Quelques prérequis d’une nouvelle relation entre la France et l’Afrique
Le partenariat France/Afrique fait encore rêver. Pourtant sa réalité et son intérêt se réduisent au fur et à mesure que le temps passe et que l’Afrique se développe et multiplie ses alliances. Pour qu’elle puisse encore être privilégiée, il faudrait que cette relation soit reconstruite sans délai sur d’autres objectifs et de nouveaux chantiers.
Même si la « France/Afrique » a mauvaise presse, la relation entre la France et l’Afrique, particulièrement dans sa partie francophone, possède une consistance encore multiforme. C’est à partir de ce socle que la France cherche à construire un nouveau partenariat vigoureux et privilégié avec l’ensemble du continent africain, dont le Sommet tenu à Paris en ce début décembre voudrait être l’étape fondatrice.
Un tel objectif est particulièrement ambitieux car l’environnement a changé. En croissance soutenue et unanimement reconnue depuis plus d’une décade, l’Afrique est désormais devenue fréquentable et a fortement diversifié les pays et institutions avec lesquels elle commerce et qui investissent sur son sol. Elle est même courtisée par les grandes nations émergentes, qui voient dans les pays africains des cibles idéales pour la collecte de leurs matières premières, les marchés de leurs grandes entreprises et l’écoulement de leurs produits. Parallèlement, un nombre croissant d’Etats du continent, et notamment ceux qui progressent le plus, ont la volonté de définir eux-mêmes le contenu et les modalités de réalisation du développement économique et social qu’ils recherchent : c’est donc en fonction de la capacité de leurs interlocuteurs à répondre à leurs attentes et à admettre des rapports plus égalitaires qu’auparavant qu’ils seront prêts à poursuivre ou renforcer des relations spécifiques avec un partenaire. Cette diversification des relations et cet égocentrisme des choix sont des acquis auxquels l’Afrique ne renoncera plus. Si ce postulat est admis, tout est toujours possible. En Afrique, surtout francophone, l’attachement à la France reste profond, fondé à la fois sur la langue, l’histoire et la culture, et est à même de justifier une coopération particulière mutuellement profitable. Celle-ci peut et doit concerner les Etats, les peuples, les administrations, les entreprises des deux parties. Elle semble en outre être une chance pour chacun, en un temps où la France peine à retrouver le chemin de la croissance et où l’Afrique souhaite redoubler d’allure pour rattraper ses retards en nombre de domaines.
Pour exploiter cette opportunité, deux voies prioritaires sont à suivre par la France.
L’une, permanente, est de soutenir toutes les actions menées par les pays africains pour un développement accéléré, durable, harmonieux et inclusif. La France possède ici beaucoup d’atouts pour apporter une valeur ajoutée significative : l’expertise éprouvée de ses grandes entreprises en de nombreux secteurs actuellement jugés prioritaires, leur taille internationale, leur expérience du continent dans certains cas sont des avantages déterminants pour tenir un rôle décisif dans les grands investissements structurants auxquels on porte actuellement une attention particulière. Il en est ainsi pour les infrastructures majeures attendues pour demain : énergie solaire, barrages hydroélectriques, traitement de l’eau, chemins de fer par exemple. C’est vrai également pour l’agriculture dont la modernisation et la montée en puissance sont des exigences premières face à une population en forte croissance : pour les cultures de rente comme pour les cultures vivrières, les sociétés françaises de l’agroalimentaire peuvent renforcer leur position, parfois déjà importante, et aider à l’évolution des pratiques culturales, la constitution de filières performantes, la formation des agriculteurs locaux, l’amélioration de toutes les composantes de l’environnement de la production. La pérennité du développement de l’Afrique est aussi liée à la multiplication de petites entreprises viables et bien équipées. Pour ce point fondamental, et spécialement difficile, les grandes sociétés françaises sont ici encore en mesure de jouer un rôle moteur tant à travers les actions de Responsabilité Environnementale et Sociale (RSE) que certaines mènent déjà à grande échelle, qu’en favorisant une sous-traitance bien professionnalisée du cœur de leur activité. Enfin, dans tous les secteurs productifs, le partenariat envisagé devrait contribuer à une meilleure diffusion sur le continent des technologies nouvelles par suite du bon positionnement de la France sur ce point pour nombre de créneaux.
