Les 500 jours du COVID : l’espoir des vaccins
Plus de 500 jours environ se sont écoulés depuis les premiers cas de Covid-19 recensés en Chine à Wuhan au début de 2020. Durant ces 17 mois, le virus nouvellement identifié a eu le temps d’envahir la planète, de stopper un temps une grande partie des activités dans les pays du Nord et des échanges internationaux, de mettre à bas les dogmes de gestion des finances publiques, de changer beaucoup de façons de vivre partout dans le monde. Contrairement à ce qui était espéré, sa menace s’est faite encore plus pressante en ce premier semestre 2021. Pourtant, l’année en cours coïncide aussi avec la mise en œuvre généralisée d’une campagne de vaccination, qui a ramené l’espoir d’une victoire prochaine sur l’épidémie. Avant d’apprécier l’avancée et les limites de cette nouvelle phase, trois aspects essentiels du contexte dans lequel elle intervient méritent d’être rappelés
Malgré toutes les politiques menées par les Autorités de chaque pays, malgré tous les efforts des populations, la pandémie n’a cessé de s’étendre. Les contaminations ont même rapidement augmenté à la suite de la deuxième puis de la troisième « vague » d’invasion du Covid-19, cette dernière ayant frappé pendant le 1er trimestre 2021. Le nombre officiel de contaminations recensées -Chine exclue qui a arrêté dès avril 2020 la communication de ses statistiques – a ainsi été multiplié par 11 depuis le 20 juillet dernier et par 2 depuis le 31 décembre 2020 (1) et avoisine 165 millions de personnes le 20 mai courant. On recensait un maximum de 825 000 malades supplémentaires par jour fin avril dernier contre 650000 fin décembre 2020 et les pics mondiaux de 2021 sont supérieurs à tous ceux constatés depuis 2020. Les décès dus au Covid se sont eux multipliés respectivement par 6 et par 1,5 depuis les mêmes dates pour s’élever à 3,5 millions de morts, en accroissement d’environ 13500/jour en avril dernier.
L’inégalité des situations nationales a en revanche été peu modifiée : l’Europe et l’Amérique ont été jusqu’ici, de loin, les plus affectées par la maladie. C’est vrai en ce qui concerne le nombre total de victimes mais encore plus si on rapporte celles-ci à la population des pays concernés, avec des taux de contamination et de létalité particulièrement élevés aux Etats-Unis ou dans certains pays d’Europe de l’Est. Ainsi, dans ces deux continents, le nombre de personnes décédées depuis début 2020 se situe en mai 2021 en moyenne entre 1500 et 2000 par million d’habitants avec des « records » qui atteignent 2800 pour la Tchéquie, 2200 pour la Belgique et 2100 pour le Brésil. Sur les deux plans, l’Asie -Inde exceptée- et l’Océanie semblent avoir été plus épargnées. L’Inde elle-même, malgré l’ampleur de la pandémie, est encore loin des niveaux les plus élevés : 210 morts par million d’habitants en mai dernier L’Afrique, pour laquelle les plus sombres prévisions étaient formulées, n’a déclaré en 17 mois « que » 4,8 millions de contaminations et 130 000 décès – respectivement 2,9% et 3,7% du total pour plus de 17% de la population mondiale – principalement concentrés sur quelques pays. Alors que la propagation globale semble enfin s’essouffler, Inde et Brésil demeurent les zones les plus vulnérables. Ils cumulaient 27% des malades et près de 20% des décès ce 20 mai, sur de fortes pentes ascendantes ne montrant pas encore pour l’Inde de signe marqué de ralentissement.
