L’Afrique de l’Ouest francophone en pole position ?
Dans une Afrique subsaharienne qui semble désormais bien ancrée dans le développement économique, la partie francophone de l’Ouest apparait souvent comme moins dynamique et moins bien lotie en termes de résultats. Pourtant, ses atouts actuels pourraient la placer rapidement en position plus avantageuse, surtout si elle parvient à réaliser quelques réformes majeures.
Pour l’Afrique subsaharienne, la globalisation des données économiques a une valeur limitée en raison de la mosaïque qui résulte de l’existence des quelque 50 nations qui la composent. Certes, l’embellie constatée depuis le début des années 2000, et maintenant ressassée à longueur de conférences, touche plus ou moins tous les pays et rassure donc sur une réelle tendance de fond. Toutefois, pour les économistes comme pour les voyageurs, les réalités sont multiples. Deux d’entre elles ont fortement marqué les dernières années passées : l’Afrique de l’Est anglophone apparait plus ouverte aux réformes et plus performante ; dans l’Afrique francophone, la zone Centrale a davantage d’atouts naturels pour alimenter sa croissance
La position moins privilégiée de l’Afrique de l’Ouest francophone au plan économique a été aggravée par les évènements politiques qui ont frappé ces dernières années plusieurs de ses membres: coup d’Etat au Niger ; guerre civile meurtrière en Côte d’Ivoire ; coup d’Etat et guerre au Mali. De 2009 à 2012, le Kenya a ainsi vu son Produit Intérieur Brut (PIB) croitre de 15% de plus que celui de la Côte d’Ivoire, leader de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), et son PIB par habitant, calculé en termes de Parité de Pouvoir d’Achat (PPA), est passé devant celui du citoyen ivoirien.
Pourtant, quatre facteurs devraient notamment être plus favorables à l’UEMOA sur la période qui s’ouvre.
Le premier est une meilleure stabilité politique, condition permissive essentielle d’un développement durable et inclusif. Aucune élection majeure n’interviendra dans la zone avant fin 2015 et il est probable que les dispositifs constitutionnels actuels seront partout sauvegardés. Dans plusieurs cas, de nouveaux dirigeants, ayant une vision claire et volontariste du destin possible de leur nation et de leur peuple, sont en place et ont une chance raisonnable d’être réélus. Les différents évènements dramatiques récents ont conduit à une présence de longue durée de forces militaires régionales et internationales : celles-ci pourraient empêcher plus efficacement le retour à de graves turbulences, et surtout une résurgence forte du terrorisme, ennemi déclaré du développement.
Le second est la multiplication récente d’importantes nouvelles découvertes minières et pétrolières dans l’Union: or au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et au Mali; charbon au Niger; pétrole au Bénin, en Côte d’Ivoire et au Niger; uranium au Niger et sans doute au Mali ; zinc au Burkina Faso, zircon au Sénégal,…. Le niveau élevé des cours mondiaux et la vigueur de la demande font que, à la différence de situations passées, ces gisements devraient être mis en exploitation rapidement, ce qui contribuera à une vive poussée des investissements puis des recettes publiques et des exportations. En même temps, attentives aux effets négatifs du syndrome hollandais déjà observé ailleurs, les Autorités nationales tendent à veiller davantage à un meilleur impact de ces investissements sur l’essor d’autres secteurs ou des entreprises nationales, et sur le niveau et l’affectation des recettes publiques.
Le troisième réside dans la priorité accrue donnée à la construction d’infrastructures. Le secteur des télécommunications a montré la voie grâce à quelques grands groupes privés qui ont amené l’Union aux standards moyens du continent. Dans les infrastructures routières et urbaines, les chantiers se sont intensifiés. On circule désormais par route bitumée de Dakar à Maradi et de Cotonou à Agadez. Abidjan construit son troisième pont, Niamey ferait bientôt de même, Bamako pense au quatrième. La future Boucle Ferroviaire régionale, initiée par le Niger mais intéressant quatre Etats voisins, sera un puissant catalyseur de croissance économique et d’aménagement du territoire. Outre leur forte contribution au PIB, ces projets changent la physionomie des capitales, réduisent l’enclavement de nombreuses régions, favorisent la croissance de la production et des échanges. Le secteur énergétique, souvent défaillant, pourrait réduire son retard si les ouvrages en cours ou projetés sont mis en production dans les délais : barrages hydroélectriques en Côte d’Ivoire, au Mali et au Niger, centrales thermiques au Sénégal et au Niger, grande unité de biomasse en Cote d’Ivoire.
Enfin, la solidité des institutions et du fonctionnement de l’UEMOA, l’avancée dans l’intégration des Etats, de leurs économies et de leurs politiques économiques, l’existence d’un espace financier unifié et d’une monnaie commune, la résilience de l’Union face aux crises nationales soutiennent la croissance dans la région. Prises ensemble, elles introduisent un cadre global cohérent et contraignant qui oblige chaque Etat membre à améliorer sa gouvernance, et constituent pour les entreprises une puissante incitation à l’expansion des affaires, et donc des investissements. Certes, les insuffisances sont encore nombreuses et les progrès pourraient être plus rapides. Mais aucun retour en arrière ne semble constaté et l’UEMOA sert plutôt de référence sur le continent.
