A quoi ressemblera le secteur bancaire d’Afrique subsaharienne dans quelques années ?
Si l’Afrique fait moins peur aujourd’hui, le système bancaire africain attise déjà beaucoup d’envies. C’est notamment vrai pour l’Afrique subsaharienne, sur laquelle se concentrera notre réflexion. L’Afrique du Nord est en effet moins favorisée pour un temps : les banques y souffrent beaucoup, selon les endroits, ou de la vaste recomposition politique en cours (Egypte ou Tunisie) ou d’une mauvaise gestion qui perdure (Algérie) ou d’un ralentissement de leurs perspectives nationales de croissance. Dans ce dernier cas, qui est surtout celui du Maroc, c’est d’ailleurs vers le Sud que sont identifiées les possibilités de développement des plus importants acteurs nationaux.
Un secteur en mutation depuis plus d’une décade
Dans cette zone subsaharienne, l’observation immédiate est que les systèmes bancaires se portent globalement bien, comme le montrent les derniers classements des banques réalisés par les journaux spécialisés. Dans un mouvement très généralisé, les institutions connaissent une croissance soutenue de leurs bilans, de leurs Produits Nets Bancaires (PNB) et de leurs résultats. Elles embauchent, étendent leurs ramifications dans chaque pays, diversifient leurs produits, se modernisent, renforcent leurs fonds propres. L’importance nouvelle de leurs investissements participe aussi à l’accélération de la croissance du continent, au financement de laquelle elles contribuent d’ailleurs davantage.
Une analyse plus fine met en évidence trois autres conclusions. D’abord, les acteurs dominants ont changé : la primauté longtemps tenue par les banques étrangères – françaises ou anglaises – est désormais, et sans doute définitivement, occupée par des institutions africaines – marocaines, nigérianes et sud-africaines pour l’instant. En second lieu, le rythme et l’ampleur de l’évolution varient selon les pays, sous l’effet conjugué du contexte économique local et de la réglementation en vigueur : l’Afrique du Sud, aux quatre géants intouchables, voit son avance se réduire modérément ; l’Afrique anglophone affiche un dynamisme actuellement plus marqué ; l’Afrique francophone n’a pas encore comblé son retard ; quelques pays restent encore à l’écart. Enfin, la stratégie largement suivie par les groupes leaders est celle de la construction de réseaux couvrant le plus grand nombre de pays, pour mieux servir les grandes entreprises qui ont elles-mêmes cette approche de présence régionale.
Selon toute vraisemblance, les mutations positives de ces systèmes bancaires, particulièrement intenses depuis les années 2005, se prolongeront sur la décennie en cours, touchant en particulier les acteurs, les activités et les technologies.
… qui poursuivra son mouvement de concentration
Pour les acteurs, la tendance devrait être avant tout marquée par le poids accru des groupes les plus puissants dans les systèmes nationaux : l’attraction des grands établissements bancaires sur les parties les plus dynamiques des économies locales, grâce à leurs réseaux régionaux et leurs moyens financiers plus conséquents, explique cette concentration probable. A l’horizon 2020, une bonne quinzaine de groupes, tous africains, devrait rassembler une large majorité des actifs bancaires : on y trouvera bien sûr la petite dizaine qui a déjà pris de solides positions, mais ceux-ci seront suivis par d’autres, dont quelques kenyans et mauriciens et sans doute au moins un francophone d’Afrique Centrale. A côté d’eux, quelques centaines de banques continueront à exister, probablement sur un ou plusieurs pays, favorisées par une croissance économique dont on annonce une bonne pérennité. On assistera à la poursuite de l’augmentation du nombre de banques dans chaque pays, traduction de l’expansion géographique des groupes les plus puissants et les mieux organisés, mais celles-ci dépendront d’un nombre plutôt stable d’acteurs, signe des conditions de plus en plus difficiles d’accès à la profession. Les principales incertitudes touchent d’abord l’ouverture ou non sur l’extérieur de quelques grands pays comme l’Angola ou l’Ethiopie. Elles ont trait surtout à la venue de nouveaux intervenants : la probabilité d’entrée de groupes bancaires chinois et indiens paraît s’amenuiser à court terme au profit de celle de groupes du Moyen Orient, qui pourraient investir en direct ou à travers des banques d’Afrique du Nord comme actuellement.