Enfin, l’ampleur des inconnues relatives à la maladie et aux meilleurs moyens de la combattre persiste encore. L’origine comme les modalités précises de contamination du Covid-19, la liste des symptômes, l’influence des comorbidités, l’explication des formes « longues » de la maladie, la relative protection des enfants restent imparfaitement cernées. Le contenu et l’importance des gestes barrières sont parfois contestés : le masque a été jugé par exemple selon les périodes et les pays comme essentiel ou inutile ou accessoire. L’apparition continue de nombreux variants, dont les plus célèbres -anglais, brésilien, indien, sud-africain – se révèlent plus contagieux ou plus mortels, complique encore la bataille contre l’épidémie. Ces incertitudes expliquent pour partie la résilience des thèses complotistes mais aussi la grande variété des stratégies des Etats dans leur lutte contre la maladie, qui reflètent aussi l’influence des « tempéraments nationaux » – rigueur et décentralisation en Allemagne ; résilience et stoïcisme au Royaume Uni ; centralisation et individualisme en France – ou la position des dirigeants – de Trump à Biden aux Etats-Unis -.
Face à cet environnement, la nouveauté de 2021 est bien sûr l’arrivée de vaccins contre le Covid-19 et la mise en œuvre des campagnes vaccinales. La disponibilité promise pour 2021 d’un vaccin efficace est longtemps apparue comme une gageure. Cet objectif a cependant été atteint pour deux raisons principales. L’une, financière, réside dans l’ampleur totalement inusitée des financements apportés par certains Etats aux laboratoires nationaux de recherche pour leurs travaux et pour la réservation par avance de leurs productions dès que les tests étaient assez avancés – plus de 10 milliards de USD pour les Etats-Unis -. L’autre, scientifique, est l’utilisation de la technique « ARM » pour la protection de l’organisme contre le virus. La convergence heureuse de ces deux nouveautés explique que plusieurs vaccins aient été mis au point en un temps record et agréés par les Autorités sanitaires des grands pays : Pfizer ; Moderna, AstraZeneca, .. D’autres étaient pendant ce temps fabriqués par des pays qui les ont aussi utilisés à des fins de propagande : Russie et Chine en particulier-. Dans tous les cas, ces vaccins sont appliqués depuis début 2021 et leur utilisation appelle trois constats.
Le premier est leur efficacité progressivement confirmée. Les exemples les plus probants concernent le Royaume Uni, Israël et les Etats-Unis : la priorité donnée à une vaccination rapide et massive de la population parait y avoir été décisive dans le recul durable des contaminations et la baisse drastique des décès. A l’inverse, des pays comme l’Australie ou le Japon, exemplaires dans les mesures de préventions, souffrent actuellement de leur retard dans les vaccinations face à une nouvelle vague d’épidémies. Au Canada ou en France, où les campagnes avaient débuté plus lentement, les niveaux maintenant atteints expliquent au moins autant que les mesures « douces » de confinement le recul actuel des indicateurs de la pandémie.
Le second montre que les pays sont aujourd’hui profondément inégaux devant l’accès au vaccin comme ils l’étaient déjà face à la maladie, mais selon une hiérarchie fort différente Les nations les plus riches et les plus techniquement avancées, souvent les plus frappées par la pandémie, sont aussi celles où ont été conçus les vaccins dont l’efficacité a été le plus largement démontrée et celles où la vaccination a le plus progressé. Selon un recensement de fin mai 2021, un total d’environ 1,8 milliard de doses (1 ou 2 doses par personne) est à ce jour administré. La Chine en compte 566 millions (31% du total) pour quelque 18% de la population mondiale mais l’Inde, avec presque la même population, seulement deux fois moins. Etats-Unis et Canada, d’un côté, et les cinq plus grands pays de l’Union Européenne, de l’autre, rassemblent dans chaque cas quelque 220 millions de doses appliquées, soit près de 12,4% du total, en abritant respectivement 4,7% et 4,1% et de la population mondiale. Le Royaume-Uni est un des pays les plus favorisés puisque le nombre de doses appliquées était 4 fois plus important que le poids de sa population. A l’opposé, le nombre de personnes vaccinées en Afrique subsaharienne, où le choix des vaccins est beaucoup plus limité, est infinitésimal à l’échelle de la population. La comparaison de ces statistiques avec celle confirmant qu’à la même date 820 millions de personnes ont reçu au moins une première injection, soit 10,3% de la population de la planète montre bien l’étendue des disparités qui rend inopérante une appréciation globale
