celles-ci en septembre dernier avaient déjà suscité beaucoup d’interrogations et déceptions. La place éminente des militaires dans le processus et dans les futurs organes, y compris au niveau le plus élevé, et l’absence de priorités bien arrêtées dans le programme de travail étaient notamment surprenantes par rapport aux souhaits publiquement exprimés, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, depuis le coup d’Etat. Soumises à un feu vert de la CEDEAO pour que celle-ci accepte une levée de ses sanctions, les propositions maliennes ont été contraintes au minimum à plusieurs amendements et précisions. Devant divers atermoiements, voire des louvoiements, observés face à certaines de ces demandes, la fermeté de la CEDEAO est apparue cette fois très utile pour que des points jugés essentiels soient clarifiés et publiquement agréés.

Sur cette base, les blocages de la CEDEAO n’ont pu être levés que début octobre 2020, soit plus de 45 jours après le coup d’Etat, ce qui a alors permis au pays, à ses habitants et à ses entreprises d’espérer le retour à une vie plus « normale » et le début d’une phase de reconstruction du Mali sur les nouvelles bases attendues. A l’évidence, les étapes qui ont suivi cette décision ont surtout contribué à accroître les inquiétudes des citoyens pour au moins deux raisons.

La première est la lenteur constatée dans la mise en place des organes chargés de gérer la Transition. Le Premier Ministre désigné a dû mettre dix longs jours pour composer le gouvernement qui devrait être la cheville ouvrière essentielle dans la définition et le lancement des lignes directrices de la Refondation attendue. En outre, le public n’a pas retrouvé à tous les postes ministériels des personnalités techniquement éminentes et suffisamment neutres, qui l’auraient rassuré. En revanche, les fins connaisseurs des relations sociales multiples que connait le pays ont vite décrypté les connexions existantes entre les personnes choisies, et notamment la très forte influence, directe et indirecte, que possèdent les leaders du CNSP dans cette équipe. Le Conseil National de la Transition, quant à lui, n’est pas encore constitué, la complexité de sa composition telle qu’envisagée ne facilitant sans doute pas la désignation de candidats ayant les compétences requises pour le rôle de ce Conseil. Ces retards expliquent vraisemblablement pourquoi le CNSP n’a pas encore été dissous contrairement au programme des actions à mener. Son existence ne se justifie pourtant plus puisque toutes les forces concourant au redressement peuvent maintenant se fondre dans une Transition oeuvrant pour le bien du pays.

La seconde raison est que ne sont pas encore apparus les signaux qui montreraient que nous sommes entrés dans une nouvelle ère de transparence, de reconnaissance de l’urgence à agir, de prééminence permanente de l’intérêt général sur les intérêts particuliers, et de renaissance de l’Etat, de l’administration et de tous les acteurs socio-économiques du pays. Au contraire, alors que ces indicateurs sont pour l’instant absents, quelques premiers clignotants s’allument et alimentent de légitimes inquiétudes.

Ainsi, aucune information publique n’a indiqué que la déclaration de patrimoine des Autorités désignées, pourtant obligatoire, était réalisée.

Les « fuites » largement commentées sur les sujets d’examen du Diplôme d’Etudes Fondamentales (DEF) sont une autre illustration de la persistance de tares passées. La réponse apportée par la coupure de certains réseaux sociaux, pour limiter la diffusion excessive de ces fraudes, tendrait à prouver qu’il est jugé plus facile d’agir sur les moyens de propagation que sur les causes de cette anomalie.

Les menaces de grèves annoncées par les Administrateurs Civils, les policiers et d’autres catégories socio-professionnelles montrent enfin la gravité du malaise dans de nombreux secteurs, et notamment du côté des salariés de l’Administration. Or cette dernière jouera un rôle capital dans la remise en marche de services de l’Etat diligents, efficaces et irréprochables, et dans le rétablissement de la confiance entre les pouvoirs publics et les citoyens.

Surtout, la multiplication des attaques meurtrières perpétrées par les terroristes à l’intérieur du pays, et particulièrement dans le Centre de celui-ci, est beaucoup plus préoccupante. Le Mali attendait en effet impatiemment que l’armée, efficace pour se saisir à Bamako d’un régime aux abois, s’engage avec force et détermination pérenne, en coordination performante avec les troupes alliées engagées dans le même combat, dans la reconquête de tout le territoire et le retour à une sécurité durable en tout lieu. Malgré une écoute attentive, rien n’est jusqu’ici apparu dans les mots d’ordre ou les actions des Forces Armées et de leurs premiers responsables, qui nous indique qu’il s’agit là d’une priorité absolue. D’une certaine façon, la population attendait un héroïsme et une stratégie dignes d’un Soundjata Keita, mais n’a observé jusqu’ici qu’une timidité surprenante et de nouveaux reculs. Le trop long encerclement du village de Farabougou par des bandits terroristes au visage découvert, prolongé plusieurs semaines à la consternation générale, et dont l’épilogue est encore flou et incertain, est le témoignage le plus affligeant de cette évolution. Celle-ci est incompréhensible pour tous, et, si les justifications tactiques existent, leur présentation fait encore défaut.

Qu’on ne s’y trompe pas. Nous savons que, dans chaque Ministère ou Administration, la mise en place d’un dispositif requiert du temps et de l’énergie. La constitution des cabinets ministériels ou les prises de contact avec les dirigeants étrangers, ou les administrations et entreprises sous tutelle sont indispensables. Elles ne devraient cependant pas constituer la seule actualité du Gouvernement face à des urgences connues et non résolues.  Un large public a besoin d’être certain que tout est mis en œuvre, de façon à la fois ambitieuse et rationnelle mais urgente et réaliste, pour que les écoles et universités fonctionnent sans accroc, que l’accès aux soins soit facilité pour les plus démunis, que la corruption est partout menacée et en recul, que les mesures sont prises pour que les recettes fiscales et douanières sont bien recouvrées et la fraude combattue, que les menaces de grève sont désamorcées, que les routes sont améliorées,… A défaut de la mise en évidence que ces questions sont en cours de traitement prioritaire, il est à craindre que les Maliens aient tendance à conclure comme l’adage populaire : « Tout ce bruit pour rien ».

Trouvera-t-on que notre impatience est trop arrogante ou trop critique ? Ici encore, qu’on ne se méprenne pas. Le voeu le plus cher du plus grand nombre est que l’équipe installée au pouvoir, pour 18 mois, réponde à toutes ses attentes et que le peuple puisse faire bloc derrière elle comme au premier jour, dans une relation de confiance enfin rétablie avec les dirigeants. Il suffit de passer dans les quartiers de Bamako, et encore plus dans d’autres villes, pour comprendre l’urgence de toutes les requêtes exprimées et la disponibilité de chacun à soutenir les efforts qui visent à les satisfaire. Mais cette anxieuse espérance s’accompagne obligatoirement d’une exigence de transparence, d’information et d’explications de la part des dirigeants et d’un devoir de vigilance des dirigés. Qu’il nous soit donc permis de réclamer la première et d’assumer la seconde.

Un pays ne meurt jamais, mais sa descente aux enfers peut être interminable et est toujours préjudiciable aux plus modestes. C’est cela qu’il nous faut éviter en gardant bien, tous ensemble, le cap d’un véritable changement qui doit être conduit sans faiblesse et sans relâchement pour atteindre les objectifs dans les délais fixés.

 

Ont signé cet appel

Mossadeck Bally, Maïmouna Sow Bally, Moussa Bagayoko, Arwafa Ben Baba, Jamila Ben Baba, Abdoulah Coulibaly, Paul Derreumaux, Ramatoulaye Traore Derreumaux, Fatoumata Sidibé Diarra, Tiguida Guindo Diarra, Sekou Diarra, Hamadoun Dicko, Modibo Dicko, Mohamed Bassirou Diop, Cheikna Dibo, Serge Lepoultier, Ibrahim Sory Makanguilé, Mariam Coulibaly N’Diaye, Habib Ouane, Fatoumata Keita Ouane, Mamadou Sidibé, Aminata Diabaye Sidibé, Birama Sidibé, Youba Sokona, Khanata Traore Sokona, Amadou Sidiki Sow, Sadio Lamine Sow, Moustapha Soumaré, Ousmane Sy, Ousmane Thiam, Aya Diallo Thiam, Diadié Touré, Moctar Touré, Lalla Badji Haidara Touré, Hamadoun Touré, Ibrahim Touré

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Les risques de conflit interne dans les pays en développement et leurs modes de concrétisation : l’exemple du Mali

Les risques de conflit interne dans les pays en développement et leurs modes de concrétisation :

l’exemple du Mali

 

La Fondation pour les Etudes et Recherches sur le Développement International (FERDI), domiciliée à Clermont-Ferrand, vient de terminer une passionnante étude menée pour le compte de la Fondation Prospective et Innovation sur « Les déterminants des conflits internes dans le monde : Comment estimer les risques et mieux cibler les efforts de prévention ». Par comparaison aux théories existantes sur les conflits et les analyses statistiques sur ce sujet, la FERDI apporte dans son travail plusieurs avancées notables. On y trouve par exemple les justifications de l’existence de deux types de risques différentiés -risques structurels et risques non structurels-, la mise au point d’un indicateur qui estime les probabilités d’apparition d’un conflit interne, et la mise en évidence de l’importance de la prévention des conflits, rendue possible grâce à la meilleure connaissance des risques majeurs.

Même si les conclusions de cette étude peuvent s’appliquer à l’ensemble des pays en développement, ses auteurs portent une attention particulière au Sahel, devenu dans les années 2010 une zone où le risque de conflit a particulièrement augmenté, et où sa concrétisation est parfois devenue une réalité quotidienne et durable.

Dans ce périmètre sahélien, le présent article s’attachera au cas concret du Mali. Comme le montre bien la FERDI, une probabilité élevée d’un conflit interne ne signifie pas la certitude ou la proximité dans le temps de son éclatement. On constate ainsi que le Tchad et le Niger ont dans l’étude une probabilité de conflit plus élevée qu’au Mali, par suite du niveau de leurs risques structurels. Pourtant, c’est au Mali que la décennie 2010/2020 a vu éclater le plus de conflits en raison de la manière dont les divers risques se sont enchevêtrés.  Ceux-ci ont conduit à trois conflits internes successifs.

Pour ce qui concerne les risques, le Mali semble présenter sur la période principalement trois risques structurels et trois risques non structurels.

En matière structurelle, le point le plus important et le plus préoccupant est celui du terrorisme régional. Apparu de façon endémique avec la fuite vers le Sud des djihadistes algériens après la guerre civile d’Algérie en 2002, il a été brutalement et considérablement renforcé lors de la chute de Kadhafi en 2012, en raison des nombreux mercenaires armés fuyant la Lybie qui se sont installés durablement dans le Nord du pays. Depuis lors, ce terrorisme est permanent et meurtrier, avec parfois plusieurs certaines de victimes par an. Sa dangerosité est accrue par les liens de ces terroristes avec le grand banditisme, deux fléaux qui s’appuient mutuellement, et par la diffusion massive d’armes dans le pays, qui propage ce péril.

Le second risque est celui de la vulnérabilité économique du pays. Celle-ci transparait à travers de nombreux indicateurs venant d’horizons variés. On peut citer ainsi la fragilité résultant d’une faible diversification d’un appareil productif formel concentré sur l’exportation de l’or et du coton, fortement soumis aux chocs exogènes. On peut retenir également une production d’électricité très insuffisante, onéreuse pour les usagers, qui ne suit pas la croissance des besoins et qui ne tire pas profit de l’immense potentiel d’énergie solaire. On peut ranger aussi dans ce groupe la faiblesse du capital humain, qui résulte notamment d’un système éducatif et de formation professionnelle dont l’insuffisance quantitative et qualitative avive cette vulnérabilité.

Le troisième réside dans une population en croissance forte de 3% par an, qui explique en particulier les difficultés du chômage et les besoins lourds en équipements d’éducation et de santé.  Cette progression se traduit aussi par un exode rural très important vers la capitale, qui augmente les concentrations de population dans les quartiers pauvres et accélère le dépérissement des campagnes, deux facteurs favorables au terrorisme.

Les principaux risques non structurels sont aussi au nombre de trois. Le premier est celui d’une aggravation et d’une plus grande prise de conscience des inégalités. Il s’agit avant tout des inégalités financières créées par une croissance dont les fruits sont mal répartis entre toutes les composantes de la population, par l’absence de politique de redistribution de revenus, par le mauvais fonctionnement de la justice ou de la fiscalité et par une corruption de plus en plus grande, impunie et impudique. Mais on recense aussi des inégalités qui se creusent au plan spatial, avec les retards accrus d’équipements publics hors de Bamako, ou social, avec les disparités observées en matière d’accès aux soins.

Un deuxième risque est celui de l’instabilité politique : le renouveau démocratique de 1991 avait fondé beaucoup d’espoirs en la matière. Ceux-ci se sont amenuisés au fil du temps en raison du mauvais fonctionnement de partis politiques trop nombreux, de la perte de crédibilité de la plupart des hommes politiques, des nombreux scandales de détournements de deniers publics auxquels ils sont associés et de leur impunité, de l’insatisfaction de beaucoup de politiques publiques. Le Mali a subi deux coups d’Etat, respectivement en 2012 et 2020, qui ont traduit cette instabilité.

Enfin, un troisième facteur a été l’intensification des conflits dans les pays voisins. Cela a été le cas avec le Burkina Faso, notamment à partir de 2018. Cela a aussi été observé avec le Niger, en particulier dans la zone dite « des trois frontières ». La montée en puissance de ces difficultés à proximité du Mali a alimenté la recrudescence du risque structurel de terrorisme/banditisme dans le pays et accru les difficultés à le combattre.

L’imbrication temporelle et spatiale de ces divers facteurs a généré successivement trois conflits de nature différente. Dans chaque cas, un ou plusieurs risques structurels, déjà intenses en eux -mêmes, se sont télescopés avec un ou plusieurs risques non structurels qui connaissaient une brusque détérioration et ont été l’élément déclencheur d’une crise aigüe débouchant sur un conflit, un peu comme un détonateur produit l’explosion d’une bombe.