Un périmètre élargi pour la banque de réseau
Pour les activités, l’approche de banque à réseau et « tous publics », centrée sur des produits et services déjà bien rôdés, restera vraisemblablement l’option choisie par la très grande majorité des établissements. Elle résulte simultanément de l’étroitesse générale des marchés, des résultats très rémunérateurs de cette politique dans la période récente (1) et des progrès restant à accomplir dans ces domaines. Ceci est spécialement vrai pour le public des ménages : leurs taux de bancarisation et les prestations offertes, malgré les récentes avancées, ont encore des possibilités de poussée notable et rapide. Le principal challenge se situe au niveau des nouveaux segments qu’un système bancaire désormais plus puissant devrait intégrer dans son champ d’action. La gestion des flux financiers des migrants, les marchés financiers et le financement du logement sont sans doute les ajouts les plus faciles à maîtriser et les plus porteurs de forte croissance à court terme : sur ce dernier aspect, les banques commerciales ont largement commencé à pénétrer le créneau en allongeant la durée de leurs prêts.
Avec la microfinance, les banques en resteront normalement au seul stade des « passerelles », pour le refinancement des sociétés concernées : les approches sont trop différentes et les institutions de microfinance, qui grandissent, demeureront l’interlocuteur privilégié du secteur informel. La bancassurance est au contraire un terrain d’expansion probable. Balbutiante jusqu’ici, elle devrait prochainement s’accélérer sous l’effet de la révolution, analogue à celle des banques, que commence à vivre l’assurance subsaharienne : plusieurs grands noms de l’assurance sont aussi des piliers du système bancaire et la convergence paraît inéluctable même si son mode d’emploi n’est pas encore bien défini. Le dernier champ d’action, celui des Petites et Moyennes Entreprises (PME), est essentiel mais le plus difficile : la capacité des banques à maîtriser correctement les risques concernés reste en effet médiocre et l’amélioration de la situation dépend aussi des efforts des PME.
Quelle place pour les banques dans l’innovation ?
Les technologies vont également provoquer des mutations profondes, notamment pour les moyens de paiement. La monétique va encore s’étendre : même les plus petites banques pourront être équipées grâce à une mutualisation des investissements, comme l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) a su le faire (2). Surtout, le « mobile banking » nous place à l’aube d’un grand bouleversement. Il devrait en effet devenir un système important, pour les opérations de petit montant – paiement, mais aussi épargne et même crédit – à cause de la formidable avance du téléphone mobile sur le compte bancaire pour la couverture des populations. De plus, piloté jusqu’ici par les grandes sociétés de télécommunications qui veulent ainsi sécuriser leur chiffre d’affaires dans un marché qui devient mature, il conduira soit à la constitution d’alliances banques-sociétés de télécommunications, soit à l’immixtion des dernières dans la profession bancaire. Là où elles ne seront pas malgré leur réseau encore élargi, les banques passeront des accords, sous leur responsabilité, avec des prestataires de services qui apporteront au public les services qu’il attend, comme c’est déjà le cas au Kenya à l’imagination fertile. Toutes ces mutations replacent au centre des relations banque-client les notions de proximité et de confiance, qui sont à l’origine de la profession. Elles s’effectueront sous le contrôle vigilant des Autorités sur la solvabilité des banques, la surveillance des risques et la connaissance de l’identité des clients.
Entraîné par cette dynamique, le système bancaire subsaharien devrait donc encore connaître une période faste en transformations, et être un point de convergence majeur des mutations qui couvriront tout le système financier. Son renforcement sera un support crucial pour l’accélération de la croissance économique du continent, sans être toutefois une condition suffisante.
(1) La forte progression, durant ces dernières années, des résultats des groupes ayant un grand réseau d’agences sur un nombre croissant de pays en témoigne : leurs performances sont en effet notables et rapides malgré les investissements qu’implique cette stratégie.
(2) Cette mutualisation est l’œuvre du Groupement Interbancaire Monétique (GIM) de l’UEMOA, créé à l’initiative de la Banque Centrale de l’Afrique de l’Ouest et vivement soutenu par celle-ci. Il regroupe maintenant plus de 100 membres, fonctionne à la satisfaction de ceux-ci, assure une interbancarité monétique régionale et développe aujourd’hui un partenariat avec des cartes bancaires internationales
Paul Derreumaux