La plupart de ces actions relèvent avant tout de la responsabilité des entreprises, grandes ou petites: pour celles-ci, le continent africain n’est qu’un terrain parmi d’autres sur lesquels elles sont amenées à affronter chaque jour leurs concurrents issus du monde entier. Elles sont capables d’y réussir pleinement, comme certaines l’ont prouvé depuis longtemps, dès lors qu’elles accomplissent les efforts, les adaptations et les investissements qui montrent que leur offre est meilleure que celle des autres. En la matière, l’Etat français doit surtout jouer le rôle de facilitateur en apportant les appuis, notamment financiers, bien adaptés aux besoins des acteurs économiques français, aux exigences justifiées des pays hôtes des projets, à la concurrence vécue sur le terrain et à la nature des opérations concernées.
La seconde voie, peut-être plus conjoncturelle, mais particulièrement pressante, repose davantage sur la responsabilité étatique. Elle vise la réalisation d’actions répondant aux urgences de l’heure qui bouleversent l’ordre des priorités dans les Etats africains et qui risquent de remettre en cause les actions de développement déjà entreprises. Pour certains aspects, la France est certes pionnière. Ainsi, pour les risques sécuritaires, elle est probablement le pays qui a la conscience la plus concrète de la situation et peut, par ses initiatives et son exemple, faciliter la prise en considération de cette contrainte par les autres pays engagés dans le développement de l’Afrique. De même, dans la lutte, qu’elle soutient activement, contre le réchauffement climatique, la France pourrait être particulièrement utile pour aider une Afrique très faiblement armée dans ce combat, techniquement comme financièrement, alors qu’elle est une des zones les plus menacées. Pour l’intégration régionale également, qui est une des clés de l’amélioration de la sécurité et de la réalisation des grands investissements stimulant la croissance économique, la position actuelle privilégiée de la France dans de nombreuses instances peut servir de catalyseur.
En d’autres domaines en revanche, beaucoup reste à inventer comme le montrent les quelques exemples suivants. En termes d’emplois, le continent manque cruellement d’une main d’œuvre qualifiée pour des secteurs stratégiques comme les mines, l’informatique ou les nouvelles technologies. Face à ces besoins, la demande de travail, de plus en plus composée de jeunes, va progresser de façon très rapide pendant au moins les trente prochaines années sous l’effet de la poussée démographique. Pour arriver à équilibrer ces deux tendances opposées et éviter une possible crise sociale, une éducation de base et une formation professionnelle quantitativement et qualitativement acceptables sont une exigence fondamentale : la France pourrait y apporter une contribution à la hauteur de la réputation internationale de son enseignement. Toujours sur le plan humain, la France abrite une vaste diaspora, issue de nombreux pays africains, mais n’a pas trouvé jusqu’ici une politique globale permettant de gérer et d’intégrer au mieux cette population immigrée. Comme l’ont montré les discussions du Sommet, une initiative amenant sur ce point des progrès substantiels est fortement attendue. Une meilleure liberté effective de circulation des acteurs économiques et des étudiants, des mécanismes efficaces d’incitation de retour au pays pour les émigrés en situation régulière grâce à des projets de co-développement, et la facilitation des conditions d’insertion dans l’hexagone des émigrés de la seconde génération seraient symboliques d’une nouvelle approche. Au plan juridique, après l’introduction globalement réussie de l’OHADA, les dysfonctionnements de la justice africaine restent nombreux et sont largement dus à la formation insuffisante des magistrats dans les affaires commerciales. Ici encore, la France possède les compétences qui pourraient fonder un partenariat visant la diffusion rapide de nouvelles structures mieux appropriées et une formation pratique intense des magistrats attachés aux dossiers économiques. En ces domaines spécifiques, un renforcement marqué des relations existantes entre France et Afrique est plus difficile : il impose innovation, capacité d’écoute, engagement dans la durée, esprit de dialogue, rapidité de décision et de mise en œuvre qui sont loin des canons actuels de fonctionnement de l’administration française. Il faut donc, en amont, inventer en France de nouveaux moyens d’action qui aillent au-delà de la volonté politique clairement affichée, faute de quoi l’ambition annoncée au Sommet risque de ne rester qu’une incantation..
Malgré ces difficultés, un grand partenariat France/Afrique basé sur ces deux piliers serait très certainement conforme aux aspirations actuelles des gouvernements et des peuples africains, mais serait aussi gagnant pour la France : l’émergence de l’Afrique ne peut en effet qu’être bénéfique à ceux qui auront su comprendre les besoins réels du continent et aider à les satisfaire. C’est donc bien par une telle approche que la France doit impulser cette nouvelle relation. Il est sans doute déjà tard, mais c’est encore possible.
Paul Derreumaux