Le premier conflit, né en 2012 et toujours présent, est essentiellement de nature politique. Le risque structurel sécuritaire s’est à cette date soudainement dégradé par suite du chaos en Lybie et de l’afflux de terroristes dans le Nord du Mali. Dans le même temps, les déboires de l’armée malienne face à ces terroristes et la vigilance insuffisante de l’équipe présidentielle qui termine alors son mandat ont fait apparaitre un risque non structurel qui s’est exprimé par un coup d’Etat et l’effondrement du pouvoir exécutif à Bamako. Ce vide politique imprévu a déclenché l’assaut rapide des djihadistes tentant d’envahir le Sud du pays. Même si l’attaque a été arrêtée in extremis par l’armée française en janvier 2013, ce premier conflit violent se poursuit jusqu’à ce jour.

Le second, apparu progressivement à partir de 2016, est alimenté par le premier mais a aussi ses propres composantes ethno-économiques. Le fondement structurel du terrorisme demeure ici une composante explicative déterminante en raison de la présence persistante des bandes terroristes dans le Nord du Mali et de leur volonté de s’étendre vers le Centre du pays. Deux facteurs non structurels vont s’ajouter. Le premier est une détérioration progressive des conditions de vie aux plans économique comme social à l’intérieur du pays : celle-ci exacerbe les tensions entre collectivités ethniques, confessionnelles et professionnelles, mais aussi les revendications contre le pouvoir central et l’étranger. Le second est une déliquescence de l’armée et de l’administration par suite d’un affaiblissement du pouvoir politique central, de moins en moins capable d’assumer ses fonctions régaliennes -éducation, justice, administration,  ..- et qui abandonne peu à peu ses positions à l’intérieur du pays. La crise provoquée par la confluence puis l’intensification de ces divers risques va se transformer en un conflit ouvert qui se perpétue encore.

Le troisième conflit, le plus récent, est lui aussi de nature politico-économique et s’est déroulé en 4 phases : une élection présidentielle aux résultats très contestés en 2018; des élections législatives de mars 2020 dont l’annulation partielle des résultats a été jugée inacceptable ; des manifestations  de grande ampleur pour des motivations tant politiques que sociales à compter de juin 2020 ; un coup d’Etat militaire en août 2020 pour faire face à une situation politique complètement bloquée. Dans ce cas, le facteur structurel d’une vulnérabilité économique croissante a joué un rôle essentiel. Le pays s’est en effet trouvé enfermé dans une spirale négative sous le coup d’un durcissement de l’environnement économique international, d’une gestion erratique des finances publiques et d’une quasi-paralysie de l’Etat au moment où la pandémie du covid19 exigeait de lui des décisions rapides, importantes et cohérentes. Cette situation a été envenimée par deux éléments non structurels : un rejet massif de la corruption et de l’inaction de l’Etat qui approfondissaient des inégalités déjà criardes; une contestation politique majeure, aggravée par la répression sanglante de juillet 2020, qui conduisait à une instabilité ingérable.

Deux constats annexes peuvent être tirés dans l’analyse de cette dernière crise. L’épidémie du Covid19 ne semble pas avoir joué dans ce cas particulier un facteur déclenchant décisif mais a alimenté les risques de vulnérabilité économique et d’accroissement des inégalités. Par ailleurs, pour ce qui concerne les partenaires extérieurs, la France a maintenu son aide militaire durant ce récent conflit pour limiter l’impact négatif de cette situation sur la lutte contre les terroristes et, comme les autres grands pays, est restée ouverte à un appui à la transition politique pour désamorcer durablement ce troisième conflit et éviter l’aggravation des deux premiers.

Une question majeure réside évidemment, ci comme partout ailleurs, sur les meilleures voies à suivre pour réduire l’intensité des conflits existants et si possible diminuer la probabilité de nouveaux conflits ? Deux données préalables sont à considérer dans l’exemple du Mali. La première est que, pour ce pays, le challenge est très difficile en raison d’une dégradation avancée dans beaucoup de domaines : le « déminage » prendra donc du temps avec des résultats souvent non immédiats. Par ailleurs, compte tenu du rôle de « boutefeu » des facteurs non structurels, c’est sans doute ceux-ci qu’il faut réduire ou annuler d’abord, sans négliger les facteurs structurels. Si on admet ces hypothèses, trois grandes esquisses de propositions, visant trois objectifs, semblent pouvoir être retenues dans le cas particulier analysé

La priorité est de Rétablir la confiance à tous les niveaux pour affaiblir les risques non structurels d’inégalités croissantes et d’instabilité du pouvoir. Il s’agit alors, au niveau politique, d’élever les exigences de compétence et d’honnêteté des acteurs, de recrédibiliser les élections et les élus ; au niveau de l’Administration, de rétablir la fiabilité et la performance des principales administrations régaliennes sur tout le territoire par une action ciblée et prioritaire et en utilisant de préférence des méthodes innovantes ; au niveau des citoyens, de promouvoir un nouvel état d’esprit de respect des règles ; au niveau des partenaires extérieurs, de renouer des relations positives pour retrouver les appuis financiers, humains et techniques indispensables.

Un seconde ligne directrice devrait consister à Restaurer la force sur deux plans, pour réduire les risques structurels du terrorisme régional et de la vulnérabilité économique. D’abord dans l’armée, en assurant une plus grande efficacité de celle-ci sur le terrain, une meilleure formation et motivation de toute la chaine opérationnelle et en réussissant enfin une meilleure coordination avec les forces alliées, indispensable depuis longtemps. En même temps, en redonnant enfin une priorité aux nombreuses actions à mener dans le domaine économique, tant dans le secteur productif par le soutien aux composantes du secteur privé qui jouent les règles du jeu, que dans les finances publiques qui doivent être remises en ordre.

Enfin, à moyen terme, il faut Redonner l’espoir pour réduire le niveau élevé de l’ensemble des risques, en construisant un écosystème politique plus équilibré, plus contrôlé et plus efficace et un écosystème économique avec une vision cohérente à long terme du pays et une définition réaliste et contraignante du chemin pour l’atteindre.

Paul Derreumaux

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Élection présidentielle aux États-Unis : état des lieux et effets possibles

Élection présidentielle aux États-Unis : état des lieux et effets possibles

Dans moins de 20 jours auront lieu les nouvelles élections présidentielles aux États-Unis. Celles-ci sont d’abord assorties de deux grandes interrogations.

La première est exceptionnelle. En raison de l’importance attendue des votes par correspondance et de la position du candidat Trump, Président en place, par rapport à ceux-ci, les résultats de l’élection pourront-ils être connus dans les délais très courts habituels ? Donald Trump a laissé planer des menaces de forte prolongation de ces délais, voire de refus de prise en compte de ces votes spécifiques, et il a déjà montré sa capacité à prendre des décisions aussi outrancières. Il faudra toute la force de la machine démocratique américaine pour empêcher une dérive en la matière.

La seconde est habituelle. L’originalité du système de vote américain permettra-t-il de faire coïncider le choix de la majorité des voix exprimées avec celui des grands électeurs, à la différence de ce qui s’est produit en 2016 ? Même si la détermination de la plupart des partisans de M. Trump reste intacte, les sondages donnent en effet maintenant Joe Biden probable vainqueur. L’évolution naturelle de la composition de la population américaine, dans laquelle les latino-américains et les afro-américains prennent régulièrement une place croissante, joue déjà en faveur du camp démocrate. Les erreurs de gestion sanitaire de la pandémie du Covid-19 et certaines décisions erratiques sur les mesures prévues pour en réduire les impacts économiques négatifs sur l’emploi ou le revenu des ménages sont aussi plutôt favorables à M. Biden. Mais celui-ci doit faire face aux handicaps liés à la position encore indécise des grandes entreprises et de la bourse, attachées aux politiques fiscale et protectionniste défendues durant la mandature actuelle, et aux méfiances liées à son âge. M. Trump pourrait enfin avoir encore  dans son « sac à malices » quelques surprises de dernière minute qui pourraient modifier l’état des forces en présence.

Dans tous les cas, les quatre années de cette Présidence Trump n’auront pas rehaussé l’image des États-Unis. A aucun moment, le Président n’a eu la volonté de rassembler tout le pays derrière quelques idées-forces qui auraient été à la hauteur des enjeux assaillant le monde en ce début du 21ème siècle et qui auraient répondu à la place qu’y occupe la première puissance mondiale.  Il est resté fidèle à ses électeurs, laissant béante la fracture observée en 2016 entre deux visages des États-Unis, sans d’ailleurs pouvoir répondre totalement aux attentes de ses mandants, ni même de l’ensemble du camp des Républicains. Il en est résulté par exemple, au plan intérieur, de longues batailles avec la justice ou le Congrès sur des décisions prises conformément à son programme sur l’immigration, une brusque relance de la tension raciale en mai 2020 suite au décès de Georges Floyd et aux autres « incidents » qui ont suivi. Au plan international, des avancées durement acquises comme l’accord international de Paris sur le climat fin 2015 ou celui conclu avec l’Iran en matière nucléaire ont été remises en cause unilatéralement. En revanche, on a enregistré pendant ce quadriennat des initiatives « trumpiennes » spectaculaires mais peu efficaces vis-à-vis de la Corée du Nord ou de la zone Irak/Syrie, ou des positions clivantes rendant de plus en plus difficile l’unité du camp occidental en matière de sécurité. Deux des questions majeures que sont les rivalités avec la Chine d’une part et la Russie d’autre part se sont enfin accentuées sans esquisse de solutions qui auraient permis une atténuation durable des tensions observées ou un équilibre plus stable entre ces divers acteurs.

Si le candidat Trump venait à l’emporter, malgré les pronostics dominants actuels, il est probable que les actions conduites et les décisions prises continueraient leur tracé essentiellement chaotique, tant sur le plan domestique qu’en politique étrangère, avec tous les risques que cela peut induire pour le monde entier face à des contextes mondiaux très préoccupants et à des interlocuteurs à la stratégie plus cohérente. Seule la percée réalisée dans une stabilisation au Moyen-Orient grâce à la pacification des relations entre Israël et quelques pays arabes constituerait sans doute une idée directrice à préserver en en surveillant les effets. Pour le reste, le contrôle étroit et permanent du Congrès et de toute l’Administration américaine sera nécessaire pour éviter les excès de certaines orientations-ou réorientations- du Président. Encore cette surveillance pourrait-elle être rendue plus difficile avec le nouvel équilibre attendu au sein de la Cour Suprême suite au décès de la doyenne des juges qui la composent et la désignation d’une nouvelle juge aux préférences très conservatrices.

Si le favori Joe Biden emporte le match de novembre prochain, comme beaucoup le pensent maintenant, la politique américaine gagnerait normalement une meilleure lisibilité, mais ses orientations stratégiques ne seraient vraisemblablement pas totalement remises en question. S’ils gardent en effet encore leur statut de première puissance économique mondiale, les États-Unis sont plutôt sur la défensive face à la Chine qui montre ouvertement sa détermination à conquérir cette place, tant au plan économique que politique. Ce duel dominera les relations internationales comme les décisions de politique interne des deux rivaux, mais aussi de leurs alliés respectifs. A l’intérieur des États-Unis, le Président démocrate devrait reprendre une gestion plus « classique » en soutenant bien sûr les entreprises leaders de l’économie américaine, pour préserver sa place internationale. Il devrait cependant appuyer aussi le renforcement des investissements de nombreuses infrastructures, où les retards s’accumulent, et les petites entreprises touchées par le ralentissement brutal de l’économie en 2020, pour réduire le chômage. Il est également probable que ces actions tiendront compte davantage, dans les domaines de l’énergie ou de l’agriculture par exemple, des contraintes liées aux dérèglements climatiques, dont souffrent par exemple beaucoup la Californie ou la Louisiane et qui ne devraient plus être considérés comme une « invention ». Au vu de la campagne électorale en cours, il est enfin vraisemblable qu’un accent accru sera porté sur une meilleure cohérence dans la lutte contre le Covid-19, sur la mise en place de soutiens budgétaires diversifiés pour lutter contre les effets économiques de la pandémie, sur une politique fiscale moins généreuse pour les plus riches, sur la relance de l’ « Obamacare » (Affordable Care Act), si les moyens financiers sont disponibles, et sur des tentatives d’apaisement des tensions raciales. A l’international, la politique de rivalité économique et politique avec la Chine pourrait s’exprimer de manière moins belliqueuse et fluctuante, d’une part, et inclure la recherche d’alliances stables, telle celle de l’Union Européenne si celle-ci arrive à définir une position commune en la matière. En matière diplomatique, il est à craindre que les États-Unis de s’impliqueront pas davantage dans la zone Irak/Syrie face à la Russie pour une diminution des tensions locales ; en revanche, l’appui aux actions de normalisation entre Israël et certains pays arabes pourrait être poursuivi et avoir un impact positif sur une désescalade au Moyen-Orient. Enfin, on peut attendre que le nouveau Président renoue avec l’accord international sur le climat et fasse contribuer davantage son pays au succès de celui-ci, même s’il doit lutter contre de puissants lobbys, d’un côté, et qu’il poursuive avec la même détermination la lutte contre le terrorisme islamiste et contre l’immigration illégale, d’autre part. Il est difficile en revanche de prévoir les évolutions possibles d’une politique globale vis-à-vis, par exemple, d’une Russie toujours conquérante mais économiquement affaiblie, ou d’un Iran à l’intérieur duquel les incertitudes politiques grandissent.

Même si ce scénario d’une victoire démocrate se concrétise, l’Afrique ne doit pas s’attendre pour elle  à de grands changements de la part des États-Unis et continuera à rester globalement un centre d’intérêt mineur loin derrière l’Asie, toujours prioritaire, la riche Europe, le turbulent Moyen-Orient et l’Amérique du Sud voisine.