Le troisième constat réside dans les incertitudes qui marquent le remède comme la maladie. Celles-ci sont vraisemblablement inhérentes à la vitesse avec laquelle quelques vaccins ont été autorisés par les instances mondiales compétentes, en respectant les critères internationaux d’agrément qui leur sont imposés. Mais les questions en suspens peuvent inquiéter : niveau de protection contre la contamination et la mortalité, durée d’effet du vaccin, nécessité ou non de rappels, importance des effets secondaires, efficacité contre les variants récents, … Ces interrogations, comme celles liées à la maladie, peuvent conduire à des « couacs » dans les politiques publiques. En s’ajoutant alors à la méfiance habituelle des populations vis-à-vis de nouveaux vaccins, ceux-ci peuvent générer des suspicions, voire des rejets, de la part du public comme les a subis en de nombreux pays le vaccin AstraZeneca.
Malgré ces faiblesses, l’arrivée des vaccins est une avancée décisive dans la lutte contre la pandémie et devrait éviter la poursuite ininterrompue des spirales « vague d’infections/confinement/déconfinement ». La situation actuelle n’est cependant qu’une étape qui exige d’importants compléments sur au moins trois plans.
Le premier est scientifique : la levée des inconnues subsistant sur la maladie et la validation internationale des atouts et des limites des vaccins agréés est urgente pour qu’une confiance généralisée s’installe, que l’adhésion des populations s’enracine et autorise de croire en la fameuse « immunité collective », voire qu’une telle vaccination soit obligatoire pour ceux qui voyagent en certains lieux comme c’est le cas pour la fièvre jaune. Dans ce même registre, la panoplie des armes contre le Covid ne sera complète que si des traitements efficaces sont mis au point et mis également au premier plan des préoccupations.
Le deuxième est financier et moral. Les gains des sociétés productrices de vaccins et de leurs dirigeants, au moins dans le monde occidental, ont d’autant plus ému que l’évolution exponentielle de la valorisation et de la profitabilité de ces entreprises reposait moins sur les risques pris par les actionnaires que sur les concours reçus des Etats pour la résolution d’un péril sanitaire de portée mondiale. Ce déséquilibre mériterait donc d’être corrigé à deux niveaux : suppression à bref délai de la propriété intellectuelle de ces sociétés sur les vaccins, pour les empêcher de bénéficier d’une rente indue apparue à la suite d’une catastrophe touchant l’humanité ; obtention de la (quasi)gratuité des vaccins pour les quelque 30% de la population du globe souffrant de pauvreté absolue. Certaines initiatives -tels le programme « Covacs » de la Banque mondiale ou des dons de vaccins par les pays les plus riches- esquissent des solutions pour le second point. La résolution du premier sera plus difficile, mais serait essentielle pour montrer que cette pandémie nous oblige à de nouveaux paradigmes juridiques.
Enfin, la brutalité avec laquelle le Covid-19 a frappé tous les pays invite dirigeants et populations à admettre qu’une pandémie de cette envergure peut aisément se reproduire, y compris à court terme, sous des formes voisines ou différentes. Cette hypothèse nous contraint à tirer toutes les leçons des actions menées, à identifier les erreurs commises dans celles-ci et vraisemblablement à changer certains comportements qui ont été des accélérateurs de la crise. Compte tenu de notre mémoire collective courte et d’un individualisme grandissant, il est probable que cet aspect sera le plus ardu à réaliser.
(1) cf les articles de ce blog parus les 30 avril 2020, 30 juillet 2020 et 21 janvier 2021
Paul Derreumaux
Article publié le 08/05/2021