Ces éléments expliquent pour une bonne part le fait que la progression du PIB de la zone, supérieure à 6% en 2012 et, sans doute, en 2013, atteindrait selon diverses estimations 7% en 2014, avec une inflation toujours maîtrisée. Pour les raisons évoquées ci-avant, ce rythme pourrait également s’afficher au moins en 2015. Pourtant, en raison de la forte poussée démographique qui va se prolonger, il faut aller au-delà. Pour gagner chaque année les 1 à 2% qui feront la différence à moyen terme, au moins trois mutations semblent indispensables.
La transformation la plus urgente et la plus pertinente est celle qui contrera la faible efficacité, voire la défaillance, croissante des appareils d’Etat et des secteurs publics. Leur poids et leur influence, nettement plus lourds en zone francophone, rendent ici cet aspect spécialement névralgique. Les actions parfois menées au plus haut niveau en termes de planification et d’assainissement sont largement perturbées par l’inertie destructrice d’une partie de l’administration, la voracité d’une corruption étendue et la mauvaise adaptation fréquente des lois et règlements aux données locales, qui multiplie les occasions de passe-droit. Les seules solutions seront une moindre présence du secteur public dans la sphère productive, l’amélioration rapide et multiforme du climat des affaires, le renforcement de la transparence et de la diligence dans les décisions administratives et judiciaires, l’inculcation d’une culture du mérite dans la fonction publique. L’Etat doit être fort mais juste, rigoureux mais non prédateur, incitatif plutôt que répressif.
Une deuxième priorité est celle d’un secteur primaire plus moderne et plus productif, dans les cultures de rente autant que dans l’agriculture vivrière et dans l’élevage : sa consolidation aurait des conséquences très positives sur la régularité du taux de croissance comme sur l’amélioration de la sécurité alimentaire des populations. Les transformations exigées sont cependant à la fois techniques, organisationnelles et mentales, et demandent donc temps et persévérance : les engagements pris en la matière après la crise alimentaire de début 2008 n’ont pas été respectés. Des actions prometteuses sont entreprises comme l’« Initiative 3N » au Niger, qui vise surtout les productions vivrières et s’illustre par le caractère transversal de sa démarche, ou les « Pôles de croissance intégrés » au Burkina-Faso, qui ciblent le développement équilibré de vastes périmètres, basé sur l’agriculture. Elles sont à multiplier. On peut aussi imaginer que l’Union elle-même promeuve un grand projet régional, telle l’exploitation maximale de l’immense delta de l’Office du Niger, qui rentabiliserait les importantes installations existantes et provoquerait une poussée de la production agricole au niveau communautaire. Le secteur primaire jouerait alors un rôle moteur du développement global, comme il l’a fait sous d’autres cieux ou précédemment en Côte d’Ivoire.
La troisième doit concerner le binôme éducation-formation. Les statistiques encourageantes sur l’accroissement du taux de scolarisation sont en partie virtuelles en raison de la faible qualité moyenne des enseignements de base et secondaire dans beaucoup d’établissements, publics comme privés. Dans les pays où un langage vernaculaire est dominant, l’usage du français, langue officielle, tend même parfois à diminuer, même au niveau professionnel, ce qui pénalise notamment l’introduction des nouvelles technologies. En termes de formation, le paysage est partout caractérisé à la fois par le fort excédent de diplômés insuffisamment qualifiés dans certaines formations tertiaires et le grave manque de techniciens spécialisés dans des secteurs comme l’industrie, le bâtiment ou l’informatique par exemple. Cette situation peut favoriser le retour de jeunes diplômés de la diaspora mais handicape définitivement ceux qui n’ont pu étudier à l’extérieur du pays. Des changements profonds et rapides sur ces terrains sont donc indispensables tant pour assoir la croissance économique sur un socle plus diversifié et inclusif que pour éviter l’explosion sociale pouvant résulter de la montée massive du chômage..
Des coups de pouce pourraient favoriser la réalisation de ces préalables, tel celui de l’Initiative pour le Sahel que viennent de lancer conjointement les plus puissantes institutions internationales. Le projet prévoit en effet la mobilisation de plus de 8 milliards de dollars US pour des investissements structurants, centrés en particulier sur les infrastructures, l’énergie et la formation, dans six pays du Sahel : l’UEMOA en serait un bénéficiaire majeur. Celle-ci doit donc saisir sa chance en jouant simultanément de ses points forts et de sa solidarité : même si les pays avancent à leur rythme propre et s’il existe des « locomotives », il est essentiel que l’Union tout entière arrive à destination.
Paul Derreumaux