Au plan économique, le continent a perdu de son intérêt immédiat en tant que terre d’investissement et marché potentiel depuis le net recul de sa croissance à compter de 2016 et d’une hausse des incertitudes sur son devenir. Les principales exceptions économiques concernent l’énergie, où les États-Unis surveillent attentivement toutes les évolutions qui pourraient compromettre leur sécurité, et les nouvelles technologies, par suite des retards actuels à combler de l’Afrique en ce domaine et des potentialités de « business » que cela implique. Pour la plupart des autres aspects économiques, la Chine a pris une nette prédominance en matière commerciale comme financière, et maintient une démarche très offensive. Pourtant, des initiatives pertinentes pourraient être relancées ou renforcées comme l’African Growth and Opportunity Act » (AGOA), qui favorise les exportations africaines en direction des États-Unis, ou les accords de « Millenium Challenge », qui peuvent financer de grands investissements en infrastructures.

Au plan politique, la présence américaine s’exerce à ce jour surtout dans la lutte antiterroriste, principalement dans les actions de renseignement mais aussi dans les actions sur le terrain. Cette coopération avec les pays africains devrait se maintenir, voire s’approfondir, en raison de la montée du péril islamo-fasciste. Elle est essentielle dans la résistance que s’efforcent de conduire les pays africains et leurs alliés face à ce danger et il est souhaitable qu’elle puisse être menée avec une plus grande concertation entre toutes les forces combattant les terroristes. C’est à ce prix que pourraient être obtenues les plus belles victoires sur ce terrain. Une présidence démocrate ramènerait aussi sans doute les États-Unis dans le « tour de table » de grandes institutions internationales comme l’OMS ou l’UNESCO, et consoliderait les moyens de celles-ci. Pour le reste, les amitiés africaines sont davantage courtisées par les nouveaux partenaires du continent -Chine, bien sûr, mais aussi Russie et Turquie -, pour des considérations autant économiques que politiques, sans que les États-Unis paraissent réagir pour l’instant. Enfin, la question de l’émigration économique africaine, qui préoccupe de plus en plus l’Europe pour des raisons de proximité, n’est guère sensible aux États-Unis.

Il est certain que ce manque d’attention au continent traduit de la part des États-Unis une vision à court terme qui ignore les transformations attendues en Afrique, notamment subsaharienne, dans moins d’une décennie. Celles-ci sont quasi-certaines en démographie, où le continent « pèsera » en 2030 plus de 20% de la population mondiale. D’autres sont possibles en économie où, dans dix ans, soit un nombre croissant de pays africains pourront entrer solidement dans de nouvelles étapes du développement et entrainer leurs voisins, soit, dans le cas contraire, la quasi-totalité des nations subsahariennes resteront enfoncées dans un chômage de masse et une misère touchant près de 40% de leur population avec les conséquences internationales qui peuvent en résulter. Dans les deux cas, le sort de l’Afrique influera sur le monde beaucoup plus qu’aujourd’hui et les Africains se souviendront sans aucun doute de ceux qui les ont négligés comme de ceux qui les ont vraiment aidés.

Paul Derreumaux

Article publié le 23/10/2020

 

 

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Appel pour une transition réussie au Mali

Appel pour une transition réussie au Mali

 

Pendant plusieurs mois, nous avons assisté à plusieurs manifestations regroupant de nombreuses composantes des populations Maliennes, à Bamako comme dans d’autres villes, à l’intérieur et au sein de la Diaspora. Leur objectif commun était d’obtenir la fin d’une gouvernance caractérisée, notamment, par une dégradation continue de la situation politique, sécuritaire et socio-économique du pays, sous les coups répétés de la corruption, du népotisme, du gaspillage des maigres ressources financières de la nation, de l’inaction et de l’absence de vision des principaux responsables. Les critiques des manifestants portaient également sur la négligence des secteurs prioritaires de l’éducation et de la santé ainsi que sur la faiblesse des réactions face à l’ennemi terroriste et la non-transparence de nombreuses décisions.

Des manquements de tous ordres ont provoqué, à la fois, le découragement des acteurs publics et privés qui cherchaient malgré tout à remplir leur rôle. Ils ont aussi entraîné une perte de confiance généralisée de toutes les forces vives de la nation vis-à-vis des plus hauts responsables de l’Etat et de toute la classe politique. Les dénonciations récentes de ces déviances par des institutions internationales ont encore amplifié les doléances.

L’ampleur exceptionnelle des revendications, l’union de Maliennes et de Maliens de tous horizons culturels, politiques et religieux autour de celles-ci ont témoigné de la profondeur de cette crise et de la nécessité d’y apporter une réponse. Elle n’est hélas pas venue et le refus du pouvoir d’accepter des réformes de fond s’est heurté à la détermination des opposants. La prolongation de cette situation, les risques élevés de nouvelles surenchères à court terme dans l’affrontement rendaient impossible le règlement de ce conflit dans le respect des dispositions constitutionnelles, comme l’exigeaient les Autorités de l’espace régional et les principaux partenaires du Mali

Dans ce contexte, les évènements du 18 août 2020, notamment marqués par la dissolution du Gouvernement et de l’Assemblée Nationale, par la démission du Président de la République, par la mise en place, par l’armée, d’un Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP) qui a annoncé une transition politique civile, peuvent constituer l’orée d’une nouvelle ère pour le Mali.

En effet, l’intervention militaire du 18 août, même sortant du cadre constitutionnel en vigueur, représente sans doute aux yeux d’une très large majorité de la population malienne une chance de remettre au centre du débat les réformes indispensables sans lesquelles le pays risque de basculer durablement dans un précipice. Cela semble également bien compris et soutenu par une grande partie des populations de l’Afrique l’Ouest.

Face à un régime drapé dans sa légitimité mais sourd aux changements urgents à accomplir et aux pratiques à abolir, face à une opposition basée sur des constats de défaillances incontestables mais arcboutée jusqu’ici dans des demandes politiques ponctuelles, le « coup de grâce » militaire, épilogue de la longue et héroïque lutte des forces vives de la nation, pourrait rassembler la nation pour permettre de revenir aux préoccupations essentielles, dont les dispositions constitutionnelles ne sont finalement que la traduction choisie par la Nation pour assurer leur concrétisation.

Au plan national, les premières décisions -absence de violence, condamnation des pillages, appel à la reprise des activités dans l’Administration et dans les entreprises publiques et privées – sont un premier indice positif.

Le lancement immédiat du processus de reconstruction politique, à laquelle toutes les composantes de l’échiquier politique et social sont conviées, en est un autre.

Au plan international, le respect des accords internationaux passés, le souhait de coopération avec les institutions régionales et internationales, la poursuite du partenariat avec toutes les forces armées appuyant le Mali constituent aussi un troisième indice positif.

Il faut espérer que ces bons points de départ et l’a priori bienveillant que de nombreux Maliens accordent au CNSP conduiront tous les partenaires étrangers à lui accorder un délai raisonnable pour faire la preuve de ses bonnes intentions.  Mais les défis qui attendent cette nouvelle équipe sont multiples. Il leur faut, en effet, éviter en même temps les pièges de la flatterie, qui les rendraient vite dépendants des habituels corrupteurs, du populisme, qui conduirait à donner la priorité à la vengeance sur la reconstruction, et de la démagogie, qui consisterait à promettre l’Eden quand les caisses sont vides. Leur audace à venir devra les conduire à agir sans relâche, mais après avoir beaucoup écouté et longuement observé. Les engagements initiaux du CNSP et son annonce d’une unité de l’armée derrière ces orientations laissent espérer que les dirigeants de ce Comité ont conscience de leurs responsabilités et de leurs devoirs, et qu’ils méritent d’être observés et aidés si ces engagements sont tenus. S’ils restent fidèles à ceux-ci, alors le Mali tout entier pourra retrouver le chemin de l’espérance et l’envie du combat pour son développement.

Dans la période qui s’engage, deux chantiers majeurs s’imposent, avec la même urgence. Chacun d’eux a des composantes multiples qui ne peuvent être déjà recensés en détail. Mais leurs grandes lignes peuvent être tracées.

@Le premier chantier est celui des actions à mener immédiatement par une équipe gouvernementale de transition et dont on peut citer au moins quatre éléments :

1-D’abord le renforcement de la lutte antiterroriste. Il revient à l’armée, qui a souvent été dénoncée comme un des points faibles du Mali face à des ennemis aguerris, de démontrer que ses troupes et ses officiers sont en mesure de trouver en eux-mêmes les ressources morales, techniques et matérielles pour reprendre l’avantage. Ce combat doit être mené en parfaite intégration avec les actions des forces amies et être très vite accompagné d’un retour de l’Administration dans les territoires reconquis. Il ne doit être caché à personne que la lutte sera longue et difficile. Mais c’est le terrain privilégié sur lequel le Mali et son armée peuvent montrer un nouveau visage, reconquérir la confiance indispensable des populations et des partenaires.

2-Le deuxième élément concerne l’arrêt nécessaire de l’hémorragie financière qui saigne le pays sous l’effet d’une corruption qui a emprunté tous les chemins imaginables et frappe la plupart des secteurs, et notamment les plus névralgiques. Il s’agit d’abord de récupérer, chaque fois que possible, les sommes détournées aux dépens de l’Etat ou des entreprises publiques : dans beaucoup de cas, les dossiers sont identifiés et les responsables connus. Il s’agit aussi d’empêcher la reproduction de telles gabegies : ici encore, les textes, procédures et contrôles adéquats existent souvent et permettront des améliorations rapides et notables s’ils sont tout simplement appliqués. Les notions de moralité, de service public, d’exemplarité, de mérite sont désormais celles qui doivent être mises en avant dans le choix des hommes et dans les actes posés. Elles s’appliqueront à tous, dirigeants comme citoyens, et exprimeront la fin de l’impunité pour ceux qui se sont mis hors la loi. Il s’agira moins d’une chasse aux sorcières, peu conforme aux traditions nationales, que d’un changement profond de mentalité qui aura besoin du support de toutes les énergies.

3-Le troisième élément pourrait être celui d’une rentrée scolaire réussie. Depuis des décennies, le secteur de l’éducation vit une lente descente aux enfers, ôtant à notre jeunesse, fer de lance de la contestation populaire, le goût de l’effort et d’une saine émulation en la plongeant dans le renoncement, voire le désespoir ou la criminalité. Enseignants, parents, élèves et étudiants, mais aussi entreprises et partenaires s’associeront sans doute et avec enthousiasme à tous les efforts qui seront accomplis par l’Etat   pour que l’année scolaire et universitaire à venir s’engage et se déroule dans un esprit de mobilisation générale qui serait le premier signe de la refondation du Mali.

4-Compte tenu de la centralité du Mali dans l’espace de la CEDEAO, avec 5 pays frontaliers au sein de la Communauté, en plus de deux autres frontières non communautaires, le quatrième et dernier élément serait de rassurer l’environnement régional sur les intentions de l’équipe de transition, déjouant ainsi toutes les tentatives de déstabilisation.

@Le deuxième chantier est celui qui, à court terme, conduira au retour du Mali dans une « normalité » économique, sociale et politique. Ici encore, les enjeux sont multiples et certains encore à définir. Trois d’entre eux apparaissent toutefois prioritaires.

1-L’un est économique et financier. Les années récentes ont été marquées, en particulier sur ce plan, par l’absence d’une stratégie de développement à moyen terme soigneusement conçue, justifiée et expliquée à la nation, par l’inexistence d’une programmation cohérente des investissements et actions propres à atteindre les objectifs retenus, par le non-respect des calendriers et des coûts des actions annoncées, par une opacité croissante des comptes publics. Cette déliquescence tous azimuts traduisait la déconnexion totale entre les intérêts des dirigeants et ceux de la nation et de sa population. Le pays doit très vite reprendre possession de son destin en tous ces domaines en prenant le contrepied des pratiques anciennes. Les compétences existent pour appuyer les organes de la transition et l’administration à mettre en place un « programme d’urgence » à cet effet. Celui-ci devrait logiquement bénéficier du soutien des Partenaires Techniques et Financiers, qui connaissent bien la situation délabrée du pays et ceux qui en portent la responsabilité.

Ce programme serait ensuite relayé par un programme plus ambitieux et de moyen terme, qui sera adopté par les futures Autorités constitutionnelles du pays.

2-Le deuxième volet concerne à la fois l’économie et la société et pourrait être focalisé sur la décentralisation. Le Mali est composé d’une mosaïque d’ethnies : toutes sont fermement attachées à leur identité mais, du fait de leur proximité culturelle, leur coexistence pacifique est une tradition séculaire et une particularité forte du Mali. Cette diversité n’empêche pas non plus le fort sentiment d’une nation malienne, qui est ancré dans tous les esprits et a résisté à bien des orages. Cette dualité doit être mieux prise en compte par une meilleure représentativité des diverses Autorités de chaque région et l’octroi à celles-ci de plus grands pouvoirs. Il en résultera de nombreux avantages : décisions plus rapides et tenant mieux compte des besoins locaux, plus grand épanouissement des citoyens, opportunités accrues de revitalisation des territoires, intensification des équipements publics dans les régions, ralentissement possible de l’exode rural et de l’émigration, surtout des jeunes. Les exigences pour un succès de cette stratégie sont lourdes et connues : attribution aux Responsables locaux de moyens financiers en harmonie avec leurs nouvelles attributions, contrôle adéquat des décisions prises, absence de remise en cause locale des orientations nationales sur les questions régaliennes. La particularité de notre situation donne une occasion exceptionnelle de réaliser d’importants progrès, avec audace mais fermeté, sur ce thème majeur.

3-Enfin, le troisième, le plus important et le plus délicat, est politique et a trait au retour, dans les meilleurs délais, à un système démocratique performant, ancré dans les valeurs maliennes, espéré par tous. Car, pour ne pas retomber dans les crises régulièrement subies par le Mali, il est requis de transformer profondément le fonctionnement des institutions, le mode d’accès de ceux qui les dirigeront et les conditions posées pour cet accès. La démocratie ne peut être viable avec plus d’une centaine de partis, dont les plus petits ne sont que virtuels et les plus grands souvent dénués de programme économique et social et essentiellement rattachés à une personnalité. La démocratie ne peut être performante si des conditions plus contraignantes, surtout relatives à la qualité des candidats, ne sont pas posées lors de toute élection. La démocratie ne peut être représentative si chaque élection réunit beaucoup moins de votants que la moitié des électeurs inscrits. La démocratie ne peut être crédible si les citoyens ne sont pas capables de discerner les fausses promesses des objectifs réalistes, soit par manque de compréhension soit parce qu’ils ne se sentent pas concernés. La démocratie ne peut être honorable si des sanctions ne menacent pas ceux qui ne respecteraient pas les règles du jeu, surtout s’ils les ont eux-mêmes posées, et si chacun peut constater l’impunité des fautifs. La démocratie ne peut être inclusive si elle ne réussit pas, d’une manière encore à inventer, à associer les populations, surtout les jeunes et les femmes, de tous les horizons géographiques, ethniques, religieux, sociaux à la désignation des représentants du pays. Enfin, la démocratie ne peut être honnête si elle ne tient pas compte des possibilités financières du pays en ne gonflant pas à l’excès le nombre et l’effectif des institutions.   Si l’on veut faire œuvre utile et durable pour l’avenir, la mise en œuvre de ce très ambitieux projet s’impose et il pourrait conduire à une nouvelle Constitution et donc à une quatrième République. Il doit être mené par une équipe de transition, désignée très vite selon une « Charte de la Transition », qui aura à s’effacer lors des élections à venir. Cette équipe devra agir avec rapidité mais sans précipitation (pourquoi ne pas investir le nouveau Président le 4 septembre 2023), et faire preuve, à tout moment d’exemplarité, de probité, d’indépendance d’esprit mais aussi d’imagination et de réalisme.

Comme on le voit, le CNSP, s’il veut répondre aux demandes du peuple Malien, ne dispose pas d’un blanc-seing. Les challenges qu’il doit relever sont redoutables et la surveillance des citoyens sera désormais permanente. Mais les censeurs qui ramènent encore aujourd’hui la crise malienne à une simple question d’inconstitutionnalité de notre situation et refusent l’évidence, doivent avoir l’intelligence, et l’honnêteté, d’admettre qu’ils se trompent. En laissant le Mali s’efforcer d’apporter lui-même les réponses aux difficultés qu’il subit depuis trop longtemps, ils apporteront sans doute un plus grand service aux communautés qu’ils représentent. Les Maliens ont montré en d’autres occasions qu’ils étaient prêts à aller jusqu’au sacrifice ultime pour une cause qui leur paraissait juste. C’est bien cette ferveur qui les anime aujourd’hui.

 

Ont signé à ce jour cet appel (26/08/2020) :

Mossadeck Bally, Moussa Bagayoko, Mariam Coulibaly N’Diaye, Arwata Ben Baba, Jamila Ben Baba, Paul Derreumaux, Ramatoulaye Traoré Derreumaux, Mohamed Bassirou Diop, Cheickna Dibo, Ibrahim Sory Makanguilé, Habib Ouane, Fatoumata Keita Ouane, Makhan Dado Sarr, Mamadou Sidibé, Aminata Diobaye Sidibé, Birama Sidibé, Youba Sokona, Khanata Traoré Sokona, Amadou Sidiki Sow, Sadio Lamine Sow, Moustapha Soumaré, Ousmane Sy, Ousmane Thiam, Aya Diallo Thiam, Moctar Touré, Lalla Badji Haïdara Touré, Hamadoun Touré,

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Analyse économique et sociale

Les 200 jours du Covid-19 : récit d’une sombre invasion

Les 200 jours du Covid-19 : récit d’une sombre invasion

 

Ce 20 juillet 2020, il y a eu environ 200 jours que le nom du Covid-19 est apparu dans les médias. Annoncé d’abord en Chine fin décembre 2019, le virus est désormais installé dans quasiment tous les pays du monde et ses dommages déjà causés autant que ses menaces futures en ont fait un envahisseur craint de tous. Malgré cette omniprésence, ce coronavirus reste encore mal connu, et donc difficile à vaincre.

En termes de statistiques d’étendue de la maladie, les données très riches de l’université américaine Johns-Hopkins de Baltimore, utilisées ici, sont une source remarquable d’informations et permettent beaucoup d’analyses évolutives et comparatives de la contamination au niveau mondial. De celles-ci, on peut tirer à ce jour au moins trois constats, auxquels il est permis d’ajouter la spécificité du cas africain.

La première évidence est que le Covid-19 est hélas bien devenu à ce jour une pandémie mondiale dont les effets sont encore sous-estimés. Entre les images terrifiantes de la région de Wuhan complètement figée face aux premières attaques du virus et les voix qui assimilaient la nouvelle infection à une « grippe saisonnière », les faits ont vite tranché quant à la dangerosité de la maladie. Celle-ci a d’abord montré la rapidité de sa propagation géographique : partie de Chine, elle a successivement atteint en moins de trois mois le reste de l’Asie et l’Océanie, l’Europe, l’Amérique et l’Afrique, et s’est propagée globalement à une vitesse exponentielle. Au 20 juillet, les recensements officiels des contaminations s’élevaient en effet à quelque 14,5 millions de personnes dans le monde, contre respectivement 845000 et 10,5 millions au 31 mars et au 30 juin 2020.  Sur ce seul mois de juillet, les chiffres mondiaux croissaient encore à un rythme proche de 200000 personnes par jour en moyenne, et continuaient même à s’amplifier. A la même date, les décès attribués au Covid-19 dépassaient 620 000 personnes, soit sensiblement plus que le nombre de morts en 10 ans de la guerre civile syrienne et celui des victimes annuelles du paludisme. Mince « consolation », la courbe des décès, même si elle progresse aussi trop vite, a connu sur la période un rythme nettement moins soutenu que celui des contaminations. Dans les statistiques mondiales ci-avant, le pourcentage de décès par rapport aux contaminations est en moyenne de 3,9% au 20 juillet alors qu’il était de 4,9% fin juin et de 6,0% fin mai dernier. La létalité reste donc faible par rapport à d’autres maladies infectieuses comme Ebola ou le VIH-Sida avant les récents progrès de lutte contre ce dernier.

Ces statistiques sont à l’évidence sous-estimées, dans des proportions difficiles à apprécier, pour plusieurs raisons. Il s’agit parfois de rétention délibérée d’informations, comme en Corée du Nord en permanence ou en Chine où le nombre de personnes infectées et de victimes a vraisemblablement été minoré début 2020 et n’est guère connu depuis le retour de nouvelles zones de contamination. Il s’agit le plus souvent d’une méconnaissance de l’exhaustivité des cas de contamination et de décès. Ces lacunes peuvent résulter de dépistages insuffisants, ce qui conduit à ne pas identifier les personnes asymptomatiques, apparemment nombreuses, et à ne pas recenser toutes les personnes malades ou décédées. Elles peuvent aussi provenir de la méfiance de certaines populations envers leurs systèmes de santé nationaux ou envers les conséquences possibles d’un recensement au Covid-19, ce qui les amène à disparaitre des statistiques : dans les régions en développement économique, comme l’Afrique, l’Amérique du Sud ou l’Inde, ce biais est sans doute significatif, en particulier pour le nombre de décès.

Cette sous-estimation des recensements, l’extension généralisée de l’empreinte de la maladie, les craintes croissantes d’une « deuxième vague » laissent penser que les « vrais » niveaux de ces deux indicateurs pourraient atteindre respectivement au moins 40 millions et 1,5 million de personnes avant la fin de l’année, ce qui laisse l’impact humain de la maladie encore très loin pour l’instant de la « grippe espagnole » de 1918/20 qui aurait fait plus de 30 millions de morts.

Le second constat montre la relative « inégalité » jusqu’à ce jour des pays et régions devant la maladie. Pour le nombre de contaminations d’abord, les cinq nations les plus touchées sont aujourd’hui les Etats-Unis, le Brésil, l’Inde, la Russie et l’Afrique du Sud, qui regroupent ensemble 56% des malades « officiels », si on exclut la Chine dont les données initiales ont sans doute été peu fiables et qui est devenue un « trou noir ». Ce classement devrait peu se modifier à court terme compte tenu de l’écart qui sépare ces pays des suivants. Même si les nombres de personnes touchées varient considérablement par pays, le ratio du nombre de malades identifiés sur 100000 habitants révèle trois principaux groupes : quelques pays, notamment asiatiques tels le Japon et la Corée du Sud, où l’épidémie parait avoir été maitrisée sur la période avec des taux inférieurs à 50 ; un ensemble, principalement composé de nations européennes et du Canada, où ce ratio a atteint des valeurs comprises entre 200 et 600 après des cheminements différents liés aux politiques de confinement suivies ou non ; quelques cas, comme les Etats-Unis, le Brésil, d’autres parties de l’Amérique du Sud  et des pays du Moyen-Orient,  où ce niveau dépasse 1200, et parfois de très loin, et continue souvent à augmenter. Dans ce classement, il faut au moins mettre à part le cas majeur de l’Inde : le retard avec lequel l’épidémie s’est déclenchée explique le niveau actuel encore modeste de ce ratio – aux environs de 100 -, mais la puissance avec laquelle elle se propage laisse présager au moins un doublement de celui-ci.  Même s’il est difficile de le définir avec certitude, il est très probable qu’il existe une relation inverse entre ce ratio et l’efficacité des politiques de « gestes barrières » et des diverses mesures préventives en tests massifs et en isolement des « clusters » de malades, qui sont conduites dans les pays. La reprise des cas de contamination présentement observée en Europe et, surtout, aux Etats-Unis parait confirmer ce lien.

Pour les décès, l’inégalité est encore plus forte mais montre un classement différent. En l’état actuel, les pays européens, malgré la qualité souvent élevée de leur appareil de santé, ont connu le taux de létalité le plus grave quelle que soit leur stratégie de lutte en termes de confinements. Rapportées au nombre d’habitants du pays, les morts liées au Covid-19 y ont été en effet les plus nombreuses, la Belgique détenant le triste record en la matière. Le Canada, les pays asiatiques et la plupart des pays d’Afrique ont jusqu’ici des ratios nettement plus faibles. Même les zones qui sont en ce moment au cœur de la tempête et où le nombre quotidien de personnes infectées est maintenant très élevé ont encore des taux de mortalité officiels sensiblement inférieurs à ceux de l’Europe. Une meilleure exhaustivité des statistiques ne peut être qu’un facteur explicatif parmi d’autres puisque cette « supériorité » européenne est constatée aussi bien vis-à-vis des Etats -Unis que des pays en développement comme l’Inde. La décorrélation entre la qualité des systèmes médicaux et la mortalité du Covid-19 des pays étudiés semble donc jusqu’ici une mystérieuse réalité. Les raisons profondes de ces écarts restent à découvrir et, en la matière, l’impact respectif de l’efficacité des politiques publiques suivies et d’autres facteurs médicaux ou environnementaux seraient des informations précieuses pour l’avenir.

Ici réside d’ailleurs le troisième constat essentiel.  Malgré l’omniprésence de l’épidémie depuis six mois, il demeure une forte méconnaissance de ses formes d’action et donc des traitements et stratégies qui peuvent s’y opposer. Les modalités de contamination sont les mieux connues et les mieux maîtrisées, et ont facilité la recommandation de trois « mesures barrières » simples mais apparemment efficaces dans le monde entier : port du masque, distance permanente avec les autres, absence de trop grands rassemblements. En revanche, leur application est loin d’être facile. Dans les pays occidentaux dominés par la toute-puissance de l’individualisme et de la liberté de faire, cette nouvelle discipline de vie se heurte aux habitudes, voire à certains dogmes, même après une douloureuse expérience de confinement généralisé. Dans certains cas, l’impréparation de l’Etat ou l’incrédulité des dirigeants empêchent la bonne application de ces dispositions. Si le Brésil et les Etats-Unis illustrent la seconde éventualité, quelques Etats européens ont été des exemples de la première. En France en particulier, la longue absence de masques et de tests en quantité adéquate ainsi que les hésitations, les retards et les silences de l’Etat ont été sans doute une des causes du très lourd tribut payé en vies humaines malgré l’engagement héroïque des personnels soignants : le taux des décès constatés par rapport aux contaminations officielles dépasse en effet 18% et demeure à ce jour le plus élevé au monde. Hors cette question des modes de contamination, les lacunes sont nombreuses. L’origine du virus, longtemps dissertée, n’est plus guère commentée même si aucune provenance n’a été jugée certaine à 100% pour l’instant. De nombreuses hypothèses ont été émises sur le lien entre l’âge, le climat, la température, d’autres maladies, d’un côté, et la vulnérabilité au Covid-19, de l’autre, sans conclusion péremptoire. Les symptômes de la maladie ne sont peut-être pas encore tous connus. Surtout, les débats sont vifs sur deux points. D’abord, la politique d’un strict confinement apporte-t-elle la meilleure protection ? S’il est certain qu’elle réduit sans délai la diffusion du virus, il n’est pas sûr qu’elle soit à terme moins coûteuse en vies humaines. En Europe par exemple, les taux de contamination ne sont pas si éloignés entre les pays ayant choisi un confinement sévère (Espagne, France, Italie) et ceux qui ont été plus modérés dans leurs restrictions, comme le Royaume Uni, ou franchement libéraux, comme la Suède. En revanche, le taux de mortalité par habitant en Suède a maintenant dépassé celui de ses voisins européens plus prudents. Aux Etats-Unis et au Brésil, les revirements observés dans la gestion de la pandémie expliquent sans doute les phénomènes de « stop and go » des contaminations et des décès dans plusieurs grands Etats. En second lieu, y aura-t-il une « deuxième vague » d’infection, comme constaté sur certaines autres grandes épidémies. Des « idéologues » médicaux s’affrontent sur le sujet. Les statistiques des Etats-Unis montrent bien la reprise d’une tendance exponentielle depuis juin dernier. En France et, surtout, en Espagne, les données récentes génèrent des inquiétudes croissantes sur la hausse accélérée du coefficient de propagation depuis la réouverture de certaines activités et la période des vacances d’été. Mais le choc d’une deuxième grosse vague dans les pays déjà touchés n’est pas encore avéré. La dernière lacune, essentielle, concerne les traitements. Ici encore de rudes batailles d’égos scientifiques et de spéculations boursières ont fait le ravissement des médias et des marchés financiers, mais les avancées concrètes restent modestes : on attend toujours un médicament permettant de guérir le plus grand nombre de cas et le vaccin tant espéré a très peu de chances d’être commercialisé, voire trouvé et testé avant 2021, voire 2022.

Dans cet ensemble complexe d’informations, l’Afrique a déjoué jusqu’ici tous les pronostics. Touchée par l’épidémie surtout à partir de la mi-mars 2020, elle a rarement été en mesure d’appliquer des politiques de confinement sévère, avec quelques exceptions telle le Maroc, en raison de la structure de ses économies, et la mise en œuvre des « gestes barrières » n’y est que très partielle pour des raisons culturelles autant qu’économiques. Elle n’a pourtant pas connu la flambée d’infections qu’annonçaient tous les Cassandre. Au 20 juillet toujours, environ 720000 personnes avaient officiellement été contaminées, soit un ratio par habitant sensiblement inférieur à celui de la plupart des régions du monde. Malgré tout, deux indicateurs inquiètent. D’abord, le continent est maintenant la zone où l’extension du virus progresse le plus vite, à l’exception de l’Inde : entre 15 000 et 20000 contaminations supplémentaires par jour en moyenne depuis fin juin en une courbe de croissance qui reste exponentielle. En second lieu, le poids de la maladie est fort variable selon les endroits. L’Afrique du Sud, la plus touchée, recense à elle seule 375000 malades, soit 52% de la totalité des cas identifiés. Le taux de contamination par habitant y avoisine désormais la moyenne des pays du Nord et le taux de mortalité ceux de l’Allemagne et de la Russie. Loin derrière elle, les nations les plus concernées sont dans l’ordre l’Egypte, le Nigéria, le Ghana, l’Algérie et le Maroc qui comptent respectivement 88, 37, 28, 24 et 18 milliers de malades recensés. Comme on le voit, le tribut payé au Covid n’est que partiellement lié à la densité de population, sans que des causes plus précises soient pour l’instant identifiées. En revanche, la mortalité demeure très faible malgré l’emballement du nombre de malades et sans que les équipements médicaux nationaux aient connu une amélioration considérable sur la période. A notre échéance du 20 juillet, on comptait 15400 morts sur le continent, soit un ratio incomparablement plus faible qu’en Europe, et cette tendance modérée ne semble pas s’infléchir. Les écarts constatés d’un pays à l’autre dans les autres parties du monde se retrouvent aussi sur le continent : en Afrique de l’Ouest par exemple, les taux de contamination sont plus élevés dans les zones côtières mais la létalité qui en résulte est plus importante dans les pays du Sahel. La situation interpelle donc les observateurs et l’importance relative de l‘imprécision des statistiques et d’une résilience spécifique des populations africaines reste à connaitre.

Ainsi, 200 jours après que l’«ombre» du Covid-19 ait commencé à planer sur le monde, le bilan s’aggrave toujours – 2 millions de malades de plus dans le monde entre le 21 et le 28 juillet-, et devrait continuer à le faire, au milieu de grandes incertitudes. Avec ces deux données, responsables politiques, scientifiques et citoyens sont logiquement appelés à une double obligation de vigilance extrême et d’humilité. Mais cette équation est difficile à respecter. Dans les pays qui ont déjà traversé les périodes les plus difficiles, le comportement des populations et les hésitations des pouvoirs publics montrent d’ailleurs que le « monde d’après » n’est encore ni parfaitement accepté, ni totalement défini. La « leçon » du Covid n’aurait-elle pas encore été assez lourde ?

Paul Derreumaux

Article publié le 30/07/2020

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Système bancaire africain

FCFA et ECO : restons calmes et avançons !

FCFA et ECO: restons calmes et avançons !

 

Curieusement, la décision du Gouvernement français annoncée le 20 mai dernier de la « fin du FCFA » a provoqué une nouvelle (petite) poussée de fièvre de quelques intellectuels et responsables politiques africains. Certains s’étonnent de cette nouvelle manifestation de « l’impérialisme français » qui interviendrait sur des sujets qui ne le regardent pas. D’autres accusent la France qui lâcherait honteusement l’Afrique francophone en pleine pandémie du Covid-19, aux effets sanitaires et économiques encore mal appréciés, pour mieux s’intéresser à d’autres régions du continent africain ou du monde. D’autres enfin reprochent aux 8 membres de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) de s’être emparés pour l’appellation de leur monnaie commune d’un nom déjà officiellement adopté pour une future monnaie qui appartiendrait aux 16 pays de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), dont font aussi partie les nations de l’UEMOA.

Il est vrai qu’il est bon de rester vigilant face aux intentions non affichées qui peuvent exister derrière des décisions apparemment logiques, voire anodines, surtout lorsque le passé a apporté beaucoup de déceptions à ceux qui prônaient un changement. Il apparait cependant nécessaire de vérifier en même temps si un évènement n’est pas la simple conséquence d’un processus de changement déjà engagé et, surtout, de se concentrer plutôt sur les étapes à venir de celui-ci pour qu’il soit rapidement profitable à tous.

En la matière, la décision française de mai dernier est la conséquence directe de celle du 21 décembre 2019 à Abidjan, présentée par le Président de Côte d’Ivoire au nom de l’UEMOA en application d’une décision préalable des instances dirigeantes de celle-ci. Le Président Ouattara avait alors indiqué que la monnaie commune de l’Union changerait d’appellation en 2020, le FCFA devenant l’ECO, en même temps qu’était supprimé le compte d’opérations de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) auprès du Trésor français. Il avait confirmé en même temps que l’ECO garderait toutes les autres caractéristiques du FCFA et notamment une parité fixe et inchangée avec l’Euro, d’une part, et la garantie « illimitée » de l’Etat français, d’autre part.

Cette annonce de fin 2019, traduite le même jour par une modification du Traité de coopération monétaire avec la France, appelait en effet logiquement sa validation par les instances françaises compétentes, ce qui a donc été fait en mai dernier. Aucune nouvelle transformation n’ayant été introduite à cette occasion par rapport aux décisions précédentes, la nouvelle montée de tension manifestée par certains à la suite de cet évènement n’apparait guère justifiée. Les questions importantes à débattre sont ailleurs et concernent à la fois l’UEMOA, la CEDEAO et la France.

Les pays de l’UEMOA se sont engagés publiquement fin 2019 face à leurs concitoyens et à l’opinion internationale sur des changements techniquement limités mais symboliquement essentiels et très attendus. Il s’agissait là sans doute de la meilleure transition possible vers les horizons ultérieurs plus stimulants mais plus risqués d’une monnaie à valeur flexible et gérée en toute indépendance.  Les « garde-fous » maintenus pour l’instant par la France au profit de l’ECO, en évitant les risques d’attaques spéculatives sur la « nouvelle » monnaie, permettent en effet de conduire de façon plus sereine les nombreux chantiers liés à la conduite future de la politique monétaire dans l’UEMOA. Il faut toutefois, pour ne pas « perdre la face », que cette première étape devienne effective dans les délais prévus. Or ceux-ci étaient très brefs. Dans le passage du FCFA à l’ECO tel que défini, ceci imposait de réaliser pendant le premier semestre 2020 tous les travaux techniques résultant de la nouvelle situation : passation si nécessaire d’accords supplémentaires avec des banques étrangères pour la gestion et la rémunération des devises, fixation éventuelle de nouvelles règles pour les acteurs économiques et bancaires régionaux dans leurs relations financières avec l’extérieur de l’Union, actions de renforcement de la convergence économique des pays concernés, préparation au remplacement de la monnaie fiduciaire en circulation par les billets et pièces à l’effigie de la nouvelle monnaie ayant cours légal,.. Certes, l’épidémie actuelle du Covid-19 apparue à l’aube de 2020 a dû perturber tous les programmes établis. Toutefois, aucune communication n’a été faite à ce jour sur les avancées réalisées ni sur le report du délai initialement fixé à juillet 2020, désormais dépassé, et aucune nouvelle échéance n’a encore été fournie sur la mise en place de l‘ECO. L’importance de l’enjeu méritait sans doute une plus grande transparence sur les retards subis et sur leur portée, pour maintenir la confiance du public dans l’évolution enclenchée et dans la volonté des Autorités de la mener à bien, et pour faire taire les détracteurs.

A côté de ces aspects techniques, un sujet politique est inévitablement venu au premier plan sur la période écoulée. La naissance de l’ECO telle qu’annoncée en décembre dernier par l’UEMOA semble avoir été faite en dehors d’un aval formel préalable de la CEDEAO. Même si la démarche des pays francophones de décembre 2019 n’est pas contradictoire avec celle initiée par les 16 pays d’Afrique de l’Ouest six mois plus tôt, elle justifiait une concertation étroite et préalable entre les dirigeants des deux institutions régionales sur la procédure lancée par l’UEMOA et l’utilisation par celle-ci du nom ECO. Les réactions aux annonces de décembre 2019 tendent à montrer que ce ne fut pas le cas. Le Ghana, d’abord plutôt positif vis-à-vis de la démarche, a ensuite raidi sa position. Le Nigéria, qui domine la CEDAO par la taille de sa population et de son économie, a été nettement négatif même si les propos de son Président ont été souvent durcis par les médias. Il semble à la fois possible et indispensable d’aplanir d’urgence ces différends. Si le plan actuel de l’UEMOA s’inscrit toujours bien dans l’optique arrêtée par la CEDEAO il y a un an, il revient aux pays de l’Union, pour faire taire d’urgence   les critiques, de démontrer à leurs partenaires de la CEDEAO et à tous les observateurs que cet « ECO francophone » marque le lancement de la première étape explicitement prévue de la nouvelle monnaie de la CEDEAO, d’abord limitée aux pays où la convergence économique est la mieux assurée. Il importe également que la mise en œuvre technique du projet de l’UEMOA s’effectue en concertation avec les Autorités monétaires des autres pays, pour éviter toute méfiance, favoriser les synergies entre les diverses équipes et faciliter la construction de l’avenir commun. Si le projet en cours de l’UEMOA signifiait au contraire une orientation nouvelle des dirigeants de celle-ci, la clarification serait encore plus urgente.

Dans tous les cas, il est essentiel que le mouvement, engagé en juin 2019 après une trop longue période d’immobilisme des Autorités et d’attente des populations, ne soit pas interrompu mais au contraire s’accélère. Dans l’UEMOA, au-delà de la première étape qui devrait être en cours, beaucoup espèrent que la seconde phase, consacrant une plus grande indépendance monétaire, suive dès que possible. Le maintien d’une monnaie unique pour toute l’Union n’ayant jamais été mis en cause par les opposants au FCFA, il apparait donc crucial, quel que soit l’environnement extérieur, que cette nouvelle étape soit poursuivie avec toute la diligence requise. Les travaux qu’elle exige sont considérables, mais possibles et bien connus : modification de la nature et du rôle de la Banque Centrale commune, nouvelles modalités de la définition de la valeur de l’ECO et fin de la fixité par rapport à l’EUR, mise en place des instruments et méthodes de défense de la monnaie face aux attaques spéculatives, nouvelles règles du jeu pour les acteurs économiques, nouvelle intensification des politiques de convergence économique et des flux commerciaux intrarégionaux pour faciliter la gestion de l’ECO, … Pour les dirigeants et les experts des autres pays de la CEDEAO, il faudra alors choisir. Ou s’associer étroitement à ceux de l’UEMOA tout au long de cette deuxième étape pour qu’elle soit bien construite en tenant compte au mieux de l’élargissement à venir du périmètre de l’ECO à toute la CEDEAO. Ou convenir aussi vite que possible, conjointement avec les Autorités de l’UEMOA, de l’impossibilité d’une extension à court ou moyen terme de cet élargissement, et imaginer alors les autres solutions possibles pour le reste de la zone sans renoncer aux synergies que l’espace CEDEAO peut globalement continuer à produire pour les aspects autres que celui de la monnaie. Même si ce choix stratégique est difficile, et peut-être douloureux, il est dans l’intérêt de tous qu’il soit réalisé dans des délais limités.

Pour la France enfin, les travaux à mener seront d’abord une excellente opportunité pour démontrer la pertinence et l’utilité de sa nouvelle approche. En acceptant la disparition du FCFA et de ses caractéristiques les plus visibles, la France a fait taire beaucoup des oppositions visant son ancienne politique vis à vis de l’Afrique francophone. Si elle décidait d’apporter son concours technique, chaque fois que nécessaire et sans exigence politique, aux équipes de la BCEAO pour la pleine réussite de la mutation, elle donnerait une nouvelle preuve de sa sincérité et de l’intérêt de son rôle. Pour la BCEAO, et même si celle-ci dispose de hautes compétences et d’une longue expérience de la monnaie commune, l’appui sera précieux. Pour les autres membres de la CEDEAO, un tel soutien technique aurait le même effet positif. Tous ceux qui ont une idée exacte des challenges à gagner dans une telle réforme monétaire savent combien la tâche sera délicate pour qu’une monnaie indépendante et flexible ne perde pas une part sensible de sa valeur à la première difficulté rencontrée. En second lieu, la fin du FCFA en Afrique de l’Ouest constitue aussi une occasion exceptionnelle pour progresser dans les réformes monétaires en Afrique Centrale francophone. Elles pourraient concerner dans un premier temps les mêmes changements – modification du nom, arrêt du compte d’opérations – et les mêmes invariants -fixité, convertibilité, garantie de parité -. Dans une région où les décisions communautaires sont difficiles à prendre, la France est sans doute en mesure de faire accélérer le mouvement. Mais elle pourrait aussi aller plus loin en analysant, avec les Etats concernés, quelles mesures structurelles, économiques et monétaires, permettraient à cette région, dominée par l’extraction pétrolière, de répondre à la baisse notable des cours de l’or noir.

Même si le COVID a perturbé un temps les calendriers et les priorités, les Autorités de l’UEMOA comme celles de la CEDEAO et de la France ont beaucoup à gagner à concrétiser rapidement les transformations si longtemps escomptées et enfin initiées, même si le chemin à suivre n’est pas aisé. Il est toujours délicat de rester longtemps au milieu du gué, surtout si le cours d’eau à traverser est réputé dangereux.

 

Paul Derreumaux

Article publié le 24/07/2020

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Analyse économique et sociale

Coup d’œil sur le chaos pétrolier

Le pétrole broie du noir

 

Depuis mars 2020, le marché du pétrole a ajouté une crise spécifique à la secousse économique qui frappe le monde depuis janvier 2010 avec l’épidémie de Covid-19.

Trois facteurs concomitants expliquent le désordre ambiant. D’abord la baisse drastique de la demande, provoquée par l’arrêt quasi-total des transports aériens de personnes et la forte diminution d’activité de nombreux secteurs, issue des politiques de confinement. En second lieu, la mésentente entre deux des principaux producteurs -Arabie Saoudite et Russie – pour une réduction globale de l’offre de pétrole en vue du maintien de prix de marché moins sinistrés : ce désaccord s’est traduit au contraire par une offre élevée qui a alimenté un recul supplémentaire des cours internationaux. Enfin, une forte saturation des capacités de stockage du pétrole aux Etats-Unis et dans le monde entier, qui fait exploser les coûts correspondants, et pousse les producteurs les moins solides à vendre à n’importe quel prix.

Alors que les cours mondiaux de l’or noir évoluaient autour d’une moyenne de 60 USD pour le « Brent », principale référence européenne, au début de l’année, ceux-ci ont « dévissé » vers un cours de 30 puis un minimum de 20 USD à partir de la mi-mars 2020 au fur et à mesure que la pandémie s’étendait de l’Asie à l’Europe puis en Amérique du Nord, et que les grands producteurs pétroliers échouaient à trouver un accord crédible d’ajustement de l’offre à la demande. L’autre grande référence internationale, le « West Texas Intermédiate » ou WTI qui correspond à la production américaine, a connu des perturbations encore plus graves. Les modalités particulières de vente de cette catégorie – des contrats de vente à terme qui doivent être impérativement dénoués à l’échéance – poussent les producteurs et détenteurs de contrat à vendre d’autant plus rapidement que les possibilités de stockage sont désormais saturées au niveau mondial, et surtout américain, et que ce stockage coûte donc de plus en plus cher. Ceci explique que les valeurs correspondantes du WTI aient chuté encore plus rapidement et de façon plus erratique, arrivant parfois à des niveaux négatifs quand la charge financière du stockage et l’incertitude du marché à court terme dépassaient le sacrifice d’une vente à prix négatif mais connu.

Le déséquilibre entre offre et demande et ses effets pervers, amplifiés par les variations de la valeur internationale du dollar, ne datent pas du début de l’année. L’euphorie de cours supérieurs en moyenne à 100 USD de 2011 à septembre 2014 a coïncidé à une période fertile en découvertes de la part des compagnies pétrolières. Elle a aussi vu le début de l’exploitation intensive des gaz de schiste en Amérique du Nord, amenant sur le marché une production supplémentaire importante, qui a d’ailleurs placé les Etats-Unis au premier rang des producteurs mondiaux. Enfin, les améliorations techniques constantes ont permis des forages dans des zones offshore et onshore auparavant inatteignables. Face à cette progression multiforme, la demande a évolué moins rapidement, freinée à la fois par la modestie de la croissance des pays européens, par les innovations techniques de réduction de consommation et par la montée en puissance régulière des énergies non renouvelables. A partir de fin 2014,  les cours connaissent donc une période « creuse » -avec une moyenne proche de 50 USD – qui se prolonge jusqu’au dernier trimestre 2017.  Après cette date et malgré quelques soubresauts, les prix ont pu être maintenus pour le Brent au-dessus de 60 USD le baril jusqu’en janvier 2020, avec des pointes à 80 USD, grâce à la relative discipline imposée par le cartel de l’OPEP sur les marchés et une gestion efficiente des disponibilités de stockage. Les tarifs de la référence WTI ont globalement suivi cette tendance, parfois avec une décote.

Cet équilibre, souvent fragile, a été une nouvelle fois rompu en mars 2020 sous l’effet de la conjonction des trois facteurs déjà cités. Après un mois de volatilité extrême et de panique sur les marchés, un certain calme semble être revenu. Les cours du Brent ont oscillé depuis début mai entre 25 et 30 dollars le baril. Mais ce calme laisse pendants de nombreux problèmes et pourrait être de courte durée.

A court terme, la tendance devrait être haussière avec le redémarrage de beaucoup d’économies à partir de ce mois de mai, qui va « booster » la demande. L’importance des stocks, la progressivité générale des remises en route et les difficultés d’accord entre producteurs devraient cependant rendre cette croissance modérée au moins jusqu’en juin prochain et un baril entre 35 et 40 USD à cette date est une hypothèse plausible. Elle entrainerait pourtant beaucoup d’insatisfactions. Aux Etats-Unis, de nombreuses exploitations de gaz de schiste ne sont pas rentables à ce prix de vente. Ceci pourrait donc entrainer des faillites en cascades, de lourds contentieux bancaires et des pertes d’emplois, mal venus en cette période : les prochaines échéances électorales américaines pourraient en conséquence pousser les Autorités de ce pays à perturber cette évolution logique. Du côté des pays producteurs, ce prix d’équilibre resterait nettement inférieur à celui qui avait été adopté pour les budgets prévisionnels des Etats pour 2020, souvent supérieur à 50 USD. Dans les économies peu diversifiées d’Afrique, il en résulterait pour les principaux exportateurs de pétrole un Produit Intérieur Brut en repli, des gaps budgétaires considérables et une pression à la baisse sur les monnaies. Le Nigéria, puissance majeure du continent, mais aussi l’Algérie, l’Angola, et quelques autres seront dans une situation très difficile. En Afrique Centrale Francophone, l’impact sur les Etats pétroliers de la zone -Congo, Gabon, Tchad, Guinée Equatoriale en particulier – pourrait même conduire à s’interroger sur une remise en question de cette partie de la zone franc. Les bonnes perspectives économiques du Sénégal, voire du Niger, fondées sur les apports attendus des récentes découvertes pétrolières, seraient retardées ou partiellement compromises. Seuls les pays majoritairement consommateurs trouveraient dans une hausse ainsi modérée un atout pour réduire les couts de production de grands secteurs d’activité durement frappés par la crise, tels le transport aérien ou les industries.

A moyen terme, les interrogations sont encore plus nombreuses. Avant la crise sanitaire, un des objectifs mondiaux, porté par les grandes réunions internationales sur le dérèglement climatique, était celui du ralentissement souhaitable de la part des énergies fossiles dans le mix-énergétique mondial. Les contraintes et ambitions environnementales ne pourront sortir que renforcées de la pandémie du Covid-19 et vont favoriser la priorité donnée aux énergies renouvelables et aux réductions de consommation. Les exigences posées par le gouvernement français pour le prêt de 7 milliards d’EUR accordé à Air France le confirment. Mais les obstacles restent sévères. La baisse actuelle des prix du brut ne favorise pas la mutation vers d’autres sources d’énergie. Malgré les améliorations de compétitivité réalisées ces dernières années, les énergies solaires ou éoliennes demeurent chères et leur intérêt financier s’est donc même dégradé depuis mars dernier. Les principaux producteurs de pétrole – Arabie Saoudite, Etats-Unis, Russie, Qatar, .. – disposent d’atouts considérables, dans le cadre de grands équilibres géostratégiques ou économiques, pour maintenir le poids du pétrole dans les sources d’énergie mais aussi la cherté de l’or noir Enfin, la vigueur de la reprise économique après la tétanisation du deuxième trimestre 2020 sera aussi un élément déterminant de la vitesse et de la force de reprise de la demande. Pour nombre d’institutions internationales, le « trou d’air » de la croissance économique globale en 2020 pourrait donner lieu en 2021 à un rattrapage dont l’ampleur conduirait à effacer la « parenthèse » de cette année. Même si une franche reprise des cours est attendue en 2021 et au-delà, l’ampleur de cette hausse de l’or noir et les grandes variations structurelles de de la consommation énergétique restent encore fort incertaines.

Dans ce contexte volatile, et malgré sa spécificité et la puissance de ses acteurs, le monde du pétrole ne pourra échapper à des vérités dont les quelques mois que vient de vivre la planète ont souligné le caractère crucial. Il en est ainsi de l’importance de nouveaux critères dans nos choix stratégiques pour éviter la reconduction de catastrophes analogues : limites fixées à la mondialisation ; nécessité de ne pas octroyer une priorité absolue à la rentabilité à court terme ; aspiration à une plus grande solidarité. De plus, certaines transformations du mode de vie, engagées avant la crise sanitaire, sortent renforcées de celle-ci et devraient se maintenir, tels le succès du télé-travail ou le recours accru à l’E-commerce : elles auront un impact direct sur le niveau et les modalités de la consommation d’énergie. Enfin, les derniers mois ont souligné le retour en force des Etats, seuls acteurs capables de répondre à une menace globale : ce rôle clé de la puissance publique devrait perdurer. Il pourrait être mis à profit pour accélérer diverses mutations, comme la montée en puissance de la voiture électrique ou la recherche tous azimuts des économies d’énergie, Il permettrait même, si on est optimiste, de mettre un peu d’ordre dans un secteur dont l’impact mériterait une organisation plus orientée au service de l’intérêt général de la population mondiale d’aujourd’hui et de demain. Le Covid-19 réussira-t-il cet exploit ?

 

Paul Derreumaux

 

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Analyse économique et sociale

Les 120 jours du Covid19 : Constats et interrogations

Les cent vingt jours du Covid19 : Constats et interrogations

 

En quelque 120 jours, l’épidémie du Covid-19 s’est étendue au monde entier où elle a contaminé à ce jour près de 3,2 millions de personnes identifiées et quelque 215 000 morts -et sans doute bien davantage-, a détruit provisoirement le marché de plusieurs secteurs d’activité – transport aérien, tourisme, évènementiel – et provoqué une panique boursière égale à celle de 2007. Elle a aussi réduit fortement l’activité productive mondiale par suite des politiques inédites de « confinement » plus ou moins sévères adoptées dans de nombreux pays et a été ainsi à l’origine indirecte d’une chute inédite des prix du pétrole. Elle absorbe enfin, dans des pays comme la France, depuis au moins la mi-mars 2020, l’attention exclusive des principales chaines de télévision, comme si le reste des problèmes du monde avait cessé d’exister. Malgré cette omniprésence du sujet et la boulimie d’informations sur celui-ci, les incertitudes restent prédominantes. Seuls quelques constats peuvent déjà être tirés à l’échelle mondiale, qui soulèvent souvent de nombreuses questions pour le futur.

Le premier est justement la persistance à ce jour de nombreuses inconnues sur l’origine de la maladie et sur les façons de s’en protéger et de la soigner. Certes, dans le monde entier, les chercheurs se sont mobilisés avec une intensité jamais égalée et de nombreuses avancées ont déjà été réalisées. Elles ne sont cependant que partielles et parfois hésitantes, et ont moins bénéficié d’un appui financier massif et bien coordonné de la part des grands Etats que l’aide que ceux-ci ont accordée aux secteurs économiques et sociaux. Une priorité accrue à cet objectif aurait été pertinente. Elle aurait pu éviter des querelles d’égos entre scientifiques, inutiles et incomprises par le public qui attend des résultats. Elle aurait donné plus de consistance aux nombreuses promesses faites quant à la possibilité et à la date d’obtention d’un vaccin. La recherche, médicale ou autre, n’est en effet pas une activité qui obéit à des délais fixés et c’est le seul hasard qui réduit parfois le temps requis pour des grandes découvertes, comme le rappelle le souvenir de Pasteur. Des tests fiables et en quantité suffisante ne sont encore disponibles que dans des périmètres limités, comme la Corée du Sud et l’Allemagne. Mais le monde restera d’une fragilité extrême, malgré les prouesses des personnels soignants, sans traitements validés selon les normes scientifiques en vigueur pour tous les stades de la maladie, et surtout sans vaccin, clé de voute de cette lutte.

La seconde leçon est que peu de pays ont été totalement transparents dans leur gestion de la crise. Les modalités de cette « dissimulation » ont été diverses. La Chine a ainsi occulté l’existence même de l’épidémie au début de celle-ci, puis a vraisemblablement systématiquement sous-évalué le nombre des décès, les chiffres officiels paraissant incohérents avec ceux qui ont ensuite été vus dans tous les pays. En France, l’Etat a été plus objectif, face aux médias, dans le décompte des statistiques de mortalité qui ne tiennent cependant pas encore compte à ce jour de la « surmortalité » hors hôpitaux que commence à montrer l’INSEE. Il a cependant attendu longtemps avant d’informer clairement sur des points essentiels : décès dans les Ehpad, grave pénurie de masques et d’autres « accessoires », insuffisance de respirateurs.  En Angleterre et, encore plus, aux Etats-Unis, les plus hauts dirigeants ont d’abord joué les « matamores » face à la pandémie et renoncé à des informations précises sur la propagation de la maladie. Mais ils ont dû faire machine arrière, parfois à contre-coeur comme M.Trump, au vu de la progression très rapide du nombre de victimes.  Ils ont alors suivi les mêmes stratégies d’arrêt des écoles et des grands rassemblements, mis une bonne part de l’économie à l’arrêt et imposé un confinement plus ou moins marqué. Certaines nations continuent à nier la contamination, comme la Corée du Nord par dogmatisme, ou à la minimiser, comme peut-être beaucoup d’Etats africains, par incapacité de l’appréhender pleinement. Seuls quelques pays ont sans doute affiché avec plus de justesse leurs échecs, telles l’Italie et l’Espagne, et leurs succès, comme Taïwan et la Corée du Sud. La vérité de l’information a montré ses limites face à d’autres priorités, même dans les pays considérés comme les mieux lotis sur ce point.

Un autre constat, essentiel, est qu’une très grande majorité de pays ont choisi de privilégier le combat sanitaire, en décrétant un confinement plus ou moins massif ou des solutions qui s’en rapprochent, comme des couvre-feux ou l’isolement des plus grandes villes, et d’interrompre le fonctionnement normal de leur économie nationale pour minimiser les pertes en vies humaines. Ce choix tranché est inédit. Il résulte d’une conjonction de facteurs, aux dosages respectifs variables selon les pays : incertitudes sur la contagiosité et la morbidité de la pandémie, crainte des opinions publiques, effet d’entrainement de la Chine, « usine du monde », qui avait ouvert cette voie. Quelque 45 jours après que cette option ait été prise, il semble qu’elle a été bénéfique au plan sanitaire comme le montre le ralentissement conjoint des contaminations, des hospitalisations et des décès. Toutefois, le coût économique et social de ce confinement est considérable, pour les particuliers et les entreprises qui le subissent, comme pour les Etats qui ont pris en charge des compensations de toutes sortes : paiement au moins partiel des salaires perdus, reports d’impôts et de cotisations de sécurité sociale, distribution de chèques aux personnes défavorisées (la « monnaie hélicoptère » des Etats-Unis ;…Les plans de « sauvetage » d’ampleur inégalée adoptés aux Etats-Unis, dans plusieurs pays européens, par l’Europe elle-même ont été plusieurs fois revus à la hausse et risquent de l’être encore avec les concours qui devront être donnés à de grandes entreprises nationales pour leur redémarrage. Dans plusieurs cas, ces coûts imprévus représentent plus de 10% du budget de l’Etat et devraient être financés par des dettes supplémentaires. Ils ont aussi fait voler en éclats des règles qui paraissaient intouchables comme celles des dangers d’une dette publique excessive et d’un déficit public respectant des limites étroites et intangibles, comme le montre notamment l’exemple de l’Europe. Le monde s’est ici aventuré dans des espaces, qu’il n’avait explorés qu’en temps de guerre et qu’il va devoir ensuite gérer.

Dans le même temps, les contraintes sociales imposées pour freiner la contagion du Covid-19, et notamment le confinement quand il a été appliqué, ont rapidement montré les grandes inégalités d’efforts qu’elles demandaient aux diverses composantes de la population. Les habitants des quartiers populaires des grandes villes et de leurs banlieues ont été les plus pénalisés en raison de l’exigüité de leurs logements, des caractéristiques de leur environnement et de l’impact économique de la crise sur leurs revenus. Les habitants des petites villes et des communes rurales ont été plus favorisés, une fois n’est pas coutume, grâce notamment aux réponses de proximité. Le télétravail n’a pu bénéficier aux techniciens et aux ouvriers des grandes unités de production. L’enseignement à distance a partiellement compensé la fermeture des écoles mais les difficultés d’accès de nombreux élèves ont montré les limites qui persistent. Le caractère exceptionnel de la situation a provisoirement mis à l’arrière-plan ces différences parfois criardes, reflet des disparités de classes sociales. Partout, une solidarité sincère a constitué un « amortisseur de crise » et les citoyens ont globalement supporté avec discipline et stoïcisme cet isolement forcé si contraire à leurs habitudes de vie. Le cas de l’Inde est sans doute ici le plus exemplaire. Toutefois, la perspective d’un déconfinement proche pourrait rouvrir de nouvelles questions sociales actuellement laissées de côté. Ainsi, en France, les personnels des hôpitaux, dont le rôle souvent héroïque a été justement salué par tous, devraient rappeler le long et vain combat qu’ils avaient mené en 2019 pour l’amélioration de leurs rémunérations et conditions de travail, et les promesses faites pendant la crise ne pourront être oubliées quoiqu’il en coûte. Dans beaucoup de pays, les difficultés et éventuelles erreurs du retour programmé à la normale -recrudescences possible de l’épidémie, pertes d’emplois, faillites d’entreprises,..- malgré toutes les dispositions prises par les Etats, seront moins facilement oubliées que celles subies par les populations lors de la naissance de la pandémie. L’accentuation des inégalités provoquée par l’épidémie, dans les pays avancés comme dans les nations en développement, pourrait donc entrainer des tensions accrues chaque fois que l’état d’esprit d’une « union nationale » un moment mise en avant n’aura été qu’une parenthèse.

Enfin, un dernier constat est la mise en évidence par la crise de la priorité désormais souhaitable de nouveaux paradigmes économiques. Les bienfaits de la mondialisation, dont les limites étaient déjà de plus en plus ressenties, se comparent désormais à ceux de l’indépendance économique et des politiques de proximité qui y sont liées, qui paraissent plus attrayants. Quelques nouvelles valeurs devenues fondamentales pour tous font émerger des attentes économiques et sociales, jugées auparavant moins essentielles par la majorité « nantie » de la population mais aujourd’hui vues comme prioritaires face à des dangers oubliés et d’incroyables fragilités révélées. Il en est ainsi de toutes les activités liées à une « économie de l’humain » : santé, logement décent, accès à l’éducation et à la connaissance, connexion aux réseaux de communication, accroissement de la sécurité sous toutes ses formes, amélioration de la justice,… L’idée d’un revenu universel minimum, longtemps considérée comme utopique, connait un début d’application de la part de pays aussi divers que les Etats-Unis ou la Côte d’Ivoire. Le combat contre le dérèglement climatique et pour la sauvegarde à long terme de la planète pourrait connaitre plus de vigueur et de succès, à la suite de la peur qui a saisi le monde devant les risques gigantesques qui le menacent et au vu de l’éclaircie climatique qui accompagne cette pause économique forcée.  Certes, ces changements possibles se heurteront au retour en force de la prééminence des anciens dogmes -maximisation du profit à court terme, suprématie absolue des droits de l’individu sur ses devoirs et sur les droits de la collectivité, poids de la « réal politik » dans la gestion des Etats-. Les débats pourraient être animés entre ces deux approches.

Beaucoup aiment à dire en ce moment que le monde après le Covid-19 « ne sera plus comme avant ». Les périodes comme celle que nous traversons renforcent le poids et et les espoirs de ceux qui aspirent à de profonds changements, qu’ils soient révolutionnaires, utopistes ou simplement emplis de sagesse. Il est sans doute encore beaucoup trop tôt pour savoir ce qu’il en sera. De grandes incertitudes existent déjà sur le temps pendant lequel la lutte contre la pandémie durera et sera même indécise. Cette durée aura d’ailleurs elle-même une grande influence sur ce que les habitants de la terre choisiront ensuite : oublier cette période et revenir (presque) au passé si l’issue a été facile ; s’entêter pour réaliser des changements apparus décisifs, quelle que soit la difficulté pour les instaurer, si la victoire a été longue et incertaine. La vérité à venir se placera probablement entre ces extrêmes. Où qu’elle se situe, il ne faudra pas oublier que notre monde a très peu de chances d’être un jour parfait.

Paul Derreumaux

Article publié le 30/04/2020

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Analyse économique et sociale

La réforme CIMA : une première étape aux résultats mitigés

La réforme CIMA :

une première étape aux résultats mitigés

 

Les Autorités de la Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurance (CIMA) avaient fixé au 31 mai 2019 la date limite pour l’atteinte du nouveau seuil de capital social de 3 milliards de FCFA -et de 2,4 milliards de FCFA de fonds propres- par toutes les compagnies d’assurance des 14 pays d’Afrique francophone relevant de leur périmètre. Neuf mois ont passé depuis cette échéance et les résultats de la première étape de ces « grandes manœuvres » capitalistiques sont encore incertaines. Un effort important a été accompli par les sociétés concernées. Pourtant plusieurs conséquences escomptées ne semblent pas être encore au rendez-vous. Surtout, l’avenir de la profession est encore obscurci par divers facteurs.

Le secteur a longtemps espéré que l’échéance donnée par la CIMA serait reportée par celle-ci, mais l’institution de tutelle a été inflexible et la limité du 31 mai s’est imposée à toutes les sociétés. A ce jour, les données définitives des augmentations de capital réalisées n’ont pas encore été officialisées, mais il semble qu’une très grande partie des quelque 180 compagnies de la zone aît réussi à respecter l’objectif fixé. Les moyens utilisés ont été variés : remplacement fréquent de la distribution de dividendes par des constitutions de réserves, apport en numéraire d’actionnaires existants, nouveaux investisseurs. Certains schémas juridiques retenus pour des recapitalisations, dont les formalités sont encore en cours, peuvent expliquer les retards dans la concrétisation de quelques augmentations et, par conséquence, dans la communication du résultat final de cette première étape. Les quelques sociétés qui n’ont pas réussi à atteindre l’objectif capitalistique imposé auront leur agrément supprimé, ou seront placées sous administration provisoire lorsque cette solution est encore envisageable à court terme.

Si cette première phase est un succès quantitatif, elle est décevante quant aux effets escomptés sur la concentration du secteur. D’abord, les augmentations de capital n’ont en effet conduit à aucun des regroupements majeurs de sociétés de dimension nationale ou régionale qui auraient nettement réduit le nombre d’acteurs totaux et par pays, et facilité l’obtention future de la rentabilité de chacun d’eux. La quasi-totalité des compagnies ont au contraire fait le choix d’une solution individuelle pour passer l’obstacle, malgré les incertitudes pouvant en résulter pour leur futur. Cette préférence n’étonne guère puisqu’elle fut observée à l’identique dans le secteur bancaire francophone lors des accroissements massifs du capital minimum décidés en 2007 et 2015, qui n’ont conduit à aucune diminution du nombre de banques. Il confirme bien la divergence d’approche avec les régions d’Afrique anglophone plus ouvertes aux rapprochements. De même, ce grand mouvement de recapitalisation n’a amené dans la zone CIMA aucun grand groupe extérieur à la zone. Une opération de croissance externe pouvait ainsi être attendue du sud-africain Sanlam, désormais aux commandes de la compagnie marocaine Saham, mais ne s’est pas produite. Au contraire, la mutation a amené le groupe germano-français Allianz à céder trois filiales de l’espace francophone au Groupe Sunu. Ce dernier consolide donc sa place aux côtés de deux autres leaders NSIA et Saham, dont l’emprise couvre le plus de pays de la CIMA. Derrière eux, le panorama reste très diversifié. Les compagnies marocaines des réseaux Atijari et BCP montent lentement en puissance grâce à une croissance intrinsèque ou quelques rachats ; Axa et Allianz demeurent les seuls groupes européens dans la région avec de solides  implantations en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Cameroun et au Gabon; quelques  réseaux subsahariens résistent ou s’efforcent de grandir, comme celui de Atlantique Assurance en Afrique de l’Ouest ou Activa en Afrique Centrale; la majorité des  compagnies agréées demeurent toutefois des sociétés œuvrant seulement dans un seul cadre national, dans lequel elles exercent parfois aussi bien dans l’activité Vie que dans celle de l’IARD.

Trois ans après le lancement de cette recapitalisation, le secteur se retrouve donc dans une configuration imprévue : des compagnies aux fonds propres accrus mais toujours aussi nombreuses. Il en résulte que les objectifs pour lesquels cette réforme avait été décidée et qui restent d’une impérieuse actualité seront plus difficiles à relever que prévu. Ils peuvent être regroupés en deux principales catégories.

La première est celle d’une augmentation du chiffre d’affaires de chaque acteur de façon à accroître ses possibilités de rentabilité du nouveau capital investi. Celle-ci est conditionnée d’abord par la volonté et la capacité des Etats de rendre plus nombreuses les assurances obligatoires dans chaque pays, de veiller à ce que les dispositions légales en la matière soient bien suivies, mais aussi de promouvoir des sociétés qui pourraient avoir un rôle décuplé dans la mobilisation de l’épargne. Cette stratégie d’appui au secteur aurait aussi pour avantage de mieux protéger entreprises et populations contre des risques peu considérés jusqu’ici mais pouvant gravement pénaliser les individus et leurs actifs. Surtout, une seconde piste d’amélioration est entre les mains des sociétés elles-mêmes. Elles ont par exemple à se montrer plus inventives dans les domaines couverts, plus innovantes dans les polices proposées, plus souples dans les modalités de contrats offertes, plus crédibles vis-à-vis de leur clientèle grâce à des paiements plus rapides des dommages. La seule comparaison avec les progrès effectués en la matière en Afrique du Sud ou au Maroc montre le champ des possibilités existantes, souvent simples, et les impacts positifs qui en résulteraient sur les produits encaissés. Pour l’assurance vie par exemple, la multiplication de variantes pour la couverture des risques maladie, retraite et éducation constituent des gisements essentiels. Mais il faut aussi rendre plus performants et moins coûteux les circuits commerciaux. En zone CIMA, la coopération des assureurs avec d’autres réseaux plus largement implantés sur le territoire -banques, émetteurs de monnaie électronique -est toujours insuffisante. Les synergies apportées par la « bancassurance » ne sont que modestement exploitées en raison de la multiplicité des acteurs des deux secteurs et des difficultés d’imposer une discipline de travail d’une compagnie avec un seul banquier et vice-versa. Seule une alliance capitalistique des deux partenaires semble capable de forcer le mouvement : c’est la stratégie retenue par des réseaux comme NSIA, pionnier de ce choix, et Sunu, qui a emprunté le même chemin en 2018, à l’image par exemple des groupes marocains. Hors ces transformations, la croissance endogène des marchés- actuellement dans la CIMA seulement de l’ordre de 10% par an en moyenne malgré des taux de pénétration largement inférieurs à 1% – sera trop faible pour donner les augmentations de primes indispensables.

La seconde exigence est celle d’une amélioration des marges bénéficiaires des assureurs. Celle-ci doit d’abord être mise en œuvre par les compagnies elles-mêmes. Elle appelle par exemple une automatisation plus poussée des taches, apportant économies et diminution d’anomalies et de suspens. Elle requiert des tarifications mieux adaptées en évitant à la fois des sous-évaluations aux visées commerciales, qui pénalisent ensuite la viabilité des entreprises, et des surfacturations, qui découragent la clientèle. Elle impose une revue détaillée des charges de fonctionnement, des commissions, des provisions techniques nécessaires, des frais de publicité grâce à des audits sans complaisance et l’utilisation des techniques les plus modernes, pour éliminer les coûts excessifs et mieux maîtriser les exigences administratives de la profession. Vis-à-vis des partenaires, les compagnies auront aussi à éviter les retards de paiement de primes de la part de leurs agents généraux et courtiers et à faire jouer davantage la concurrence. Enfin les Etats de la zone ont un grand intérêt à adopter des politiques fiscales incitatives pour encourager à la fois assurance-vie et assurance-IARD, vecteurs efficients pour servir l’inclusion, le drainage de l’épargne et la protection des patrimoines, plutôt qu’une position de prélèvement maximal à court terme sur les revenus générés par ces activités, comme on le constate hélas dans certains pays et sur divers créneaux.

Presque tout reste donc à faire et le nouveau point de départ de ces actions est moins favorable que prévu. Outre ces défis, la pandémie du Covid-19 devrait aussi grandement perturber l’année 2020. Même si les risques issus de ce drame sanitaire, en général non couverts, n’accroitront guère directement les sinistres, les perturbations économiques qui en résulteront auront des impacts sur l’activité des compagnies. A court terme, ces effets seront négatifs : baisse de l’activité des entreprises formelles, ralentissement ou arrêt des investissements, réduction des capacités d’épargne des ménages, baisse des cours de la BRVM -environ -16% des principaux indices depuis janvier 2020-,.. A moyen terme au contraire, la crise pourrait être bénéfique avec le souci des ménages de disposer à l’avenir de produits d’assurance les couvrant mieux sur des sujets essentiels comme la santé, la perte d’emploi ou un revenu minimal de crise, et la recherche par les entreprises d’une meilleure sécurité. Le secteur aura donc à gérer des difficultés temporaires supplémentaires et ne pourra profiter des opportunités de rebond que s’il accomplit les transformations structurelles qui s’imposent de toute façon à lui.

Ces mutations devraient être menées à marche forcée puisque la seconde étape du renforcement capitalistique – nouvelle augmentation du capital minimum de 2/3- interviendra dès 2021. Si les indicateurs de fonctionnement ne se sont pas améliorés d’ici là, la mobilisation de fonds propres supplémentaires rendra encore plus difficile l’atteinte d’une rentabilité suffisante, toutes choses égales par ailleurs. Un grand mouvement de concentration serait alors, comme souhaité en 2019, le moyen privilégié de replacer le secteur sur une spirale vertueuse. Encore faut-il que tous, actionnaires et dirigeants des compagnies, Autorités de contrôle, Etats, comprennent l’urgence de la situation et prennent les mesures en conséquence. Le temps presse pour que ce changement d’état d’esprit imprègne largement la profession.

 

Paul Derreumaux

Article publié le 23/04/2020

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Analyse économique et sociale

Afrique : le spectre du coronavirus

Afrique : le spectre du coronavirus

 

Il est difficile de prédire l’imprévisible. Surtout lorsque celui-ci est inconnu. C’est pourtant ce que doivent s’essayer à faire en ce moment les dirigeants de tous les pays. La maladie issue du coronavirus, ou covid-19, n’est apparue qu’en toute fin d’année 2019 mais sa contamination est déjà supérieure à celle des précédentes grandes épidémies de la période récente (SRAS, Ebola, ..). L’ampleur de son extension géographique, la faiblesse des connaissances sur la maladie et l’absence de remède à ce jour génèrent une peur qui s’est transformée en panique face aux risques d’une pandémie mondiale. Des mesures totalement exceptionnelles, visant à ralentir la propagation de la maladie, ont été maintenant adoptées en désordre par beaucoup de nations, mais leur impact positif contre la maladie ne peut encore être assuré. Ce péril sanitaire potentiellement dramatique s’est désormais doublé d’une crise économico-financière aussi brutale que multiforme. Celle-ci est en partie liée aux difficultés de secteurs dynamiques totalement paralysés par les actions de lutte contre l’épidémie, tels le transport aérien, le tourisme ou l’évènementiel. Elle résulte aussi des craintes sur le rythme de croissance issues des difficultés attendues d’approvisionnement de nombreuses industries, des mesures de confinement imposées par la situation sanitaire et d’une baisse de la demande. La généralisation de ces problèmes, puis l’effondrement du prix du pétrole ont ensemble provoqué en une semaine une débâcle boursière de même ampleur que celle de 2007.

Si cette double crise est mondiale, l’Afrique semble y avoir une place à part tant au plan sanitaire qu’économique.

En matière de santé, trois constats s’imposent. Le premier est que le continent reste jusqu’ici étrangement absent de la carte d’implantation du covid-19. Ce 15 mars, des statistiques officielles recensaient seulement 280 cas et 7 décès en Afrique, et une absence totale de contamination dans u majorité des 54 pays africains. Cette situation, pour une fois très favorable, parait incroyable alors que la Chine, où la maladie s’est déclarée, compte en Afrique un contingent significatif de nationaux en de nombreux pays et que beaucoup d’africains voyagent souvent en Chine pour des raisons commerciales : les passerelles de contamination sont donc multiples. Aucune explication scientifique n’a été jusqu’ici émise pour justifier que le climat, l’environnement ou la morphologie des habitants rendaient plus difficile l’action du coronavirus en Afrique que dans des pays aussi divers que l’Italie, la Corée ou les Etats-Unis. La raison la plus vraisemblable de ce maintien à l’écart est donc le moindre dépistage des personnes infectées qui peut résulter de plusieurs causes. La faiblesse généralisée des équipements sanitaires (seuls 24 pays disposeraient des moyens de dépistage selon l’OMS), la proximité des symptômes avec ceux de maladies courantes comme la grippe ou le paludisme, qui reste de loin la maladie la plus mortelle en Afrique, se conjuguent pour que le coronavirus passe encore en dessous de beaucoup de « radars ». Sa faible mortalité jusqu’à ce jour et le pourcentage nettement plus limité de populations dépassant 60 ans ont pu aussi contribuer à ce que la nouvelle maladie, si elle est déjà présente, n’attire guère l’attention. Le retard avec lequel les avertissements ont été donnés et les premières mesures de prévention lancées explique aussi ce décalage, Les seuls cas signalés sont d’ailleurs surtout ceux de personnes venues de France et immédiatement mises en quarantaine, comme si le virus avait fait ce détour avant de s’attaquer à l’Afrique.

Le second constat est que le continent semble dans l’immédiat mal équipé pour prendre en charge une proportion de la population identique aux taux de contamination qui apparaissent dans les pays les plus frappés comme la Corée et l’Italie, sans parler de la Chine. Les types de soins requis pour les personnes les plus gravement touchées – équipements lourds d’assistance respiratoire notamment – sont en effet très peu présents et conduiraient vite aux blocages actuellement craints dans les pays européens les plus avancés. Il n’est donc pas certain qu’une politique plus active de dépistage soit mieux adaptée pour une gestion efficace de l’épidémie et il pourrait être préférable de mettre surtout l’accent sur l’adoption de comportements et de « mesures barrières » freinant la propagation, et sur des désinfections massives, plus faciles à mettre en œuvre dès lors qu’une relative immobilisation du pays a pu être imposée.

Il faut en effet rappeler enfin que l’Afrique, malgré ses nombreuses faiblesses, a déjà su faire face à des épidémies particulièrement dangereuses. Ce fut par exemple le cas de la fièvre Ebola dans les années 2013/2015, notamment en Afrique de l’Ouest. Avec plus de 11 000 décès sur la période (mais près de 20000 selon certaines statistiques) sur quelque 30000 personnes contaminées, elle a représenté pour des pays déjà fragiles comme la Guinée, le Libéria, la Sierra-Léone, une menace terrifiante. Seules une politique de mise en quarantaine extrêmement sévère, le courage et la ténacité remarquables des équipes médicales de ces pays et l’aide, parfois trop tardive, de quelques grands partenaires sont venus à bout de ce fléau. Il n’est nul doute que l’Afrique se battrait vigoureusement avec ses maigres moyens si le coronavirus faisait une apparition massive dans cette population de plus de 1,2 milliards d’habitants. Elle devrait dans ce cas privilégier à nouveau, faute de mieux, les moyens soulignés ci-avant -strict cantonnement et désinfections systématiques-. Il importera dans ce cas que les gouvernements africains prennent le défi à bras le corps, avec une transparence, un engagement et une cohérence qui les rendront crédibles. Il faudra aussi qu’ils puissent bénéficier en complément de la solidarité internationale, dont la difficile mise en place actuelle va être « testée » dans d’autres régions du monde, en raison des moyens financiers, humains et techniques qui seront requis.

En matière d’économie, la question principale est de savoir si l’Afrique pourra comme en 2007 être relativement épargnée par les conséquences de la crise économique et financière qui accompagne depuis début mars le danger sanitaire actuel. S’il est encore trop tôt pour des conclusions générales sur ce point, plusieurs orientations semblent déjà engagées.

D’abord, la dépréciation brutale de plus de 30% des prix mondiaux du pétrole intervenue le 9 mars dernier, et encore aggravée depuis lors, impactera fortement l’Afrique. Cette baisse, issue d’un fort repli de la demande et d’un désaccord stratégique entre deux principaux exportateurs, l’Arabie Saoudite et la Russie, risque en effet d’être observée au moins quelques mois au vu des incertitudes actuelles de la situation économique mondiale. Elle produira deux effets inverses selon les pays. Les exportateurs d’or noir, déjà en phase de dépression depuis 2015, enregistreront une nouvelle baisse notable de leurs recettes budgétaires et de leurs exportations. Ainsi le Nigéria, qui avait basé son budget 2020 sur un prix international proche de 55 USD, doit-il revoir celui-ci pour tenir compte des nouveaux cours proches de 30 USD. L’Algérie engage le même processus. Il en est déjà résulté un sensible repli de la valeur du naira, et une chute de plus de 12% de la Bourse de Lagos. Pour l’Afrique Centrale francophone, la chute imprévue va rendre plus difficiles les réformes entreprises et compromettre les améliorations récemment constatées dans la croissance économique et les rééquilibrages budgétaires. Pour les pays importateurs de pétrole au contraire, la position favorable des dernières années va être maintenue. Elle sera un facteur particulièrement opportun de soutien de la croissance et des équilibres budgétaires dans la période difficile qui s’annonce.

En second lieu, plusieurs effets négatifs majeurs à l’échelle mondiale de l’épidémie devraient affecter inévitablement l’Afrique ou y être observés rapidement. La baisse générale d’activité va réduire à court terme la demande de matières premières minières, à l’exception possible de l’or dont les cours ont bondi de plus de 20% en 2019 et restent élevés, et donc toucher beaucoup de nations au moins en 2020. Les transports aériens, l’hôtellerie et le tourisme, qui étaient des secteurs en expansion et générateurs d’emplois, seront sinistrés cette année et pourraient souffrir durablement à l’avenir de modifications de comportements, notamment de la part des entreprises. Un possible confinement, au moins partiel, auquel risquent de se résigner beaucoup de nations africaines pour des raisons sanitaires, perturberait les productions nationales, où le télétravail ne peut être encore que marginal, tout autant que les échanges commerciaux internationaux ou régionaux : ces deux évènements auront un impact négatif sur le taux de croissance du Produit Intérieur Brut (PIB). La destruction substantielle de la « richesse financière » globale provenant des effondrements boursiers et le climat général d’incertitude vont pour un temps ralentir fortement les flux d’Investissements Directs Etrangers (IDE), notamment privés, et donc la réalisation de nouveaux projets productifs.

Hormis ces tendances vraisemblables, la plupart des évolutions sur le continent demeurent jusqu’ici des hypothèses qui ne pourront être vérifiées que dans un délai minimal de quelques mois. La plupart sont défavorables et entraineraient à court terme l’Afrique dans une spirale dépressive. Emporté par le repli de secteurs importants rappelés ci-avant, le rythme de croissance du PIB en 2020 pourrait décliner bien en dessous des 3,9% prévus et même faire basculer des grands pays en récession, tel le Nigéria. Les premières prévisions émises en Europe apparaissent d’ailleurs catastrophiques avec des taux de repli du PIB atteignant 5% Il en résulterait dans ces cas le recul des recettes publiques et des difficultés accrues de financement des Etats concernés. Celles-ci ralentiraient les possibilités de réalisation d’infrastructures économiques et sociales pourtant prioritaires. Malgré ces sombres perspectives, il faut toutefois souligner que les pays africains, en raison de leurs structures économiques et de leur faible intégration aux échanges mondiaux, sont moins sensibles aux variations de la conjoncture internationale, comme observé en 2007/2008. Ils disposent en particulier de quelques secteurs solides -télécommunications et banques par exemple – ou soutenus par la forte croissance démographique – comme l’agriculture – ou faiblement liés aux circuits classiques -tels le secteur informel -. Enfin, il est aussi possible d’espérer que le grand chambardement provoqué par le Covid-19 pourrait donner aux nations africaines l’énergie nécessaire pour accroitre les actions de développement de leurs capacités de production agricoles et industrielles nationales et régionales. Cette stratégie aurait le double mérite de « booster » les PIB africains à un moment spécialement opportun et de réduire la dépendance des populations vis-à-vis de l’étranger. Il faudra pour cela un effort d’imagination et de volonté de la part des pays intéressés, mais aussi un soutien financier suffisant et vite mis en œuvre de la part des grands partenaires, qui témoignerait de la cohérence de leurs actes et de leurs discours en cette période difficile.

Même si elle n’en a pas encore conscience, l’Afrique risque de connaitre une crise sanitaire et économique issue de l’épidémie du coronavirus aussi redoutable que partout ailleurs dans le monde. Pour la traverser au mieux, elle doit montrer sa capacité à mener dans l’urgence toutes les actions, à combattre ses « démons » habituels et à mobiliser ses atouts. Le pire n’est jamais sûr, surtout si on se prépare bien à l’affronter.

Paul Derreumaux

Article publié le 20/03/2020